Mandement de la Séauve

Par mandement, on entendait une circonscription territoriale sur laquelle s’étendait une justice particulière. Il y avait trois sortes de justices seigneuriales,haute, moyenne et basse justice.

La haute justice était celle d’un seigneur qui avait pouvoir de faire condamner à une peine capitale, et de juger de toutes causes civiles et criminelles, excepté les cas royaux. La moyenne justice avait droit de juger des actions de tutelle et injures dont l’amende ne pouvait excéder soixante sols.

 

La basse justice ne connaissait que des droits du sau seigneur, du dégât des bêtes dont l’amende ne pouvait excéder sept sols, six deniers. On l’appelait autrement justice foncière. On croit assez généralement que les justices seigneuriales eurent presque la même origine que les fiefs. Les fiefs en étaient le principe et le fondement, et les justices n’en étaient qu’une suite et une dépendance. La distinction de haute, moyenne et basse justice vint apparemment aussi de la différence de dignité entre ceux qui possédaient les fiefs, chacun ayant usurpé plus ou moins d’autorité selon le rang qu’il tenait. Quoiqu’il en soit de l’origine des justices ou juridictions, il est certain que, plus tard, aucun seigneur n’eut de droit commun, la justice en’ son fief, terre ou seigneurie, sans un titre particulier, c’est-à-dire sans une concession du roi,, justifiée par écrit ou présumée par des actes de foi et hommage, par des aveux et dénombrements ou par une possession immémoriale prouvée, non par témoins, car les arrêts sur cette matière ont rejeté la preuve vocale, mais par des procédures et actes judiciaires.

Il est très-probable que la concession d’un mandement au monastère de la Séauve eut lieu vers 1260. Cette concession fut faite par les barons de Saint-Didier l’année citée qui fut celle où ils détachèrent en même temps de leur seigneurie de Saint-Didier le mandement de Monistrol.

A quelle éqoque et par quel roi fut confirmée cette concession? L’histoire se tait sur l’une et l’autre de ces deux questions. Il n’y avait que la moyenne et basse justice qui se rendaient au nom des religieuses. Ce privilège était pour elles, tout à la fois, et une source de revenu par les amendes infligées aux délinquants et comme un titre d’honneur qui donnait un certain prestige à leur abbaye. C’était bien aussi, sans nul doute, un sujet de critique et de sarcasme. A mon avis, le redressement des torts était mal placé là, quoique la justice se rendit par un mandataire. De nos jours, avec les idées de notre époque, cela paraîtrait absurde. Il serait difficile de préciser, d’une manière exacte, les limites de la justice de la Séauve. On peut néanmoins les fixer, jusqu’à un certain point, d’après le cadastre du mandement de Saint-Didier dont j’ai trouvé une copie dans la famille Terme de Saint-Just-Malmont.  Du côté de Monistrol, elle s’étendait jusqu’au baillage des Ages. Elle comprenait, sur ce point, Veyrines, Paulin, les Mures et Papesout.

Au midi, elle s’étendait jusqu’au bois que possédaient les religieuses au Maz-de-Bayon. Le bois lui-même en faisait partie.

Le Riou de Prarivaulx , qui passe près du Prarivaulx, séparait le mandement de la Séauve de celui de Saint-Didier.

Au Crozet, le terroir de la Condamine appartenait à la justice du monastère et en faisait partie.

Le Garay de Sanhollas, qui se trouve prés du village de Cubizolles, était de la même juridiction.

Vers la Rulliére, elle s’étendait jusqu’au Riou de Lazaro, et, vers le Poyet, le chemin qui va de Saint-Didier, à la Chamarêche formait ses limites.

C’était à la Séauve même que se rendait la justice de ce mandement ; un bailly ou juge de paix rendait justice, prononçait les arrêts au nom du monastère. Le bailly appartenait presque toujours à une famille seigneuriale des environs, ou s’il venait d’ailleurs il établissait sa résidence le plus près que possible de la circonscription territoriale que comprenait le mandement. Le procès-verbal que j’ai cité parle des prisons de la Séauve. C’est là qu’expiaient leurs délits ceux qui étaient jugés passibles de la détention.

Les limites des divers mandements occasionnèrent souvent des querelles entre les divers seigneurs. Elles n’étaient pas tellement fixées, dans le principe, qu’il ne s’élevât, un moment ou l’autre, des disputes à ce sujet. Il y avait quelquefois lieu d’examiner de quel mandement était justiciable le délinquant saisi; de là des querelles et des procès.

Il s’en produisit un de cette espèce entre le baron de Cornillon et Françoise de La Roue,

vers la fin du xve siècle. En voici le résumé qui

se lit dans un manuscrit conservé à la bibliothèque de Saint-Etienne :

« Transaction entre dame Françoise de La Roue, abbesse de la Séauve, d’une part et Jean Delaire, baron de Cornillon, d’autre part, par laquelle les dites parties accordèrent que le territoire de la Rulière et de Chazelles jusques au chemin qui va de Saint-Ferréol au Grand Roure et au-dessus le dit chemin, de vers le Vent, le dit seigneur de Cornillon et ses successeurs auront toute justice des délinquants étrangers, autres que les habitants de la Rulière et de Ghazelles qui se tiennent de la directe et justice de la dite dame, tout ainsi que quatre grosses pierres croisées sont de nouveau assignées et plantées entre les dites parties , aux endroits spécifiés au dit contrat.

« Item que, au dessus du dit terroir sur dessus confronté, la dite dame aurait la directe seigneurie et seroient les dits habitants de la Rulière et leurs domestiques exempts de la justice du seigneur de Cornillon, tant que s’étend leur terre et jusqu’à la terre de Chazelles, laquelle justice appartiendra à la dite dame.

« Item que, touchant trois ou quatre sétérées de terre qui sont dans les confins dessus désignés qui sont du terroir de Chazelles au dessus dudit chemin de la fontaine de Fontchatal, de la connoissance des habitants dudit Chazelles appartient tout cautelle que criminellement au premier qui préviendra les dites parties. excepté que les dits étrangers délinquants seront de la connoissance dudit seigneur, au dit lieu.

Item que la dite dame ne pourrait faire tenir son siége ni faire aucune punition corporelle dedans ledit terroir sus confronté ;

« Item que le dit seigneur ne pourroit faire ériger aucunes fourches patibulaires ni autre justice au dedans dudit terroir de la Rulière confronté au dit contrat… du lieu de la Rulière bien n’y pourra ériger un pilon en signe de justice.

« Item que le dit terroir de Chazelles au dessus du dit chemin tendant de Saint-Ferréol au Grand-Roure et dans les confins y désignés sera du mandement et justice de Cornillon, réservant à la dite dame, sa directe  seigneurie sur le dit terroir.

Reçu : Ronaty, le 1er mai 1492.

(Cadastre du mandement de Saint-Didier. Manuscrit à la

bibliothèque de Saint-Etienne. Bautaric, pag. 502.)

 

 

NOTES HISTORIQUES

Sur

LES MONASTÈRES

DE LA SÉAUVE

BELLEGOMBE, GLAVAS ET MONTFAUCON

THEELLIERE, curé de Retournaquet