Polignac

À mi-chemin de St-Paulien à la ville du Puy, et à gauche,’ près de la grand ’route venant de Clermont, on voit le bourg de Polignac, bâti circulairement à la base d’un rocher. Volcanique qui s’élève du milieu d’un riche vallon. Sur la vaste plate-forme de ce rocher, sont les ruines imposantes d’un ancien monument qui lui donna son nom. On a émis beaucoup d’opinions sur l’origine de ce château, soit à cause des prodiges religieux qui s’y sont opérés du temps du paganisme, soit à cause des singularités qu’on y remarque ou des antiquités qui s’y trouvent.

Avant d’arriver sur le plateau du rocher, il faut s’arrêter, en passant, auprès de l’église qui, très anciennement construite, à mi-côte, renferme dans ses murs des débris antiques ; ce qui se reconnaît aux beaux blocs de grès équarris et taillés qu’on y a employés au hasard. Quelques-unes de ces pierres contenaient, dit-on, des inscriptions et des sculptures ; je n’en ai reconnu aucune trace.

Le seul objet qui, là, mérite de fixer l’attention, est un petit monument tumulaire, en grès blanc, maçonné dans le mur extérieur du sanctuaire de l’église, à une élévation de trente pieds environ. Il contient, dans sa partie supérieure et dans une espèce d’encadrement, le buste d’un personnage romain assez grossièrement sculpté en bas-relief. Au-dessous., on lit cette inscription :

C’est-à-dire : Deo Optimo Maximo, Julii Marvilinni memoriœ, au Dieu très-bon et très grand, et à la mémoire de Julius Marvilinnus. Cette première découverte n’est pas sans intérêt ; elle se lie assez naturellement à tout ce que nous allons rencontrer de véritablement antique. Arrivé au haut du rocher et au milieu des ruines, j’ai bientôt trouvé dans un amas de pierres, ce qui excitait le plus ma curiosité, ce qui a exercé la plume de_ tant d’écrivains et l’imagination des savants de plusieurs siècles : c’est un masque colossal de la tête d’Apollon, tête qui par les oracles qu’elle rendait a donné de la célébrité au rocher de Polignac.

Parmi plusieurs auteurs, Simeoni, Gruter et Faujas de St-Fond ont donné, de cette tête, une description plus ou moins systématique et un dessin très-peu exact.

Simeoni, en assurant que cette tête est celle d’Apollon, veut que ce soit elle qui ait fait donner au château le nom d’appolliniaoum, d’où s’est formé celui de Polignac.

Quoiqu’il en soit de l’opinion de Simeoni et de beaucoup d’autres écrivains, il n’en reste pas moins certain que cette tête, qui est devenue un monument célèbre, est susceptible de donner beaucoup à réfléchir. Sa dimension est colossale, et quoiqu’elle ait été fort mutilée, on peut juger que sa forme a toujours été à peu près ce qu’elle est encore. Elle a trois pieds huit pouces de large, sur trois pieds de haut. Une chose qu’il est facile de vérifier, c’est qu’elle n’a jamais eu, par-derrière, la forme d’une tête ; qu’au contraire elle n’a jamais été qu’un masque énorme et n’a pu appartenir à une statue.

Faujas assure que Simeoni, dans la gravure qu’il en a donnée, l’a mal rendue. Il en donne lui-même un dessin nouveau, dessin qu’il dit avoir fait faire avec le plus grand soin, et, cependant, ce dessin est inexact ; il ne rend nullement le caractère de tête. Le nez, quoique mutilé, est dessiné entier et de manière à ne pas même donner une idée de ce qu’était l’original ; la bouche est représentée ouverte dans toute sa largeur, tandis que l’ouverture qu’on remarque au milieu d’une barbe très-volumineuse, ne laisse apercevoir qu’un trou ovale qui paraît avoir servi à l’introduction. D’un tube quelconque ; et, si cette tête rendait des oracles, on soupçonne déjà le but de cette ouverture. Dans cette dernière hypothèse, j’essaierai une explication qui rentrera dans l’opinion générale et lui donnera une nouvelle consistance.

Avant tout, je dois dire que la tête dont il est question, est largement dessinée ; que le travail en est hardi et facile; que le ciseau de l’artiste qui l’a sculptée dans un beau bloc de granit, en a fait sortir une figure imposante et majestueuse. Et, pour arriver naturellement à une conclusion raisonnée, pour l’appuyer plus que sur des conjectures, je vais donner successivement une idée de tout ce qui s’est trouvé d’accord avec le système que j’espère faire apprécier. Ce qui mérite d’abord un examen particulier, est une grande excavation, vulgairement nommée le Précipice. C’est un énorme puits, parfaitement rond et taillé, avec beaucoup d’art, dans le roc. À l’orifice, sa circonférence est de quarante-deux pieds. Il avait primitivement, dit-on, cent quatre-vingts pieds de profondeur. Il en avait encore cent soixante-quatre, en 1779, quoique déjà des portes en fer qu’on y avait précipitées très-anciennement, et peut-être par suite de quelque sédition religieuse, s’y étaient embarrassées dans leur chute et, depuis, avaient arrêté et amoncelé une grande quanti de pierres. Sa profondeur actuelle est réduite soixante-deux pieds, depuis qu’on y a jeté, dans ces derniers temps, des décombres provenant de la démolition du château. Sa forme intérieure est, à ce qu’on assure celle d’un cône renversé, ce qu’il n’est plus facile de reconnaître. Il serait même imprudent de chercher à s’en assurer à la vue, le parapet en ayant été renversé, et la pelouse, qui l’entoure, formant un bord glissant et dangereux. À en croire la tradition écrite, l’opinion vulgaire et l’assertion des plus anciens habitants du bourg, il y aurait eu « de cette exa cavation, un conduit correspondant à la statue d’Apollon, dont la bouche béante rendait des oracles ; et les prêtres du dieu arrivaient au fond du précipice, par la cave d’une des maisons du bourg.

Cette tradition, quoique différemment rapportée dans plusieurs ouvrages et dans des mémoires particuliers, est précieuse à recueillir. Elle trouvera bientôt son application.

Sur la même ligne que le précipice, et trente pieds plus loin vers l’occident, se trouve une seconde excavation beaucoup plus petite, dont la profondeur est de vingt-un pieds sept pouces. Son ouverture, qui n’a que trois pieds de diamètre, est couronnée par un bloc de grès circulaire, d’une seule pièce, ayant deux pieds de haut. Ce bloc est bien évidé à l’intérieur et orné, extérieurement, de moulures d’une proportion agréable ‘et d’un dessin régulier. Sa forme représente assez bien un autel antique, et, si c’était un autel, il faut observer qu’autrefois il se trouvait renfermé dans l’intérieur d’un édifice qui a toujours, quoique démoli, conservé jusqu’à présent le nom de Temple d’apollon. Il y a, sur la moulure supérieure de cet autel, des restes d’agrafes en fer et dix à douze trous qui, sans doute, ont contenu d’autres agrafes ; ce sont des remarques essentielles à faire. Il n’est pas moins utile à mon opinion de rendre un compte exact et détaillé des lieux qui ont été visités et examinés avec la plus minutieuse attention.

Salles souterraines. Le fond latéral de cette espèce de puits est composé de deux salles en carré long de vingt et un pieds sur dix, séparées par cinq arcades à plein ceintre de trois pieds de large. Les arcades sont supportées par quatre piliers d’un seul bloc, à angles rabattus, ayant quatre pieds et demi de hauteur, et dont les quatre faces principales ont dix pouces, et les autres six. Ces salles, dont les voûtes à berceau retombent sur les longs côtés, sont, aux deux bouts, terminées par un mur perpendiculaire. Elles sont revêtues de ciment sur leur aire et à la hauteur de six pieds; mais on reconnaît que le ciment n’est pas antique ‘et que les voûtes et les murs ont été réparés : circonstance bonne à noter et qui conduit naturellement à croire qu’il y a eu ici deux destinations différentes, l’une primitive et antique qui fait l’objet de nos recherches; l’autre plus récente , relative à l’établissement d’un château-fort, dans le moyen âge, et à la nécessité d’y amener et d’y conserver des eaux suffisantes pour une garnison.

Sous ce rapport, on a remarqué que dans l’un des côtés longs de l’arrière-salle, à la retombée de la voûte, sont trois pierres percées qui, si elles ont été destinées d’abord à donner de l’air et de la lumière dans ces lieux souterrains, ont fini par servir, probablement, à y introduire des eaux. Trois pierres semblables sont également placées dans l’un des bouts de la première salle, de manière à y suivre le mouvement de la voûte.

Il est un autre sujet à traiter et qui vient donner un grand poids à toutes mes conjectures. Portail. Au milieu des ruines, il est resté debout un portail dont l’architecture n’a certainement pas l’antiquité le l’édifice auquel il a appartenu. L’ai voulu me rendre compte de cette particularité, et je me suis. Arrêté à ce fait constaté par l’histoire : que, lors de l’introduction du christianisme, ses zélateurs ardents, les premiers pasteurs du Velay, soulevèrent, par leurs prédications, des portions considérables du peuple, et renversèrent plusieurs monuments de la religion païenne. C’est, entre autres, le sort qu’éprouva l’idole de Polignac, à en juger par ce passage d’une histoire particulière du Puy, écrite au 16 siècle, par le B. P. jésuite Odon de Gissey, Où il dit :  S’. Georges, qui fut le premier évêque du Velay, n’épargna rien contre le paganisme,  baptisant à troupes les Gentils, abattant leurs temples, et particulièrement , il mit par terre a le simulacre d’apollon, lequel on adorait sur « le haut roc de Polignac.

Ce que confirme encore cet autre passage de l’Histoire de Notre-Dame du Puy, écrite postérieurement, dans lequel le F. Théodore dit, en parlant de St Georges:  Infatigable qu’il était  à poursuivre ses saintes victoires, il allait attaquer la Gentilité dans les endroits où la réputation de quelque idole la rendait plus puis sante , et le seigneur de Polignac , obstiné à  adorer son Apollon, lui ayant fermé son château sans le vouloir entendre, on tient, que, par la vertu de ses prières, il renversa le fameux simulacre dont on voit encore les restes a couchés par terre.

Si donc le temple fut abattu, au moins en partie, il est à croire qu’une fois les séditions apaisées, et peut-être longtemps après, le seigneur de Polignac, qui était tant attaché au culte d’Apollon,. fit rétablir les parties de l’édifice qui avaient été détruites; ce qui explique la‘ construction gothique du portail, dont on retrouve la même architecture au chœur de l’église de SR-Paulien, et dans la partie la‘ plus ancienne de la cathédrale du Puy. Ce rapprochement indique presqu’une époque.

Au surplus, en parlant d’époque, il en est une précieuse à signaler ; le docte Sidonzizs Apollinarismes, évêque de Clermont, au 5° siècle, issu lui-même de la race antique des Polignacs, va, dans une lettre à I ’un de ses neveux, nous faire connaître lui-même que son grand-père fut le premier de sa famille qui embrassa le christianisme ; c’est ce qu’atteste l’épitaphe qui se trouve comprise dans sa XII°. Épître, au livre 111 de ses œuvres, épitaphe d’autant plus curieuse à rapporter qu’en même temps qu’elle constate le fait du changement de religion, elle rappelle les qualités éminentes, au civil comme au moral, qui distinguaient son aïeul. Voici cette épitaphe :


D’après ces derniers vers, il reste prouvé que, jusque vers le 5° Siècle, les seigneurs de Polignac ont dû faire travailler à la restauration d’un temple auquel ils tenaient d’autant plus qu’ils tiraient leur nom d’Apollon même, ainsi que l’assurent les plus anciennes chroniques du pays, et l’histoire écrite par le F. Théodore, dans laquelle, au livre m, chapitre m, il est dit :

Pour faire connaître la grande antiquité de la famille de Polignac, il faut savoir qu’à cause de l’idole de son château, elle portait le nom a d’apollinaire.

Il cite, à l’appui de son assertion ce passage latin : a Domus Äpollinarium antiquissima nomena que Apollinare adhùc hordiè retinet ‘et Polignac, ab indigenis incligetatur.  (Savaron, in Sid. lib. rv.)

Et, le célèbre Sidonius Apollinaris n’avait-il pas, même sous le christianisme dont il fut l’ornement et la gloire, n’avait-il pas, dis-je, conservé entier ce nom primitif

Mais cette digression m’a écarté de mon sujet, je parlais du portail du temple, il me reste à en donner une idée, la plus exacte possible : il est élevé d’environ trente pieds et à peine s’aperçoit-il, tant il est défiguré. Le ‘cintre de son ouverture et l’ouverture elle-même, du haut en bas, ont été, très} anciennement, remplis en maçonnerie. On s’en est servi comme d’un mur de pignon, pour la construction de gothiques appartements dont on‘ voit encore les larges et hautes cheminées à divers étages. Dans sa largeur, se trouvent prises deux portes irrégulièrement placées, dont une fort grande, et deux croisées au-dessus. Ses deux pilastres et son cintre sont ornés de sculptures ; et, dans le mur de façade qui se continue encore un peu vers la droite, on remarque une frise du même style. Si, comme, le sont nos églises actuelles, les temples du paganisme n’avaient pas été tournés vers l’orient, nous nous serions dit, en voyant la disposition de celui-ci, que, malgré sa large dimension, il pourrait bien n’avoir été qu’une chapelle chrétienne ; mais cette réflexion n’eût été que passagère, à vingt pas de là nous avons rencontré les ruines de la véritable chapelle du château, chapelle qui avait été bâtie dans la forme d’une église, et avec tous les accessoires convenables à. l’exercice du culte ‘catholique. Nous retrouvons donc bien, ici, les restes de ; Ce temple qui a donné tant de célébrité au rocher de Polignac; et, sa position , son emplacement, son étendue viennent, à l’appui de la tradition, nous prouver qu’il renfermait, dans son intérieur, la plus petite des deux excavations.

Une chose essentielle à rappeler, c’est qu’au bas du village, on voyait encore, au commencement du 18e  siècle, sur l’emplacement de la maison de M. Vialatte, les débris d’une espèce oratoire, ou ædicula; que là, probablement, les pèlerins déposaient leurs offrandes et qu’interrogés sur les questions qu’ils voulaient faire, elles étaient communiquées aussitôt aux prêtres du temple, lesquels ‘avaient le temps de préparer les réponses qu’il fallait que les consultants allassent chercher au haut du rocher.

Quant à la communication des prêtres entre eux, elle devait avoir lieu, du bas en haut du rocher, par une issue qui s’est retrouvée dans les ‘caves de la maison Vialatte. Là, on a pu à la lueur d’une lampe, parcourir un espace de cinquante pas environ, dans un chemin de cinq pieds de haut, sur deux et demi de large, taillé dans le roc, mais à cause de l’humidité et de l’absence de l’air, on a été bientôt forcé de rétrograder. D’ailleurs, on n’aurait pu avancer beaucoup au de là, puisqu’au dire du propriétaire, le chemin est obstrué, plus loin, par les pierres que l’infiltration des eaux a fait détacher, et que, dans la crainte des accidents, il a lui-même amoncelées pour empêcher qu’on y pénétrât.

Ce qu’il a été possible de reconnaître, par exemple, c’est que du niveau supérieur de la grande excavation, jusqu’à celui de la cour de M. Vialatte , se trouvent les cent quatre-vingts pieds que l’on a toujours donnés à la première profondeur du précipice; d’où l’on doit conclure que là était l’issue secrète aboutissant au bas de la grande excavation; excavation qui alors, éclairait et assainissait les galeries souterraines conduisant aux habitations des prêtres et, peut-être, aux salles mystérieuses du puits de l’oracle , au centre du temple. Ce puits, dont il a déjà été parlé, était hermétiquement fermé, au-dessus de l’autel qui le couronne, par une espèce de voûte présentant, à sa partie antérieure, le masque colossal d’Apollon, posé verticalement, et contenu par des agrafes en fer dont on reconnaît les restes au, revers du masque et sur les bords de l’autel. A Il me semble que ce qui précède rend bien facile l’explication du moyen employé pour faire sortir les oracles par la bouche de la divinité.

Il est un’ autre monument d’autant plus intéressant à décrire, qu’en‘ venant appuyer mes raisonnements et confirmer la tradition, il donne une date certaine.

Au bas du portique, un peu vers la gauche, se trouvent dix à douze belles pierres antiques, en grès blanc, bien taillées. L’une d’elles contient une inscription historique. Les lettres en sont formées et gravées avec soin ; et, à l’exception d’un seul chiffre, elle est parfaitement entière. Sa dimension est de trente-trois pouces de long, sur dix-huit de large. La moulure qui l’encadre est bien sculptée. Cette inscription a été citée par Faujas, mais inexactement, sans interprétation, sans réflexions aucunes et sans faire observer que le premier qui commençait la dernière ligne, avait été mutilé et avait disparu, ce qui importe, cependant, pour combiner les événements et constater des vérités historiques. Je la donne, ici, exactement, telle que je l’ai trouvée et que j’ai pu la lire :

Comme on le » sait, cette inscription atteste la présence et,’ en même temps, la politique ou la piété de l’empereur Claude. En effet, des traditions orales, plusieurs relations et de très anciens manuscrits s’accordent à dire que ce prince vint, en pompe, de Lyon à Polignac, consulter l’oracle d’Apollon ; qu’il y donna des preuves de son attachement à la religion, et que les prêtres consacrèrent cet événement par une inscription qu’ils firent placer sur les murs du temple.

Ici, l’époque est précisée : elle constate que les oracles de Polignac étaient alors célèbres sous le 4e consulat de Claude, l’an Rome 798 et, de notre ère, le 47e

Cette espèce de pèlerinage du prince qui, au titre d’empereur, réunissait celui de grand pontife, comme le rappelle l’inscription même, devait avoir pour but de mettre en honneur sa religion, dans les Gaules, et d’accréditer la sagesse et la puissance des prêtres ; d’autant plus que déjà le christianisme commençait à prendre de l’influence. Peut-être aussi voulait-il avoir la gloire d’achever l’œuvre de Tibère, son prédécesseur, et de se faire ordonner, par la divinité de porter le dernier coup au druidisme. C’est en ‘effet sous son règne que ce culte antique, trop peu connu peut-être encore, et astucieusement calomnié par la politique des Césars fut totalement aboli.

Quelques citations vont maintenant nous conduire à une conclusion simple et historique. Si nous ouvrons l’Histoire du Languedoc ; si nous consultons une Dissertation savante sur les Volces, si nous compulsons plusieurs vieilles chroniques, nous y trouvons la preuve qu’il existait un temple d’apollon, fameux par ses oracles, près des frontières de l’Auvergne, sur les confins du Velay, et, c’est bien la position de Polignac. Si nous recourons encore à l’ouvrage déjà cité du R. P. Odon de Gissey, nous y rencontrons une nouvelle preuve dans ce passage remarquable, où, en parlant du rocher de St-Michel au Puy, il rapporte ces vers beaucoup plus anciens encore que ceux qu’il écrit lui-même :

D’un château imprenable il est avoisiné, Où du Latonien le peuple embéguiné, Sur le trépied fatal consultait les oracles ; C’est d’où les Poloniacs illustres sont sortis. »

Enfin, d’autres passages que j’ai fait connaître ; plusieurs mémoires particuliers et beaucoup d’ouvrages qu’il serait trop long d’énumérer, confirment ce qui, jusqu’à’ présent, n’avait passé que pour des ’ conjectures, ou tout au plus, pour de simples souvenirs traditionnels.

Maintenant, en rapprochant tout ce qui précède, et liant entre elles les diverses parties, crois pouvoir établir ainsi l’ensemble de mon système.

Vers la frontière de l’Auvergne et du Velay, sur le haut rocher de Polignac, il a existé un temple d’Apollon, fameux par ses oracles. L’époque de sa fondation remonte aux premières années de notre ère, puisque déjà en l’an 47, l’empereur Claude y vint en pompe, comme pour accréditer la puissance du dieu, et qu’il y laissa des preuves de sa piété et de sa munificence.

Les débris et les issues mystérieuses que l’on retrouve encore sur le rocher, dans son sein et dans ses environs, révèlent les moyens secrets employés par les prêtres pour faire parler leur divinité et en imposer aux peuples.

Au bas du rocher, était une œdicula ; c’est là que les pèlerins, ou consultants, faisaient leur première station ; qu’ils déposaient, leurs offrandes et exprimaient leurs vœux.

Un conduit souterrain communiquait de cette œdicula au fond d’une grande excavation percée, en forme d’entonnoir, depuis la base jusqu’à la cime du roc. C’est par cette énorme ouverture que, prononcés, même à voix basse, les vœux, les prières et les questions des consultants parvenaient, à l’instant même, au haut du rocher, et que, là, recueillis par le collège des prêtres, les réponses se préparaient, pendant que les croyants, par une pente sinueuse et longue, arrivaient lentement au but de leur pèlerinage.

Les réponses disposées, les prêtres chargés de les transmettre, se rendaient dans des salles profondes, contiguës à un puits dont l’orifice venait aboutir au sein du temple.

Ce puits, couronné par un autel, était fermé par une petite voûte hémisphérique présentant, dans sa partie antérieure, la ‘figure colossale d’Apollon , dont la bouche entr’ouverte, au milieu d’une barbe large et majestueuse, semblait toujours prête à prononcer ses suprêmes décrets.

C’est aussi par cette ouverture, qu’au moyen d’un long porte-voix, les prêtres, du fond des antres du mystère et de la superstition, faisaient sortir ces oracles fameux qui, en portant dans les esprits le trouble, le respect et la persuasion, retardèrent de quelques siècles le triomphe complet et le règne du christianisme.

Telles sont les conclusions qui me paraissent les plus simples et les plus probables. Elles donnent une idée des pieuses fraudes dont les ruines de Polignac nous ont conservé la tradition et‘ les preuves.

Quant aux autres débris antiques qui auraient pu faciliter la description ou les explications des monuments de Polignac, on sait qu’ils ont été disséminés ; que beaucoup ont été employés dans le moyen âge, à la construction du château et de ses nombreux accessoires. Peut-être les plus marquants de ces débris, et qui ont encore conservé des formes, sont-ils ceux qui, lors de la destruction du temple par les ardents propagateurs du christianisme, furent, précipités au bas du rocher. C’est ainsi, suivant la tradition, qu’une quantité considérable de pierres devenues faciles à enlever, ont été bientôt, par un zèle tout religieux, transportées jusqu’au pied du Rocher-Corneille, où elles, ont servi à ajouter de nouvelles constructions aux constructions premières de 1’église déjà célèbre de Notre-Dame du Puy. Aussi est-ce dans les murs de cet édifice, ou de ses dépendances, que nous avons retrouvé plusieurs fragments curieux, plusieurs bas-reliefs qui se rattachent au culte d’Apollon, et qui rappellent les bienfaits du prince auquel le temple de Polignac dut de nouvelles richesses et sa magnificence. Ces fragments, enlevés avec soin, font maintenant partie des antiques du musée du Puy, et, par un rapprochement assez singulier, ils décorent le soubassement de la belle statue allégorique de l’Apollon du Belvéder.

Ce n’est pas anticiper sur mes propres relations, que de fixer l’attention, dès à présent, sur des objets déplacés ; je pense au contraire qu’il était convenable de les rapprocher, idéalement, le plus possible, du monument auquel ils ont appartenu. Examinons donc d’abord deux pierres, en beau grès blanc, taillées et sculptées sur deux faces opposées, et dont la primitive destination est d’avoir servi à la décoration du temple de Polignac.

Source de l’extrait :

Essais historiques sur les antiquités du département de la Haute-Loire

Charles Florent-Jacques Mangon de la Lande

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Ruessium, actuellement Saint-Paulien

À en juger par sa dénomination celtique et par le rapport de Ptolémée, Ruessium existait longtemps avant la conquête de la Gaule par Jules César. Ce devait être, alors, un bourg habité par les Velauniens ou Vellaviens, près de la frontière qui séparait ce peuple de celui de l’Auvergne. Il paraît que la présence des armées romaines donna à ce bourg une certaine importance, et qu’il prit bientôt de l’accroissement en étendue et en population. Il est avéré, du moins, qu’en l’an 727 de Rome, vingt-cinq ans avant notre ère, lorsque Octavius Cœsar, empereur sous le nom d’Auguste, vint présider, à Narbonne, l’assemblée générale des Gaules, Ruessium reçut le titre de ville ; que cette ville fut classée parmi celles de la province Aquitanique, et qu’elle devint le siégé de plusieurs établissements administratifs et politiques.  Sa position, en effet, convenait à un peuple vainqueur qui voulait affermir sa domination. Elle se trouvait sur la voie militaire qu’Agrippa venait d’ouvrir, et qui se dirigeait de Lyon vers l’Espagne où les Romains avaient envoyé des colonies; elle était protégée, ainsi que la route elle-même, par un camp que tout annonce avoir existé, à deux petites lieues de là, sur le plateau de la montagne d’Allègre; et cette distance était bien celle que les Romains avaient soin de calculer pour que leurs camps, dans lesquels ils fixaient leurs établissements‘ militaires, pussent , au besoin , servir à la défense; pour‘ qu’habituellement les citadins ne soient pas incommodés par les soldats, et qu’aussi les délices des villes n’amollissent pas le courage de ces derniers.

Il est de fait, au surplus que Ruessium ne tarda point à être distingué par « Prince », et à, se ressentir de ses faveurs.

En l’an 737 de Rome, lorsque, pendant son second voyage dans les Gaules, Auguste déclara libres plusieurs Cités, et leur conféra les droits municipaux, soit à cause des secours qu’il en avait reçus, soit pour la fidélité qu’elles lui gardèrent, la Vellavie fut comprise dans le nombre de ces Cités privilégiées

Quelques mémoires particuliers avaient bien fait mention de l’avantage qu’elle obtint alors, mais aucune preuve ne venait à l’appui d’un fait important dans l’histoire du pays. Nous venons de la retrouver cette preuve, sur une Inscription dont l’authenticité est irrécusable. Quoique d’une date postérieure, et quoique relative à un événement étranger à l’affranchissement de la Cité, cette inscription n’atteste pas moins la vérité historique qu’il importe de consacrer. La pierre qui la retrace est maçonnée, presqu’au niveau du sol, dans la face méridionale, à l’angle sud-est du bâtiment construit sur les fondations de l’ancienne église de Notre-Dame du Haut-Solier, Elle est gravée en creux dans un grès blanc très-dur (6), de trois pieds six pouces de long, sur deux pieds de large. Sa conservation est parfaite, est on y lit très-distinctement ces mots: _ . .

Combien peu de villes pourraient produire un titre semblable pour constater leur antiquité, en même temps que leur ancienne illustration ! et cependant ce titre précieux reste exposé à des mutilations journalières et peut-être à une destruction prochaine. Aussi j’exprimerai le vœu de le voir figurer, un jour, parmi ceux que conserve à la postérité, le musée du département de la Haute-Loire et avec d’autant plus de raison, que ce monument n’est point relatif à la seule ville de St-Paulien, mais qu’il appartient à toute l’antique Vellavie.

Jusqu’à présent, on n’avait pu lire et je n’avais moi-même aperçu que les trois dernières lignes d’Inscription, parce qu’en effet les deux premières ne sont bien visibles que par un temps pur, au moment où le soleil frappe dessus verticalement. Aussi, je rétracte toute interprétation que j’en aurais donnée dans des mémoires particuliers.

On remarquera que j’ai devancé l’instant de rapporter cette inscription, puisqu’elle eût trouvé sa place dans la description des antiquités du Haut-Solier; mais comme j’y ai découvert un titre fondamental des droits primitifs de la Vellavie , j’ai cru devoir en faire mention dans mes recherches sur l’origine et le lustre de la Cité , et puisque j’ai été conduit à en donner une explication, j’en tire cette conséquence que si, comme il y a lieu de le croire, cette inscription faisait partie d’un monument funéraire élevé sur la tombe d’Etruscilla, femme de l’empereur Trajan-Dèce, elle donne une nouvelle preuve de l’importance de Ruessium. En effet, pour que la veuve d’un Empereur romain soit venue terminer ses jours dans la capitale de la Vellavie, il fallait qu’il y existât un palais digne de l’ancien chef de l’Empire, et cette particularité a infiniment de rapport avec les débris précieux qui s’y rencontrent à chaque pas.

Au surplus, les réflexions qui précèdent me rappellent une découverte faite, en juillet 1821, dans le voisinage du Haut -Solier, lors d’une excavation pratiquée, en y creusant un puits découverte qui se rattache à mon sujet.

Monument sépulcral

Arrivé, dans l’excavation, à la profondeur de quatre à cinq pieds, on a trouvé cinq assises de très beaux blocs de grès blanc, parfaitement taillés sur les quatre faces, et présentant, à peu près, la base d’une pyramide isolée. Cette base, établie dans le roc, était encore appuyée, de trois côtés, par des murs solides qui venaient y aboutir, mais qui n’étaient construits qu’en pierres brutes. Ceci ne nous indiquerait-il point le monument élevé à la mémoire d’Etruscilla, surtout lorsqu’à quelques pas de là, se retrouve son inscription tumulaire ? Le monument, d’ailleurs, devait-être digne du personnage auguste auquel il était érigé, à en juger par la qualité, le volume et la coupe soignée des pierres qui lui servaient de fondement. Celles qui ont été tirées de l’excavation, avaient plus de cinq pieds cubes, et chacune d’elles a été vendue vingt et quelques francs, pour être cassées et employées dans de nouvelles constructions.

Quoique parmi les décombres, il se soit trouvé plusieurs médailles, je n’ai pu en obtenir qu’une seule qui m’a été ‘offerte par le propriétaire. Je me suis empressé d’en faire hommage au Musée du département. Elle est en grand bronze, du règne d’Antonin, et doit être ainsi déterminée :

D’après l’ouvrage intitulé : De la Religion des anciens Romains, dans lequel cette médaille est gravée, elle représente « la cérémonie des vœux « formés pour la santé du prince, par un prêtre « sacrifiant au-dessus d’un autel. » Le caractère particulier de cette médaille a pu la faire choisir avec d’autres, d’une expression à peu près semblable, pour être renfermées dans la tombe impériale.

C’est là, sans doute, une supposition, mais je m’y attache avec complaisance, comme à tout ce qui ajoute à l’idée que je me fais de l’antique splendeur de Ruessium, idée qui va se fortifier encore en cherchant à déterminer quelle a dû être son enceinte et son étendue. Le sol en est actuellement cultivé , mais, avec un peu d’attention, on ne peut le méconnaître. Il se trouve rempli de débris de carreaux, de briques et de tuiles antiques. On rencontre partout des fragments de vases, de poteries grossières et fines, des médailles et une foule d’objets qui ne laissent aucun doute sur l’existence ancienne de nombreuses habitations. Plusieurs fois, j’ai parcouru un vaste espace, tel qu’occuperait une de nos villes de quinze à vingt mille âmes ; constamment j’ai reconnu les mêmes vestiges. Des propriétaires, des cultivateurs, de simples ouvriers, en m’indiquant les terrains qu’il avait fallu déblayer pour les rendre à la culture, m’ont mis à portée de juger que la ville actuelle devait former la limite méridionale de l’ancienne ; que celle-ci se prolongeait, dans sa partie septentrionale, jusque près des monts qui l’abritaient des vents du nord, et qu’elle devait s’étendre, de l’est à l’ouest, depuis le communal de Chaumel, jusqu’au-delà de Marcha-Dial.

Si l‘on veut des preuves évidentes de la beauté, de la richesse de Ruessium, il faut examiner, en observateur, les débris épars, et ceux employés dans les murs, les édifices et les habitations de la ville de SH-Paulien; on y reconnaîtra des fragments de sculptures et de colonnes; de grandes et belles pierres travaillées, et on demeurera étonné que tant de restes d’architecture se soient ainsi conservés au milieu d’une ville si souvent incendiée et renversée, de fond en comble , lors des invasions successives des Vandales, des Goths , des Germains , des Sarrazins et « des Francs; et quand on sait qu’à une époque rapprochée de nous, lors des guerres de la ligue, cette même ville fut , de nouveau , entièrement saccagée par les armées ennemies de la cause d’Henri IV. On lit ‘même encore, sur l’un des piliers de la porte méridionale de la ville faisant face à la route du Puy, la date de sa dernière reconstruction, en 1415, date qui s’y trouve ainsi, en caractères mal formés :


Il y a plus : tous les jours, en travaillant à la terre, en la fouillant de quelques pieds, ce sont encore d’autres ruines précieuses que l’on découvre : des pans de murs revêtus en marbre , des plates-formes ou des bassins enduits d’un ciment indestructible ; des tuyaux souterrains artistement construits; des masses considérables de maçonnerie; enfin d’énormes blocs de grès équarris , taillés et liés encore par le ciment , formant de vieilles fondations.

Aussi ne doit-on pas s’étonner que, sur plusieurs des hauts lieux qui avoisinaient la capitale et qui faisaient partie de la Cité, il s’éleva des temples aux divinités qui allaient devenir les protectrices du pays, et c’est ce qui nous conduira, à travers l’incertitude des temps, vers les ruines et les monts de Polignac et d’Anis.

En cherchant où pouvaient avoir été construits quelques-uns des édifices principaux dans l’intérieur de Ruessium, il me semble qu’on peut s’arrêter sur l’emplacement de l’église actuelle et sur ceux appelés le Haut-Solier et Marcha-Dial, dont les noms conservent quelque chose de leur antique destination.

Église.

Je ne dirai qu’un mot, en passant, sur l’église de St-Paulien, parce que son architecture n’est que gothique : elle est ornée, à l’intérieur et à l’extérieur, de ces colonnes longues et grêles qui indiquent assez l’époque de sa construction. En général, sa forme est ‘pittoresque, et ses murs, au dehors, sont revêtus de mosaïques dont on retrouve les analogues et les dessins variés dans plusieurs édifices du moyen âge.

C’est au milieu de sa maçonnerie et de son architecture ; c’est dans ses alentours, que j’ai rencontré les premiers objets de mes recherches.

Fondement d’un édifice.

Il y a peu d’années que pour rendre l’église moins humide, on fit déblayer les terres qui s’élevaient un peu trop au-dessus des fondations. À peine eût-on creusé de quelques pieds, qu’on découvrit beaucoup de cercueils, en pierres de Blavozy, bien évidées, et, sous ces cercueils, les fondements d’un édifice qui devait être d’une étendue considérable, à en juger par la longueur d’une muraille très -bien construite en beau grès blanc, et d’un alignement parfait ; d’où l’on peut conclure que, là, un monument païen a été renversé; que  plus tard , sur ses ruines s’est élevée l’une des plus anciennes églises , et qu’au milieu des décombres, dans ce qui en formait l’enceinte, ont été inhumés les premiers prêtres du christianisme, peut-être les premiers chanoines épiscopaux de St-Paulien. Au surplus, une grande quantité des pierres qui furent ainsi découvertes, ont été extraites, vendues à un prix assez haut et employées dans de nouveaux bâtiments ; ce qui annonce que, dans cet endroit, comme dans vingt autres de l’antique Ruessuim, des fouilles faites avec méthode et avec soin, conduiraient non-seulement à des découvertes utiles dans l’intérêt des vérités historiques, mais peut-être même fructueuses par le produit qu’on retirerait des plus beaux matériaux.

Statue priapique.

Parmi les objets qu’on m’a fait remarquer dans la façade septentrionale de cette église, il en est un, à vingt pieds de haut environ, qui représente un homme ou un enfant nu, accroupi et tenant, d’une ‘main, ses parties sexuelles. Le dessin en paraît bon, autant que l’élévation où il est et ses mutilations permettent d’en juger. On lui a donné, vulgairement, le nom de Statue priapique. Il serait à désirer qu’on pût l’enlever et qu’on la déposât dans un musée, où elle serait placée plus convenablement que sur un temple catholique.

Il est cependant une conséquence chronologique à tirer de l’existence de ce monument. On sait que le culte d’1sis, d’abord introduit à Rome, y fut défendu sous le consulat de Pison et de Gabinius ; mais que, plus tard, Auguste le fit revivre; qu’il en releva les temples, et que les mystères de cette divinité de l’Égypte , redevinrent bientôt, parmi les Romains, ceux de la galanterie et de la débauche; ce qui ,’ en général, fait reporter au siècle d’Auguste les monuments de la nature de ceux dont il est ici question, Ainsi, un simple fragment de sculpture vient appuyer les réflexions déjà émises sur l’époque des premiers établissements dans Ruessium.

Fragments d’inscriptions.

Non loin de ce monument, un peu plus bas sur la droite, est un reste d’inscription qui paraît n’avoir que deux mots indéchiffrables, les lettres en étant à peine tracées ou presqu’usées, et d’une mauvaise forme.

Pierre tumulaire.

Dans l’un des piliers du milieu, se trouve placée une belle pierre tumulaire. Les lettres qui en composent l’inscription sont bien gravées et encore assez faciles à lire, quoique les lignes se présentent verticalement. Il en a été parlé dans quelques ouvrages, mais on ne l’a rapportée qu’incomplètement. Je la donne en entier, et j’y joins une interprétation autant exacte que possible. A cet égard, il est bon d’observer que, jusqu’à présent, aucune des inscriptions que j’aurai à citer, n’a été ni expliquée, ni positivement déterminée. Celle-ci, comme on le voit, ne laisse aucun doute qu’elle a été un monument de piété conjugale :

Toujours dans la même façade de l’église, au milieu d’un autre pilier, à huit pieds du sol et vers la gauche de celui qui contient la précédente inscription, est un bas-relief qui paraît représenter, en buste, quelque grand personnage romain. Il est sculpté dans un grès blanc. Le dessin et le travail n’en sont pas très-bons ; cependant, il présente de l’intérêt comme monument‘ La cassure inférieure de la pierre laisse croire qu’il y. existait une inscription, et tout annonce qu’elle devait être funéraire.

  Lorsqu’on rencontre de tels monuments sépulcraux, on éprouve le regret que le lieu où se faisaient les sépultures publiques n’ait pas encore été découvert. On pourrait y trouver des inscriptions qui donneraient quelques certitudes sur des individus et sur les dates.

Pierre des Triumvirs.

Il existe près de là, et implantée contre le même mur, une pierre quadrangulaire en grès de Blavozy. Les uns l’appellent, en patois, la Peyre clous treis virs ; d’autres la nomment le Carcan. Elle sort de trois pieds et demi de terre ; sa largeur est de dix-huit pouces ; son extrémité supérieure est terminée par une pyramide tronquée, dont la face antérieure est aplatie. Sur le devant du pilastre, sont sculptées trois têtes, en relief, sur une même ligne horizontale. Les figures sont mutilées et méconnaissables. Elle a été trouvée, il y a très-long-temps, vers la limite de l’ancienne banlieue de St-Paulien. Il n’y a, malheureusement, aucune trace d’inscription ; mais sa dénomination vulgaire et traditionnelle, sous les deux acceptions ; sa forme ; le sujet qu’elle retrace ; sa position à l’extrémité de l’ancienne ville ; tout semble dire qu’elle a dû être la pierre monumentale du champ des supplices, et que les trois têtes qu’on y voit, représentaient les triumvirs capitaux (triumviri capitales), magistrats qui étaient chargés de veiller à la garde des prisonniers et de présider aux exécutions.

Autel des sacrifices.

A quelques pas de ce dernier monument, et au milieu de la place, on a amené et posé avec beaucoup de peine une très-belle pierre d’un seul bloc de grès blanc. Elle est carrée et, à très-peu de choses près, égale sur ses quatre faces qui ont cinq pieds de large. Sa hauteur est de trois pieds. Elle est taillée avec soin et évidée, dans l’intérieur, par quatre arceaux qui lui donnent de la grâce et de la légèreté. Son dessus forme une table plate et unie.

Quelques personnes ont pensé que cette belle pierre avait pu être une tribune aux harangues ou un tombeau. On pouvait douter même si elle n’était pas un de ces piédestaux que Pline a nommé Arcs, et qui servaient chez les Grecs à porter les statues ; usage que les Romains ont imité, mais assez rarement. Cependant, comme ici la tradition doit être de quelque poids, et que, dans le vulgaire, cette pierre a conservé le nom de Pierre à tuer les bœufs, il est plus naturel de croire qu’elle était destinée aux sacrifices. Plusieurs trous qui se voient sur l’une des faces et qui, par des restes d’agrafes en fer qu’on y remarque, annoncent avoir contenu des anneaux, viennent en quelque sorte à l’appui de cette vieille opinion. Au surplus, elle a servi d’autel, pour le culte catholique, pendant plusieurs siècles, dans l’église dédiée à Saint Paulien, l’un des premiers évêques du Velay, le même qui donna son nom à la ville alors en possession du siège épiscopal. Cette église a été détruite ; son enceinte sert actuellement de cimetière.

Borne terminale.

Dans l’une des maisons de cette même place, chez M. de Solilhac, à, l’est et à l’angle d’un des bâtiments de sa cour, il, existe une très-petite inscription ; elle a cela de particulier, qu’un savant archéologue, M. l’abbé Leheuf, qui l’a vue et publiée, a déclaré qu’elle était la seule inscription antique bien conservée qui se trouvât dans St-Paulien. On a déjà pu juger que M. l’abbé Lebeuf n’avait pas tout vu. D’ailleurs, il a cru sans doute que l’inscription, quoique bien conservée, n’était pas complète, puisqu’il n’a pas essayé de lui trouver un sens quelconque, et qu’il s’est contenté de dire qu’elle ne contenait que ces lettres :

Je pense, moi, que la destination est suffisamment indiquée. Tous les auteurs qui ont écrit sur les pierres limitantes, semblent avoir donné l’explication de celle-ci, en faisant dériver le mot Herma du mot Hermès, dont les latins ont fait leur dieu Terme. Aussi, suis-je porté à croire qu’elle a servi de Borne terminale ou limitante du champ, de l’enclos, ou du domaine d’un propriétaire nommé Dion.

L’inscription qui est figurée ci-devant, est gravée dans un grès blanc de quatorze pouces de long sur neuf de haut, et peut se rendre ainsi : Herma sous-entendu campi Dionis ; Borne du champ de Dion. On aime à rencontrer ces preuves historiques du respect des peuples pour les signes consacrés par les religions. Les pierres terminales étaient des divinités champêtres, sur lesquelles le crime lui-même n’eût osé qu’en tremblant porter une main sacrilège.

Tumulus.

Quittons, maintenant, l’intérieur des murs, et transportons-nous vers l’extrémité orientale de l’ancienne ville ; là, sur le bord de la prairie communale de Chaumel, près du ruisseau de Chalan, en face d’un ancien chemin venant d’Yssingeaux, chemin qui pourrait bien être celui tracé dans la carte de Peutinger, se trouve un tertre en gazon, élevé « de huit pieds environ au-dessus du sol. Sa forme est ronde, et il est composé de terre végétale prise sur le lieu même, ce qu’on reconnaît encore au mouvement du terrain qui forme une espèce de fossé circulaire au pied du tertre.

Sur la cime de ce petit monticule, était placé un fût de colonne en grès taillé, uni, sans base et sans inscription. Il a quinze pouces de diamètre et trois pieds de hauteur. Ce fût de colonne a été renversé en 1819, lorsqu’on essaya d’y fouiller. Arrivé, perpendiculairement, à trois ou quatre pieds de profondeur dans le centre, on s’arrêta, et la colonne est restée gisante sur l’excavation que l’on avait commencée et qui fut interrompue sans résultat.

Le tertre dont il est question a toute la forme d’un tumulus, sous lequel peuvent bien avoir été déposés les restes, ou les cendres de quelque personnage distingué. Une chose même à observer, c’est que, placé sur cette petite éminence et examinant, avec attention , l’espace carré dont elle forme l’angle sud-est, on voit, et dans cette seule partie de la prairie , plusieurs tertres de formes diverses; et, quand tout annonce que la ville se terminait vers ce point, dans son quartier oriental, on forme la conjecture naturelle que cette portion de terrain a pu être consacrée à des sépultures générales ou particulières , selon la population et les usages de cette époque. Une fouille plus complète pourra peut-être, un jour, lever les doutes et conduire à quelques découvertes.

En remontant, sur la même ligne, de l’est à 1’ouest, on arrive au lieu nommé le Haut-Solier, dénomination que l’on croit dérivée d’Alto Soli, et provenant peut-être de l’existence, en cet endroit, d’un petit temple, Ædicula ou Sacellum, consacré au Soleil.

Là se trouve une butte presque entièrement formée de démolitions et de débris, à. travers lesquels, en creusant un puits, on rencontra, dit-on, un beau pavé mosaïque, à la profondeur de huit à dix pieds. ’

C’est à l’angle sud-est du bâtiment construit sur ce monticule, que l’on a renfermé, dans la maçonnerie, l’inscription d’Etruscilla, que j’ai rapportée ci-devant ; inscription qui constate les franchises de l’antique Vellavie. Dans le reste du bâtiment, et çà et là dans ses environs , il existe une quantité de grosses pierres en grès blanc , bien taillées, de différentes dimensions et portant, en elles-mêmes, la preuve quelles ont été employées dans les constructions romaines; ce qui se reconnaît à la forme des entailles qu’y faisaient pratiquer les architectes , pour les lier entre elles par des coins en bois , ‘en bronze , et quelquefois en fer, afin d’assurer la solidité et la durée de leurs édifices.

Fragment d’inscription.

Parmi les pierres employées, il.eu est une petite formant le linteau d’une lucarne, dans le pignon qui fait face au levant ; cette pierre présente le fragment d’une inscription dont les lettres sont grandes et bien gravées. Je ne les rapporte et les figure ici, dans la position où elles se trouvent, que dans l’espoir qu’un jour, la suite ou la contrepartie de l’inscription pourra se retrouver.

Aqueducs.

Une chose qui. a toujours étonné , c’est que la ville de St-Paulien, bâtie sur les ruines d’une ville  romaine, n’ait jamais eu que des eaux de puits et de citernes. Certes, les Romains n’étaient pas gens à s’établir dans un pays où l’eau potable et saine leur manquât, eux qui en faisaient la plus grande consommation, particulièrement pour les bains dont l’usage était commun à toutes les classes du peuple.

Aussi, lorsque dans les excavations que le hasard a fait faire, j’ai reconnu, presque partout des restes de cuves et de thermes, construits avec recherche et même avec luxe, je n’ai pas douté, un instant, qu’ils avaient établi les moyens d’y amener des eaux propices et abondantes. C’est donc vers la découverte des tuyaux conducteurs, ou des aqueducs, que mes soins se sont dirigés et vers les sources qui devaient les alimenter. J’espère être parvenu, au moins en partie, au but que je m’étais proposé dans l’intérêt de la ville elle-même.

Dans la maison Besqueut, attenant à la butte du Haut-Solier, on a construit une écurie sur une portion de terrain communal, et, de tous temps, réservé : circonstance essentielle à noter. Ce terrain a été usurpé sans autorisation, de sorte qu’on pourrait y fouiller et même en reprendre possession à volonté. Lorsqu’on creusa les fondations de l’écurie, on rencontra à l’aspect de l’ouest, un aqueduc solidement voûté, entièrement revêtu en ciment, ayant quatre pieds de large, sur cinq de haut, et conduisant un jet de quatre à cinq pouces d’eau de source. Le sieur Besqueut en profita pour fournir des eaux abondantes à un puits ou citerne qu’il fit pratiquer ; et il ferma aussitôt, en maçonnerie, la large ouverture de l’aqueduc, pour n’en conserver qu’une suffisante au passage du filet d’eau dont il avait besoin. Depuis cet événement, on a remarqué qd’ une fontaine s’est tarie au bas de la côte de Choubert, à une demi-lieue de Saint-Paulien ; ce qui donne à penser que l’aqueduc doit aboutir dans ces environs. Des témoins oculaires m’ont assuré que cet aqueduc est de toute beauté, et qu’il ne faudrait qu’enlever quelques pierres à l’ouest du puits pour entendre bouillonner l’eau.

Un autre aqueduc existe encore au faubourg de Langlade, dans la cave du sieur François Cortial. On n’en a point vu l’intérieur, mais on y entend l’eau couler.

Toujours est-il qu’avec très-peu de frais, le premier de ces aqueducs pourrait être rendu à son antique destination et je ne fais qu’un vœu, c’est que mes recherches archéologiques m’ayant conduit vers une découverte d’un intérêt majeur, la ville de St-Paulien puisse bientôt en profiter et y trouver une source inaltérable de santé et d’utilité générale. 

Reprenons maintenant nos courses, remontons encore vers l’ouest, et en suivant la même direction, à peu de distance du Haut-Solier, nous nous trouverons dans le quartier nommé Marcha-Dial. A en juger par les étymologies, on peut croire que là était l’habitation des Flamines, ou au moins du grand-prêtre de Jupiter, le FlamenDialis. Les environs sont remplis de nombreux débris de vases, de poteries, de briques et de marbre. Dans toutes les maisons et les murs qui environnent la place, on remarque de grosses et belles pierres antiques bien taillées. Sous une grange démolie, appartenant au sieur Roux, à trois pieds de profondeur, on a rencontré les restes d’un vaste bassin bien cimenté, et, tout auprès, les vestiges d’une étuve dont les tuyaux de chaleur étaient en marbre blanc, poli sur les deux faces. J’en ai vu plusieurs pièces ayant deux à trois pieds de longueur, sur neuf à dix pouces de largeur. Tout annonce que là existait quel qu’établissement riche et somptueux.

Inscription.

C’est dans la façade méridionale de la maison du même propriétaire que se trouve une inscription incomplète, citée, depuis longtemps, dans un ouvrage du frère Théodore, ayant pour titre : Histoire de N.-D. du Puy. On y lit, page 34, que la pierre qui contient l’inscription, est une pièce de marbre. On s’est trompé ; c’est un grès blanc semblable à celui généralement employé par les Romains, dans ce pays. Cette pierre, dans sa cassure actuelle, est à peu près carrée sur deux pieds, huit pouces.

Comme il est possible qu’elle se soit trouvée moins mutilée il a trois ou quatre siècles, je vais rapporter l’inscription telle qu’elle a été donnée alors et, en même temps, telle que j’ai pu la déchiffrer après l’avoir plusieurs fois vérifiée à des heures différentes et lors que le soleil l’éclairait de divers points. Il est bon de remarquer les lettres en sont eu creusées et mal formées, qu’on les découvre avec d’autant plus de peine que la pierre est usée, et qu’ayant été placée au hasard, les lignes se présentent verticalement.

À la vue de cette inscription, on jugera qu’il serait difficile même d’en hasarder une interprétation; aussi n’ai-je pas cherché à en pénétrer le sens. Je ne la rapporte que pour exciter la curiosité des amateurs Peut-être un jour s’en trouvera-t-il de plus hardis ou de plus heureux que moi. Il est bon d’ajouter encore que c’est dans ce quartier de Marcha-Dial, que venait aboutir la grande voie romaine qui traversait la Vellavie, ou que’ c’est de ce point qu’elle partait en se dirigeant au nord et au midi. Ce quartier est aussi celui où, sans en chercher, il se rencontre encore aujourd’hui, une foule de débris de tuiles, de poteries et de marbres amoncelés à la superficie du sol ; d’où l’on peut conclure qu’il formait, à peu près, le centre de l’ancienne ville , ce qui s’accorde aussi avec l’emplacement que je lui ai‘ supposé.

Fouilles.

J’allais quitter l’article de St-Paulien, au moment où je reçois la lettre suivante. La haute idée que vous m’avez donnée des vestiges de Ruessium, ancienne capitale du Velay, aujourd’hui St-Paulien, m’a engagé à les visiter moi-même et à satisfaire m’a curiosité. Je m’y suis rendu le 26 juillet 1822, et j’ai été en effet convaincu qu’il y a eu dans ces lieux, une ville importante et riche. Voici les observations que j’ai faites d’après un léger essai de fouilles qui ont eu lieu sous mes yeux.

Champ de Blancheton, à droite en sortant de SH-Paulien pour aller à Craponne, vis-à-vis l’auberge de Chazal, j’ai reconnu :

1°. Des murs en pierres communes et assises droites, revêtues de ciment uni et coloré, formant diverses distributions.

2°. Beaucoup de plâtras de plusieurs couleurs ; le bleu ciel parfaitement beau et bien conservé, peintures à fresque représentant des feuillages et un arbre avec mouches noires et blanches, d’assez mauvais goût; divers encadrements.

3°. Une médaille de Domitien, en grand bronze, vernis antique et bien conservée.

4°. Plusieurs morceaux de marbre blanc qui ont dû servir à des revêtements.

5°. Des pavés en ciment très-uni, d’une grande épaisseur, ou plutôt trois l’un sur l’autre.

6°. Des briques, dont une de cinq pouces environ d’épaisseur.

7°. Diverses poteries, rouge fin et moyen, avec bas-reliefs ; noires, et blanches extérieures, fines, etc.

Champ plus loin de la ville, à gauche du même chemin :

1°. Des débris de poteries semblables.

2°. Des murs et pavés en ciment.

3°. Des plâtras colorés.

4°. Des briques.

5°. Des vestiges de rues anciennes.

6°. Une médaille, en petit bronze, de Claudius gothicus.

7°. Enfin, une autre de Caracalla, en grand bronze, d’une belle conservation.

Je ne pouvais espérer un plus grand résultat d’une fouille faite par deux hommes, et qui n’a duré qu’un jour et demi.  Il y a tout lieu de croire que, faites-en grand, suivies avec constance, les recherches, à St-Paulien, auraient les plus heureux résultats.

La lettre que je viens de transcrire ici, fortifie toutes mes espérances et ajoute à la conviction générale qu’une fouille, bien combinée, exécutée avec soin et d’après un système raisonné, dans le sol de la ville antique qui a possédé les premiers et les principaux établissements romains, dans ce pays, procureraient des fruits et des documents précieux pour la science archéologique et pour l’histoire.

Recherches diverses.

Comme, en fait d’antiquités, rien ne doit être omis ; que la plus petite pierre monumentale, la moindre inscription, telle incomplète qu’elle soit, peuvent mettre sur la voie d’une découverte, lever un doute ou confirmer une vérité, je me suis fait un devoir de rapporter tout ce que j’ai découvert par moi-même, comme ce que j’ai recueilli par tradition, ou dans quelques mémoires particuliers. Il est possible qu’un jour, on retrouve tout ou partie des objets enlevés, cachés ou égarés. N’en point parler, dans ce mémoire, serait en laisser perdre la trace et, en quelque sorte, consacrer un vandalisme.

Source de l’extrait :

Essais historiques sur les antiquités du département de la Haute-Loire

Charles Florent-Jacques Mangon de la Lande

http://books.google.com

Voies romaines dans le Velay

C’est de Ruessium que se comptaient les distances dans la Vellavie. Ce fait, fort important à signaler, résulte de vérifications qui ont établi qu’effectivement lorsqu’on trouva les colonnes milliaires de cette province elles étaient, en général, et sur des voies romaines et à un éloignement plus ou moins conforme à celui qui se trouve indiqué sur ces colonnes.

Or, Bergier cite certaines capitales ou métropoles desquelles partaient, à l’imitation de Rome, plusieurs routes « qui s’étendaient, dit-il, au long et au large, par les régions voisines, cette centralisation locale lui paraît même une preuve de la prééminence des villes ainsi déterminées. D’où l’on peut conclure, surtout avec l’appui des autres témoignages que nous avons produits, que Ruessium fut véritablement une cité considérable.

Les premières routes romaines de la Vellavie durent consister d’abord dans l’amélioration de celles qui existaient déjà, puis progressivement dans la création de celles qui mirent en rapport la capitale de la province avec Lyon, métropole des Gaules, et avec les chefs-lieux des pays circonvoisins. Sans aucun doute les années de ces créations ne sauraient être strictement précisées, néanmoins elles étaient de date fort ancienne sous Alexandre-Sévère, Maximien et Jules-Philippe, puisque nous trouvons des inscriptions constatant qu’au temps de ces trois empereurs, en 234, 235, 244, on répara les ponts et les routes du Velay, qui tombaient de vétusté.

D’un côté l’histoire nous apprend les immenses travaux en ce genre entrepris par Auguste et par ses successeurs, de l’autre nos études archéologiques nous ont démontré l’importance de Ruessium dès le commencement de l’Empire ; c’est pourquoi nous n’hésitons pas à croire que les grandes lignes de communication dont nous allons bientôt parler se reportent à cette époque.

 Pour nous, la pierre de Polignac se rattache aux premiers chemins de la Vellavie gallo-romaine. Sa forme, ses dimensions, l’inscription qu’elle contient, la manière dont cette inscription est formulée, sa parfaite similitude avec vingt autres milliaires trouvés sur tous les points des Gaules, en sont un irrécusable témoignage ; et il suffit de se mettre sous les yeux le dessin des monuments lapidaires de Beaucaire, de Nîmes, de Billom, celui surtout de Vollore-ville, dans l’arrondissement de Thiers (Puy-de-Dôme), pour rester convaincu que le grès de Polignac n’eut jamais d’autre destination. Il est vrai qu’on n’y voit aucune indication numérique et que c’est à ce caractère essentiel qu’on reconnaît ces sortes de monuments ; mais il ne faut pas oublier ce que nous avons dit à ce sujet. Du reste, deux causes peuvent expliquer l’absence de chiffres : ou l’inscription n’est plus aujourd’hui complète dans la partie inférieure, ou même, en la supposant entière, on peut admettre que le milliaire était gravé au-dessous, sur un pilier servant de base.

Il est à remarquer, en effet, qu’alors ces sortes de pierres étaient érigées avec un certain appareil. Ainsi, celle de Vollore-ville représente une colonne interrompue aux deux tiers de sa hauteur par une espèce d’écusson sur lequel se trouve la formule dédicatoire à l’empereur Claude. Le plus important des grands chemins de la Vella vie, celui du moins dont il nous reste le plus de vestiges, conduisait de Ruessium à Lugdunum et, par un embranchement, à Mediolanum (Moingt, près de Montbrison). De temps immémorial il est appelé dans le pays VIA BoLENA, probablement en mémoire du magistrat chargé de son exécution, car personne n’ignore que c’était un usage assez ordinaire chez les Romains de donner aux principaux chemins d’une contrée le nom de ceux qui en avaient dirigé les travaux. Toutefois, cette désignation de Bolena n’appartient pas exclusivement à la portion de route qui traverse la Vellavie, puisqu’après le Pontempeirat, Usson et Saint-Bonnet, la voie romaine se dirige vers Moingt où elle garde encore le même nom.

La BOLENA sort de Ruessium, va directement à St-Geneys que M. de La Lande croit avoir été une Mansio ; Saint-Geneys, nous l’avons dit, conserve des restes de constructions antiques.  De là, elle se rend près de Saint-Just en laissant un peu sur la gauche les Baraques et Salaver. De Saint-Geneys à Saint-Just la voie romaine se confond presque toujours avec la route actuelle de Craponne, mais à partir de ce point elle s’en éloigne, s’avance du côté de Themey et de La Monge, vient à quelques pas de Chomelix, croise un peu plus loin la route de Craponne, traverse l’Arzon à un passage qu’on appelle encore aujourd’hui le pont de César, puis arrive en face du petit village de Mondouilloux, où fut trouvée une pierre milliaire portant cette inscription à demi-brisée :

IMP CAES M AVR.

VE. AL…

DRO PIO FEL AVG

.V.ANTONINI

…A GNI FIL DIVI

.V.I NE POT

.VEL L.

MP. XII.

Inscription qu’il faut ainsi rétablir : IMPERAToRi CAEsARI MARco AURELio sEvERo ALEXANDRO, PIO, FELICI, AUGUST0, MARCI AURELII ANTONINI MAGNI FILI0, DlVI SEVERINEporis; – CIVITAS VELLAVORUM MILLIA PASSUUM XII.

De Mondouilloux, la Bolena passe à Antreuil, à Bourgènes, à Aubissoux, aboutit au Pontempei rat (pons imperatoris), où la découverte de fragments antiques a permis à M. de La Lande de supposer, à cause de la proximité de Castrum Vari, qu’un arc triomphal avait été élevé en cet endroit au général dont le souvenir semble s’être éternisé sur ce territoire.

C’est un peu après le Pontempeirat que la voie romaine sort du Velay pour entrer dans la petite ville d’Usson, en Forez. Là encore on a été assez heureux pour retrouver une pierre milliaire. Voici l’inscription qu’elle porte et qu’il est essentiel de signaler, parce que nous allons bientôt la retrouver sur deux autres points :

[ MP CAESAR…

VS MAXIMI…

FELIX AVGDM

PROCOS PRIM

ETREIV LVERV.

NOBILISSIMVS

PRINCEPS IVV ENTV

TISVETVSTATCON

RESTITVERVNT

M. X I III

IMPERATOR CAESAR JULIUS MAXIMINUS , FELIX, AUGUSTUS, PONTIFEX MAXIMUS, PROCONSUL PRIMUM, ET FILIUS EJUS JULIUS vERUs, NoBILIssIMUS PRINCEPs JUVENTUTIs, vETUSTATE CoNLAPSAM (vIAM) RESTITUERUNT.-MILIARE QUATER DECIMUM.

Enfin, la Bolena conduit d’Usson à Estivareilles, de là à Saint-Bonnet-le-Château (Castrum Vari) ; où nous avons dit qu’elle se partageait en deux branches dirigées, l’une sur Lyon, l’autre sur Moingt. A l’occasion de cette voie romaine, il s’est élevé de nombreuses dissertations sur la direction du chemin, ainsi que sur le nom et sur le véritable emplacement d’Icid-magus et d’Aquis-Segete. Quelques écrivains, au nombre desquels nous nous rangeons, ont prétendu que l’Yssingeaux actuel ne remontait pas au-delà du moyen-âge ; d’après eux Usson serait la ville indiquée dans l’itinéraire sous le nom d’Icid-magus ou d’Usso-magus, et Saint-Galmier serait l’Aquis-Segete des anciens ; dès lors ce serait la via Bolena dont nous aurions le tracé dans la carte de Peutinger.

En quittant Ruessium dans la direction opposée à celle que nous venons de parcourir, on peut suivre les traces d’une seconde voie romaine parfaitement conservée en beaucoup d’endroits. Celle-ci n’était pas moins importante que l’autre, puis qu’elle n’était que sa continuation ; on les voit marquées toutes les deux sur la carte de Peutinger comme une seule et même route traversant Revessione et conduisant de Lugdunum à Anderitum, capitale du Gévaudan. Il est facile de déterminer encore les points principaux par lesquels elle passe :

De Ruessium elle arrive presque en droite ligne sur un petit ruisseau appelé Bourbouilloux (le bourbeux), près duquel gisait un fragment de colonne aujourd’hui au musée du Puy et sur lequel se lit ce reste d’inscription :

CAESAR PRINCEPS

IVVENT VIAS ET

DONTES VETVS

TATE CONLAPSAS

Comme il résulte du simple examen de cette pierre que la partie supérieure en a été enlevée et qu’il faut donner un sens à ce qui n’est ici que la fin d’une phrase, nous ne doutons pas que les deux inscriptions précédentes ne soient de la même époque et n’aient été dédiées aux mêmes princes dans le même but ; c’est pourquoi nous pensons que les six premières lignes de la colonne d’Usson doivent servir à compléter ce qui manque à celle dont nous parlons.

De Bourbouilloux on suit les traces de la voie romaine jusqu’à la Borne, puis après avoir passé un pont, dont l’existence en cet endroit est confirmée par quelques débris antiques, on s’approche du village de Borne. C’est près de là que devait se trouver une colonne transportée, on ne sait à quelle époque, dans une propriété voisine de Ruessium ; cette présomption semble du moins suffisamment justifiée par le chiffre qui termine cette autre inscription :

DD NN

IMDM IVL PHILIP

DOPIO FELIC AVG

ET MIVL DHILIP

DO NOBILISS

CAES CIVIT VEL

M P. III.

DOMINIS NOSTRIS, IMPERATORI M. JULIO PHILIPPo, pIo, FELICI , AUGUST0, ET MARCO JULI0 PHILIPPO NOBILISSIMO CAESARI. CIVITAs vELLAvoRUM MILLIA PAssUUM III.

De Borne on prend la direction de Saint-Vidal sans descendre néanmoins dans le vallon, et l’on va en ligne presque directe près du hameau de Sanssac où se trouvait encore une dernière colonne portant :

I)l) NN

IMP MIVL PHILIPPO

PIO FEL AVG

ET MIVL D HILIDpO

NOBILIS C MES

CIVIT VEL A.

MD VI.

DOMINIS NOSTRIS , IMPERATORI M. JULIO PHILIPPO , PIOFELICI , AUGUST0 ET MARC0 JULI0 PHILIPPO NOBILISSIMO CAESARI , CIVITAS VELLAVORUM , MILLIA PASSUUM VI.

Les recherches de plusieurs archéologues ont permis de déterminer la continuation de cette route jusqu’à Sanssac. A partir de cette localité, il semble qu’il y ait quelque incertitude sur la direction que suivait la Via Bolena. Les uns en poursuivent le cours par l’avenue de Barret, Saint-Privat, Monistrol et un lieu qu’ils désignent pour le Condate marqué sur la carte théodosienne, lequel se trouvait au con fluent de l’Allier et de la petite rivière de Verdicange. D’autres placent Condate sur l’emplacement de la petite ville de Saugues ; d’autres enfin le voient à Condres, près de Saint-Haon, au confluent de l’Allier et de la rivière de Chapeauroux, où ils arrivent en passant dans les parages de Très-Peux, Souis,

Chasse-Vieille et Letor. A l’appui de cette dernière hypothèse, on peut invoquer les recherches de M. Ignon, de Mende, qui a suivi lui-même dans le Gévaudan le parcours de cette voie romaine depuis Javols (Anderitum), capitale du pays des Gabales, jusqu’aux ruines du pont de Saint-Haon.

Les défrichements pratiqués sur un grand nombre de points ont démontré qu’ici et là il se rencontrait des vestiges de voies antiques, soit de routes impériales, soit de chemins d’embranchements. Les substructions se composaient de quatre couches, dont trois de pierres superposées et séparées par des couches de terre grasse ou de mortier assez épais. La première de ces couches est en grosses et larges dalles, la seconde en pierres un peu moins fortes, la troisième en petits cailloux alternativement de la grosseur d’un oeuf et d’une noix, et noyés dans une espèce de ciment très-dur, la quatrième enfin était formée d’un gravier tel qu’on l’emploie aujourd’hui sur nos chemins. On comprend que ce gravier a dû presque entièrement disparaître.

M. le chanoine Sauzet signala, il y a quelques années, la découverte d’une nouvelle colonne milliaire encastrée depuis longtemps dans les vieux murs du cimetière de la paroisse de Saint-Jean-de-Nay. Cette pierre, qui a 87 centimètres de hauteur et 35 de diamètre, est aujourd’hui tronquée à son sommet. L’inscription n’occupe pas tout le périmètre de la colonne ; le vide qui se trouve entre la fin et le commencement des lignes est rempli par un pointillé qui règne du haut en bas. Voici comment elle est conçue :

MOCASSIANO.

R A POSTVMO.

RE AVG C. V. FEL.

M P. VIII.

MARCo CAssIANo, FILIo AUGUSTo PosTUMo (Galliarum) RESTAURATORI AUGUST0 COSS. V. FELICI. – MILLIA PAS sUUM vIII.

Une seconde voie romaine, dont on a cherché à rétablir le tracé, se retrouve près de Beaulieu, arrondissement d’Issoire, à Vergongheon, à Brioude, à La Chaumette, près de Chastanuel (commune de Jax); elle longe à droite le village de Fix, franchit le plateau de Fay, passe près de l’Estrade, de Lanthenas, de la montagne de la Garde, arrive à Marcillac où elle rejoint la Via Bolena. M. Jusseraud, ingénieur des mines, constate la présence de cette voie romaine au moment où elle traverse les bassins houillers sur les rives de l’Allier pour se diriger sur la Haute-Loire. Dans une profonde tranchée pratiquée au-delà de la station de Brassac, lors de l’exécution du chemin de fer, on trouva en assez grand nombre et sur une largeur de 100 mètres environ, des débris de poteries rouges, de tuiles, de briques plates à rebords, de styles, de fibules, et plusieurs médailles bien conservées. Au-dessous de ces fragments, une chaussée antique coupait perpendiculairement la voie ferrée dans la direction de l’Ouest à l’Est, pour aller traverser l’Allier à 300 mètres plus loin. – M. Jusseraud en a relevé la coupe que nous donnons ici, et la décrit avec précision.

Une couche végétale A, dit-il, renfermant quelques débris de tuiles et de briques, recouvre, sur une épaisseur de 0m,50, un lit de béton B de 0m,15 à 0m,20, et indique que la voie avait 5m,50 de large à sa partie supérieure. Au-dessous du béton se trouve une couche de cailloux roulés de la grosseur d’un oeuf, sur une épaisseur de 0m,25 ; puis, encore au-dessous, un lit de 0m,40 de cailloux beaucoup plus gros atteignant un décimètre cube D. Le tout est encaissé dans une large tranchée de forme trapézoïdale reposant sur 0m,60 de terre végétale E, et en fin sur les schistes houillers F.

Entre Beaulieu et ISSOire, M. Bouillet a découvert une colonne sur laquelle, il est vrai, ne se lit aucune indication ; mais arrivé à Paulhaguet, Bergier nous en signale une autre d’un intérêt d’autant plus local pour nous qu’elle est la troisième portant la même inscription. Voici, du reste, comment il s’exprime à ce sujet :  M. Savaron, président en Auvergne, de qui le nom est assez connu par sa doctrine, m’a fourni quatre inscriptions par lui vues et extraites de certaines colonnes milliaires qui sont ès environs de son pays : la première desquelles se trouve à Paulhaguet et nous enseigne que le fils de quelque empereur qui se qualifie de Prince de la Jeunesse a fait réparer les chemins de ce pays-là.

CAESAR PRINCEPS

IVVENTVTIS

pONTEM ET

VIAS VETVS

TATE COLLAD

RESTITVIT.

Quoique cette inscription et celle de Bourbouilloux aient une singulière analogie, et qu’au premier abord on soit porté à penser que c’est la même, cependant trois circonstances se réunissent pour prouver qu’elles sont très-distinctes l’une de l’autre :

1e les différences matérielles dans plusieurs mots ; Pontem au singulier, au lieu de Pontes, Collap en abréviation, au lieu du solécisme Conlapsas, juventutis qui est ici écrit en entier, tandis que sur la pierre de Bourbouilloux il n’y a que juvent, enfin le verbe restituit dont on ne trouve sur l’autre inscription qu’une seule lettre ;

2e la distance des deux localités, qui ne permet pas de supposer que le président Savaron eût pu prendre l’une pour l’autre ;

3e le peu de vraisemblance que la pierre antique, trouvée en 1823 par M. de La Lande sur le bord d’un ruisseau et servant de piédestal à une croix, eût été vue à plusieurs lieues de là deux cents ans avant par Savaron, et surtout ait été copiée par lui d’une manière si peu exacte.

Avant d’achever ce chapitre, nous devons rectifier quelques erreurs provenant de calculs faits d’après les chiffres gravés sur les colonnes milliaires. Ces chiffres étaient certains lorsque les colonnes furent originairement disposées sur les routes ; mais ils ont cessé de l’être, on le conçoit, du moment que ces pierres indicatrices furent déplacées. Ne pensant pas à ce changement, que plus de quinze siècles rendent pourtant bien présumable, plusieurs archéologues ont calculé au moyen des chiffres marqués sur ces colonnes et ont écrit, par exemple, que de Ruessium à Sanssac il y avait six milles, et à Saint-Jean-de-Nay huit milles, puisque les milliaires trouvés dans ces villages indiquaient ces distances. S’ils avaient pris un compas, ils auraient vu que sur la carte, à vol d’oiseau même, de Ruessium à Sanssac il y avait plus de six milles, et à Saint-Jean-de-Nay plus de dix. Il était donc bien impossible qu’il n’y eût pas un parcours beaucoup plus considérable par le chemin de terre, quelque direct qu’on le suppose.

Source de l’extrait :

HISTOIRE DU VELAY ANTIQUITÉS CELTIQUES ET GALL0-R0MAINES

PAR FRANCISQUE MANDET

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Le Velay au temps de César

César avait mis neuf années à dompter ces peuples qui passaient pour indomptables ; pendant ce temps il avait pris d’assaut plus de huit cents oppida, subjugué trois cents peuples, combattu trois millions d’hommes, fait mille prisonniers. C’était beaucoup sans doute d’avoir vaincu, c’est ensuite bien d’avantage d’assurer la conquête. Le proconsul y applique son génie. On le voit parcourir les Gaules, visiter les cités, exempter les plus malheureuses de charges trop lourdes, accorder ou promettre à d’autres son appui. Il ne touche à rien encore ; il s’est donné pour première mission de calmer les douleurs, de rassurer les inquiétudes, d’inspirer à tous une grande confiance. L’impôt de quarante millions de sesterces dont il frappe cet immense territoire est réparti avec le plus d’équité possible, et même, pour lui enlever ce qu’il peut avoir d’humiliant, reçoit le nom de solde militaire. Il faut que la transition puisse s’opérer sans secousse ; aussi, point de ces confiscations, de ces proscriptions cruelles qui signalèrent si tristement les exploits des Sextus et des Domitius. Il est nécessaire que César se fasse promptement aimer, car il n’a pas le loisir d’attendre ; d’autres soins d’ambition l’appellent à Rome.

Pompée et le sénat sont contre lui, tout peut lui échapper en un jour. C’en est fait, il va lever les étendards de la guerre civile ; mais il sait que l’ancienne province romaine est amie de Pompée et peut se tourner contre lui après son départ, il lui importe donc que la nouvelle, qui est son œuvre, lui demeure fidèle. En toute hâte il s’attache les chefs, leur promet, s’il réussit, des dignités, des charges, des richesses, des honneurs ; il organise de ses propres deniers, avec les braves vétérans des armées de l’indépendance et avec la fleur de la jeunesse gauloise, la formidable légion de l’Alouette ; puis, confiant en sa fortune, tire sa glorieuse épée du fourreau et passe le Rubicon.

Ne suivons point César entrant dans Rome à la tête de ses Transalpins, dispersant ses ennemis, le sénat et Pompée, s’emparant, sans crainte du sacrilège, des trésors mis en réserve dans le temple de Saturne pour combattre les Gaulois et dont lui-même fait largesse aux Gaulois, courant soumettre l’Espagne en quarante jours, traversant, sans s’arrêter, les Alpes maritimes, assiégeant, prenant Massalie, imprudente alliée de son rival. C’est le vol de l’aigle. Tout fléchit sous les pas du héros. Le peuple enthousiasmé le proclame dictateur ; et lui, qui n’a rien oublié, d’un côté, ouvre les portes du sénat aux chefs des tribus qui l’ont le mieux secondé, accorde à plusieurs cités les prérogatives des cités romaines, donne son patronage et son nom aux villes, aux familles celtiques dont il connaît le dévouement, décore en masse du titre de citoyen de la république tous les légionnaires de l’Alouette ; de l’autre, punit la province Narbonnaise de sa préférence pour Pompée en lui imposant trois colonies militaires, et pour rendre ce souvenir éternel, fait dresser au milieu du forum de Némausus des tables monumentales sur lesquelles il inscrit en partant la date de cette dernière victoire. Mais les sénateurs n’ont pas pardonné les sanglantes humiliations que leur a fait subir le dictateur ; ils l’attendent, le laissent s’enivrer dans son plus splendide triomphe, l’assassinent sur son siège, lui donnant à peine le temps de couvrir son visage pour ne pas voir dans ses meurtriers ceux qu’il croyait ses amis les plus chers.

En ce temps-là les beaux-arts de la Grèce étaient en grand honneur à Rome. Pompée avait fait élever à ses frais le temple de la Vénus Victrix et celui de Minerve ; Lucullus, ce fastueux romain, fonda celui de la Félicité ; Paul Émile construisit, l’an 54 avant J.-C., la magnifique basilique qui a porté son nom et qui est la septième. Des esclaves, des affranchis grecs, élevés dans les écoles d’Athènes, reproduisaient sur le bronze, sur le marbre, les immortels chefs-d’œuvre de leur patrie. Des artistes illustres, séduits par la munificence de sénateurs, plus riches que des rois, n’avaient plus d’autre ambition que celle de voir leurs ouvrages décorer les palais, les places publiques de la métropole universelle. Cnéïus, Agath-Angelus étaient de très-habiles graveurs ; Quintus Lolius, Evandre l’Athénien, Arcésilaus et Criton, des statuaires d’un rare talent ; Fasilète, un ciseleur renommé, dont quelques ouvrages sont même très-vantés par Pline et par Cicéron. Le dictateur aimait les arts ; ses immenses richesses, son pouvoir presque suprême lui permirent de leur imprimer une vive impulsion. Il embellit le Capitole, éleva des temples à Mars, à Apollon, à Vénus Génitrix ; c’est en son honneur qu’après la guerre civile le sénat ordonna l’érection de quatre sanctuaires dédiés à la Félicité, à la Clémence, à la Concorde et à la Liberté. Mais aussi quel pays et quel temps ! On élevait des statues d’or, de marbre et d’ivoire à toutes les divinités, à tous les nobles sentiments, à tous les grands hommes de la République !

Quelques archéologues ont prétendu que la conquête avait été précédée dans le Velay d’une époque qu’ils appellent Gallo-GRECQUE. Exagérant l’influence que les colonies phocéennes avaient pu acquérir, ils supposent que non-seulement elles avaient établi des comptoirs jusqu’au pied des Cévennes, noué des relations commerciales avec nos populations des montagnes, mais qu’elles en avaient encore complètement transformé les mœurs et les croyances.  Nous avons fait une large part à cette influence hellénique, à laquelle nous croyons en effet. Des peuples laborieux et civilisés ne pouvaient se mettre en contact avec des hommes tels que Possidonius nous les fait connaître, sans grande ment modifier à la longue toutes leurs habitudes. Aussi disions-nous que le siècle qui précéda la domination romaine fut témoin d’une transformation dans les idées religieuses, et que ce fut incontestablement les nombreux rapports établis avec les colonies massaliotes qui la déterminèrent. Ces relations plus ou moins multipliées serviront à nous expliquer comment, surtout dans les contrées méridionales, la foi druidique s’altérait, comment le panthéisme commençait à se répandre. Mais, quelle distance entre ces grossières idées mythologiques, ces grossières images des divinités gauloises au temps de César, et ce que les historiens nous enseignent de la haute civilisation, de la splendeur des arts appliqués aux monuments religieux de la Grèce et de Rome !  Qu’on ouvre les Commentaires sur la guerre des Gaules, qu’on les étudie dans leur ensemble, l’impression produite par cette lecture fera évanouir toutes les exagérations qui pourraient venir à la pensée. César a traversé le Velay, et alors le Velay ne devait pas avoir plus de civilisation que ses voisins ; il a longtemps parcouru l’Arvernie, théâtre d’un de ses plus brillants exploits ; par conséquent il a bien pu connaître les croyances religieuses, le goût et la pratique des choses de l’art dans ces contrées. Que dit César ?

Où est-il allé rendre grâce aux dieux de ses victoires ? En quel endroit a-t-il vu des temples ? Une seule occasion se présente pour prononcer ce nom de templum, et ce nom ne vient pas sous sa plume.

Les Gaulois, dit-il, font vœu souvent de consacrer à Mars les dépouilles de l’ennemi ; après la victoire ils immolent le bétail qu’ils ont pris. Le reste est déposé dans un lieu désigné : Reliquats res in UNUM LoCUM conferunt ; et en beaucoup de villes l’on peut voir de ces espèces de trophées.

César parle des statues de Mercure, et Montfaucon nous fait connaître quels étaient ces tristes simulacres. Il assure que les Gaulois ont à peu près sur les dieux les mêmes idées que les autres nations, cependant il a longuement développé les doctrines druidiques, et les druides, si peu polythéistes, sont les seuls prêtres de la nation : Illi rebus divinis intersunt, sacrificia publica ac privata procurant, religiones interpretantur.

Source de l’extrait :

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PAR FRANCISQUE MANDET

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Civilisation en Velay

Ce sont les Grecs qui ont été les principaux propagateurs des doctrines polythéistes, doctrines insinuées d’abord timidement par l’exemple plutôt que par l’enseignement, et les mises en pratique par des hommes grossiers pour qui cette foi nouvelle ne fut peut-être qu’une occasion de secouer le joug rigide des anciens prêtres. Lorsqu’on lit avec attention Lucain, Tacite, César et Strabon, ne restons pas persuadé qu’avant la conquête et malgré l’occupation de certaines contrées, il n’y avait point de temples dans les Gaules non soumises ? Sans doute plusieurs divinités mythologiques étaient déjà connues sous les noms usités dans la Grèce et dans Rome ou sous des désignations celtiques ; mais c’était bien plutôt, il faut le reconnaître, l’application du rite a des druides à de nouvelles croyances qui cherchaient à s’introduire, qu’une religion régularisée et acceptée. Esus, le dieu suprême, qui d’abord n’avait jamais eu de simulacres ni d’autres noms, transformé en personnage divin, fut fait à la ressemblance humaine. Mars, Vulcain, Mercure et les autres immortels, vénérés comme attributs d’une même puissance, finirent par avoir des statues spéciales et par être l’objet de cultes différents.

Enfin l’idolâtrie et le polythéisme n’eurent plus de limites. Non-seulement l’adoration des mages devint vulgaire, mais on vit dans les derniers temps les bois, les lacs, les rochers et les fontaines recevoir les hommages des populations égarées. Sans parler du lac de Toulouse, désigné par Strabon, où les Tectosages jetaient avec profusion l’or et l’argent, nous citerons un lieu voisin de la Vellavie.

Au pied d’une montagne du Gévaudan, était un grand la consacré à la lune. Chaque année, les peuples des environs se rendaient à ce lac et y jetaient, les uns des habits d’homme, du lin, des draps, des toisons entières ; les autres, des fromages, de la cire, des pains et d’autres choses, chacun selon ses forces et ses facultés. On faisait conduire en ce lieu des charrettes chargées de provisions pour trois jours qu’on y passait tout entiers à faire bonne chère ; le quatrième jour, quand tout le monde était sur le point de s’en retourner, il ne manquait jamais de s’élever un furieux orage, mêlé de tonnerre et d’éclairs, à la lueur desquels il tombait tant d’eau et tant de pierres qu’on désespérait de la vie et de son retour.

 Ce lac, ne serait-il pas celui du Bouchet-St-Nicolas qui, en effet, se trouve sur les confins de la Vellavie et du Gévaudan ? Non-seulement sa situation topographique, mais la tradition, qui toujours à environné d’une mystérieuse terreur l’antique cratère, vient confirmer cette hypothèse. Voici la légende que se transmettent d’âge en âge les montagnards du pays ; en la reproduisant ici en regard de celle que rapporte l’illustre évêque, nous ne pouvons-nous empêcher de signaler la singulière analogie qui les rapproche et semble leur donner une origine commune.

La civilisation de l’empire changea tellement l’aspect du territoire et révolutionna avec une si grande promptitude les antiques coutumes gauloises, que les souvenirs antérieurs à la conquête étaient déjà perdus quand le catholicisme vint renverser l’œuvre romaine pour jeter à sa place la fondation d’une société nouvelle. On ignorait déjà et les druides et leurs doctrines. Le peuple s’arrêtait ébahi en face des vieux dolmens, attribuant aux puissances mystérieuses de l’air les travaux que son ignorance ne pouvait expliquer. Pour lui, la fée, cette création poétique, charmante de la rêveuse pensée du moyen-âge, expliquait toutes les merveilles, tous les problèmes du passé, il ne croyait plus aux déesses, et l’ange consolateur de la foi chrétienne, caché sous le voile de ses blanches ailes, essayait encore dans le ciel les doux préludes de sa harpe d’or.

Source de l’extrait :

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Gouvernement en Velay

Si l’ordre électif des prêtres constitua le gouvernement théocratique des Gaules, à son tour l’ordre héréditaire des nobles ou des chevaliers servit de base au gouvernement aristocratique. Le premier, nous l’avons dit, se recrutait indistinctement dans tous les rangs de la nation ; pour y pénétrer il suffisait de se livrer à de longues, à de patientes études, et de vivre d’après les règles austères du druidisme. Le second se composait des anciennes familles souveraines des tribus, et des notabilités récentes que les combats, d’éminentes fonctions judiciaires ou une grande fortune avaient classées définitivement au-dessus de la multitude.

La guerre avait été le berceau de la noblesse, elle resta son partage. La puissance des chevaliers se mesurait au nombre des clients attachés à leur personne. Quelques-uns en avaient plus de dix mille à leur suite ; aussi la réputation de ces chefs de soldure s’étendait-elle quelquefois si loin, que non-seulement des cités voisines mais même des nations étrangères leur envoyaient des députés et de riches présents, pour briguer leur alliance. On en vit dans les armées d’Annibal, de

Persée, d’Antiochus. Si l’on veut avoir, d’après Diodore, Pline et Varron, l’image d’un chef arverne, éduen ou biturige, au deuxième siècle avant notre ère, qu’on se représente un homme d’une haute stature, à l’air franc et martial, impatient de courir au combat, jaloux de rencontrer quelque grand péril sur sa route pour le surmonter avec audace en présence de ses soldats émerveillés. Il est coiffé d’un casque en métal que décorent des têtes d’animaux fantastiques, des cornes d’élan, de buffle ou de cerf, et sur lequel se balance un panache gigantesque. Cet homme, dont la poitrine est large et puissante, porte une lourde cuirasse à la manière grecque ou romaine, une cotte à mailles de fer d’invention gauloise, un vaste bouclier peint de couleurs éclatantes et, comme le casque, orné de têtes d’animaux féroces. Un sabre énorme pend sur sa cuisse droite à des chaînes ou à un baudrier cou vert d’or, d’argent et de corail. Son cou, ses bras et ses mains sont chargés de colliers, de bracelets, d’anneaux précieux ; en un mot, il a réservé pour le jour des batailles ses plus riches parures, et veut se montrer à l’ennemi dans toute sa force et sa beauté.

Le gais, le matras, la cateïe, la flèche, la fronde, le long sabre sans pointe à un seul tranchant, la pique, dont le fer, long de plus d’une coudée et large de deux palmes, se recourbait vers sa base en forme de croissant, telles étaient les armes à l’usage des Gaulois. Le dernier surtout était terrible, et les historiens assurent qu’elle hachait et lacérait si cruellement les chairs que son atteinte était mortelle.

On a trouvé dans le Velay une assez grande quantité d’armes gauloises, principalement des pointes ou lames de flèches, de haches et de couteaux. La plupart sont en pierres dures ; et quoiqu’il s’en rencontre quelques-unes en bronze, celles-ci paraissent beaucoup plus rares, probablement à cause de la valeur intrinsèque de la matière. Ces instruments sont aujourd’hui trop multipliés, et leur forme trop connue, pour qu’il soit important d’en donner une minutieuse analyse. Le plus vulgaire affecte la figure d’un coin terminé en pointe arrondie d’un côté, puis allant en s’aplatissant et en s’élargissant en éventail à l’autre bout. Ses dimensions varient suivant les usages auxquels il était destiné, usages qui, du reste, ne nous sont pas tous parfaitement révélés.

 Le musée du Puy possède, dans sa riche collection d’objets antiques, quelques types remarquables de ces armes primitives, assez semblables à celles des sauvages des îles de la mer du Sud. Le système électif servit de base au gouvernement démocratique. Ce fut d’abord, comme dans toutes les réactions, un grand mouvement au profit des idées régénératrices. L’élection remplaça le privilège de l’hérédité, des magistrats librement choisis furent mis à la place des chefs absolus qui dominaient les villes et les cités. Pour ne rechercher que ce qui se passa autour de nous, nous trouvons en Auvergne, 120 ans avant Jésus-Christ, une monarchie héréditaire organisée, et 60 ans plus tard, nous voyons le peuple condamnant au dernier supplice un noble qui avait tenté de rétablir la royauté. Le principe d’association prévalut bientôt ; il était difficile, en effet, que toutes les populations des Gaules vécussent indépendantes les unes des autres. Toutefois, ce principe ne put se conserver longtemps dans son libéralisme. Les faibles ont toujours besoin de secours, pour se garantir de l’oppression des forts ; et le protecteur trop puissant est bientôt entraîné vers la tyrannie : c’est ce qui arriva. Déjà, au temps de la conquête, le plèb n’avait guère que le rang d’esclave, ne faisait rien par lui-même et n’était admis à aucun conseil.

Il y avait cependant une importante distinction à faire entre les clientèles rurales et les clientèles urbaines. Les premières unissaient le client au chef de la tribu par un lien indissoluble. Le patron léguait avec son domaine les hommes qui en dépendaient, et cette dépendance était héréditaire. Le paysan naissait, vivait, mourait attaché à la glèbe, pour nous servir d’un mot employé à une autre époque. Les secondes, au contraire, étaient individuelles, n’engageaient aucunement le reste de la famille, ne se transmettaient point par voie d’hérédité. C’était un contrat de servitude volontaire entre un citoyen puissant et un homme pauvre ; contrat qui s’éteignait par la mort de l’une des parties, et était uniquement basé sur leur intérêt réciproque.

Pour se préserver des agressions du dehors, les Ruthènes, les Helviens, les Gabales et les Vélaunes s’étaient placés sous le protectorat des Arvernes et étaient devenus leurs clients. Ce fut incontestablement un patronage plus ou moins librement accepté auquel ils durent se soumettre ; mais en aliénant une partie de leur liberté, ils assurèrent ainsi, au moins momentanément, la conservation de l’autre. Il est facile de se faire une idée des engagements qui devaient unir ces quatre cités à la puissante Arvernie. D’un côté, un tribut en hommes et en argent, une obéissance aveugle, complète aux lois du protecteur ; de l’autre, en échange, l’appui d’un peuple fort et redouté. Telle est la base commune de tous les contrats de cette nature. Cependant, la manière dont ce contrat national était scellé ne nous a pas été transmise par les historiens.

Montfaucon pense avoir découvert la solution de ce problème historique, la voici : Il y a plusieurs siècles qu’on trouva un petit monument en bronze d’une admirable perfection, le même qui est aujourd’hui déposé dans la précieuse collection de la bibliothèque impériale à Paris. C’est une main droite ouverte, dont deux doigts, le médius et l’annulaire, manquent entièrement. Il est évident qu’elle ne provient pas d’une statue, puisqu’elle a été fondue d’un seul jet, et que non-seulement il n’y a point de cassure au poignet, mais qu’elle est hermétiquement fermée en cet endroit. D’ailleurs sa destination primitive est suffisamment indiquée par l’inscription grecque gravée dans la paume.



Montfaucon, dans son savant ouvrage sur les antiquités expliquées, parle de cette main symbolique et la considère comme un gage d’alliance envoyé par les peuples d’Auvergne à ceux du Velay. Le comte de Caylus, qui a eu ce bronze en sa possession et en a donné une gravure assez exacte, n’hésite pas non plus à regarder cette main comme un symbole d’amitié entre deux peuples. Son opinion est en cela conforme à celle de tous les antiquaires qui ont eu à se prononcer ; il varie seulement avec eux sur le seul point de savoir quels étaient ces Vélaunes dont il s’agit dans l’inscription. Ce nom appartient en effet à deux peuples différents. Les uns, fixés au pied des Alpes ; les autres, au pied des Cévennes. Velauni est le nom des premiers, Vellavi et Velauni indistinctement, celui des seconds ; cependant, ce n’est jamais que de ce dernier dont se servent César et Strabon, quand ils veulent désigner les clients des Arvernes. Voilà pourquoi Montfaucon, qui peut être même ne connaissait pas le petit peuple méridional que Caylus est allé découvrir dans les anciennes cartes des Gaules, n’hésite pas à attribuer aux habitants du Velay un monument qu’il considère comme un des plus importants de leur histoire. D’après lui, ce serait là le sceau du contrat national passé volontairement entre les cités de premier ordre et celles qui se constituaient leurs clientes, entre les peuples d’Auvergne et ceux de nos montagnes.

Quelle que soit la valeur de cette explication, elle n’est pas tellement absolue que nous ne puissions demander si c’était seulement dans cette occurrence que les cités de la Gaule eussent à s’adresser un pareil gage d’union ; si les Vélaunes, quoique clients des Arvernes, ne pouvaient, ne devaient pas établir en même temps d’utiles relations commerciales avec d’autres nations plus ou moins éloignées et, à cette occasion, échanger avec elles ces mains d’alliance symbolique ?

C’est ce que nous allons avoir à examiner.

Si nous ouvrons la carte des Gaules avant l’établissement de la province romaine, nous voyons ce vaste pays partagé en trois grandes familles : au midi, la famille ibérienne et la famille grecque d’Ionie ; sur le reste du territoire, la famille gauloise proprement dite. Les Aquitains et les Ligures composaient la première ; les Massaliotes et leurs colonies vinrent faire la seconde ; les races galliques et kimriques constituaient la troisième.

Les Aquitains habitaient la portion de terre limitée par la Garonne, les Pyrénées et l’Océan. Les Ligures s’étendaient de l’autre côté de la Garonne, depuis l’Isère jusqu’aux Alpes et à la Méditerranée (seulement une partie de leur rivage avait été envahie par les émigrations grecques qui s’étaient successivement fixées depuis le pied des Alpes maritimes jusqu’au grand promontoire aujourd’hui nommé cap Saint-Martin). Les possessions de la race gallique étaient circonscrites par le cours du Tarn, le Rhône, l’Isère, les Alpes, le Rhin, les Vosges, les monts Eduens, la Loire, la Vienne et une ligne qui de là venait rejoindre la Garonne, en tournant le plateau de l’Arvernie. Les races kimriques occupaient, en s’avançant dans le nord, tout le reste des Gaules.

Les Arvernes, les Séquanes et les Edues étaient, dans le pays gallique, les trois peuples qui se disputaient la suprématie. Les autres peuplades, ainsi que le fait observer très-judicieusement M. Thierry, groupées autour d’eux pour la plupart, soit par la conquête, soit par les liens de la clientèle fédérative, formaient sous leur patronage trois puissantes ligues rivales, presque constamment armées les unes contre les autres. Quoi qu’il en soit, et sans même nommer ici les populations dont César résume et termine l’histoire, nous rappellerons sommairement la situation topographique des régions ou tribus clientes de l’Arvernie. Si nous voulons, en effet, rechercher plus tard l’origine d’un monument d’inspiration grecque ou romaine et dont quelques vestiges restent encore ; s’il nous paraît utile, pour l’intelligence de l’histoire, pour l’appréciation d’une œuvre d’art, de remonter à la pensée originelle, il faudra bien préalablement connaître quels souffles bienfaisants ou fatals ont passé sur les mœurs, sur les croyances, sur les travaux de nos pères. Deux questions seraient donc, sinon à résoudre, du moins à indiquer. La première, relative à l’influence des Grecs depuis leur arrivée sur les rivages de la Gaule méridionale, six cents ans avant notre ère ; la seconde, ayant seulement pour point de départ l’époque de l’établissement de la province romaine, cent ans avant la conquête, relative aux modifications que cette nouvelle famille dut exercer sur la civilisation de nos pays.

Nous l’avons dit, les Ruthènes, les Helviens, les Gabales et les Vélaunes étaient clients des Arvernes. Ces deux derniers peuples surtout, établis sur le versant septentrional des Cévennes, par conséquent protégés contre les Allobroges et les Volces par cette immense barrière, ne pouvaient s’abriter sous un meilleur patronage. Néanmoins cette alliance, que les dispositions topographiques rendaient indispensable dans les luttes intestines, et qui avait principalement pour but la défense du territoire, n’empêchait pas pendant la paix le commerce avec les autres peuples. On conçoit que les Gabales et les Vélaunes, placés sur la frontière du pays des Ligures, devaient, par leur position même, chercher à entretenir d’utiles relations avec les contrées trans-cévéniques.

 Plus nous remonterons aux époques les moins civilisées, plus les moyens de communication seront rares et difficiles à travers les Gaules ; plus les habitants de nos montagnes devront servir d’intermédiaires obligés pour tous les échanges industriels entre les populations de l’Arvernie et les comptoirs grecs fondés dans les provinces liguriennes. Cela semble au moins d’autant plus probable que nous verrons, durant tout le moyen-âge, les foires et les marchés de la cité d’Anis fréquentés par les Dauphinois, les Provençaux, les Languedociens, les Espagnols, d’une part ; de l’autre, par les marchands du Limousin, du Poitou, du Bourbonnais, de l’Auvergne et du Forez. On eût dit que les murs vénérés de la miraculeuse basilique de Notre-Dame étaient la limite sacrée au pied de laquelle venaient se joindre sans pouvoir la dépasser, les méridionaux et les populations de la Gaule centrale. Cette coutume, transmise de génération en génération sous la sauve garde de l’intérêt local et de la piété des fidèles, était si invétérée qu’elle persista jusqu’à la fin du dix-huitième siècle, et qu’à une époque même plus récente, les principales maisons de commerce du Puy, en rapport avec Aix et Marseille, faisaient la commission des produits méridionaux, non-seulement pour le Velay, mais pour une partie considérable des provinces voisines. Cependant les choses ont dû changer, depuis que les transports s’effectuent au moyen de grandes et fortes voitures au lieu de se continuer sur le dos des mulets, depuis que les communications montagneuses, quoique directes, ont été délaissées pour les routes qui traversent les pays plats et d’un facile parcours.

Les Massaliotes, qui, dans les premiers temps, n’avaient osé s’aventurer qu’aux alentours de leurs colonies, finirent peu à peu par se répandre dans tout le territoire des Ligures. Ils étaient humbles, timides, savaient habilement flatter ceux auxquels ils voulaient plaire et ne s’avançaient dans une contrée qu’après s’être bien persuadés des intentions bienveillantes des habitants à leur égard. Du reste, s’il y avait pour les Grecs un immense intérêt à créer, pour ainsi dire, un monopole commercial dans ces riches domaines avec des peuples si simples, si nouveaux à l’industrie, c’était aussi un inappréciable avantage pour les Gaulois de donner l’hospitalité à des gens qui leur apportaient jusque sous leur toit ces magnifiques étoffes, ces parures précieuses, ces armes éclatantes et commodes qu’ils ignoraient, et dont leur vanité, déjà proverbiale, trouvait tant de bonheur à se parer.

Au fur et à mesure que le crédit des Massaliotes prenait une plus grande consistance, ils créaient des comptoirs dans l’intérieur et se mêlaient plus familièrement avec les indigènes. Les Ligures, puis successivement les autres peuples de la Gaule, subirent presque à leur insu cette influence douce, irrésistible, qu’exerce toujours un peuple intelligent, habile, éclairé, sur une nation barbare. Ce n’était pas uniquement, on le comprend, des marchandises qui s’échangeaient dans ces rapports intimes, c’était encore des mœurs, des habitudes, des connaissances différentes.

Quand nous disions que les Vélaunes étaient topographiquement placés de façon à servir d’intermédiaires aux Grecs établis de l’autre côté des Cévennes et aux peuples du centre des Gaules, nous avions mieux que des conjectures pour le justifier. En effet : Strabon, parlant des modes de transport usités par les Massaliotes, cite au premier rang la route directe, joignant la côte de la Méditerranée aux sources de la Loire, à travers les Cévennes. Donc, si la principale voie de terre, préférée aux embarcations sur le Rhône que les bateaux grecs et gaulois ne remontaient qu’avec beaucoup de temps et de danger, passait par la Vellavie pour desservir une portion considérable de la Celtique, évidemment nos assertions étaient fondées. D’ailleurs, tout ce qui dans un pays témoigne d’une influence étrangère se retrouve dans l’antique Velay, à propos des Grecs. N’eussions-nous pas le document géographique de Strabon, il suffirait de consulter les vieux vocabulaires de nos idiomes montagnards, surtout les anciens tableaux de statistique locale, pour les trouver tous remplis de locutions helléniques. La main en bronze, cette œuvre grecque, adressée avec une inscription grecque aux Vélaunes, ne serait-elle pas encore une preuve des rapports spéciaux qui unissaient cette contrée aux colonies massaliotes ?

M. le vicomte de Becdelièvre, qu’inspira toujours le sentiment artistique dans ses recherches sur nos antiquités, ne partage pas l’opinion émise par Montfaucon. Suivant lui, ce n’est point de l’Auvergne, c’est plutôt d’une colonie phocéenne que fut envoyé l’antique symbole. Marseille dut chercher à établir des relations de commerce avec les provinces de l’intérieur. Or, le monument certifie que sinon cette ville, du moins quelqu’une du littoral contracta une alliance avec les populations de nos montagnes ; partant, l’antiquaire se croit fondé à dire que le style grec, la belle exécution de cette main, prouvent qu’elle venait de l’une de ces colonies-mères d’où les arts s’étaient propagés chez les Volces.

Cette opinion est au moins fort ingénieuse, car il est évident qu’en Auvergne on n’aurait pu, à cette époque, réaliser un objet d’art aussi parfait. C’était seulement chez des artistes grecs que devaient se rencontrer le savoir et les traditions de la belle sculpture attique. Cependant, pour concilier cette interprétation avec les paroles si positives de César et de Tacite, qui ne limitent pas aux colonies phocéennes de semblables envois, peut-être serait-il plus exact d’admettre que l’ancien usage, ve’ere instituto, de s’adresser des mains symboliques était général dans les Gaules ; mais que les Celtes, étant par eux-mêmes dans l’impossibilité de produire des œuvres semblables, les faisaient fabriquer dans les colonies d’où ils les tiraient. Cette interprétation semblerait, pour le cas particulier que nous examinons, d’autant plus acceptable, qu’il paraît hors de doute que la main et l’inscription ne furent pas exécutées par la même personne. L’une, infiniment correcte et pure, dénote une science anatomique unie à un goût parfait, tandis que les caractères de l’autre sont irréguliers, grossièrement tracés, comme les formerait un ouvrier des plus ignorants ; ce qui porte à conclure qu’une certaine quantité de ces mains de bronze était expédiée des rives liguriennes aux chefs gaulois, et que ceux-ci faisaient graver au fur et à mesure le nom du peuple auquel ils s’unissaient.

 Il est bien vrai que les Gaulois apprirent des Phéniciens les sciences industrielles et qu’ils devinrent bientôt aussi habiles dans l’exploitation des mines que dans l’art d’employer les métaux. Les armes qu’ils fabriquaient étaient excellentes ; Pline assure même qu’ils travaillaient avec une supériorité remarquable le cuivre et le bronze ; mais cette éducation ne fut pas l’œuvre d’un jour. Ils s’inquiétaient peu de demander à leurs maîtres des enseignements sur les arts ; d’ailleurs, les Gallo-Grecs, avec qui ils se trouvaient le plus ordinairement en contact, étaient plus marchands qu’artistes. Leurs médailles étaient presque informes ; les bagues, les bracelets, les vases, les figures qu’ils faisaient eux-mêmes témoignaient davantage encore de leur complète ignorance des chefs-d’œuvre de la Grèce et de Rome.

Ils avaient besoin, avant de se préoccuper du perfectionnement de la forme, de rechercher les choses au fond, et ils le firent avec ardeur. Les Bituriges inventèrent les procédés de l’étamage, les Eduens ceux du placage. Les uns s’appliquèrent à carder, à filer de belles laines, d’autres à les teindre, d’autres à les tisser. Ici on imagina la charrue à roues ; là, le crible à crin ; avant qu’on le sût ailleurs, on employait dans les Gaules la marne comme engrais et l’orge fermentée comme boisson.

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HISTOIRE DU VELAY ANTIQUITÉS CELTIQUES ET GALL0-R0MAINES

PAR FRANCISQUE MANDET

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Religion en Velay

Les historiens des Gaules et leurs commentateurs déterminent dans l’ère celtique trois époques pendant lesquelles les formes du gouvernement sont entièrement différentes. C’est d’abord une théocratie redoutable qui tient asservies sous le joug sacerdotal toutes les facultés de l’homme. La nation, jeune encore, tremble sous la tutelle de ses mystérieux druides et marche où la conduit leur voix impérieuse.

C’est ensuite une altière aristocratie qui s’empare de la puissance. Les hommes énergiques, ceux qui, par leur force, par leur courage, par les services rendus, croient mériter mieux que ce qu’on leur accorde, ne tardent pas à lever l’étendard de la révolte. Le glaive du commandement militaire devient un sceptre entre les mains robustes de ces hardis parvenus. Cependant une large et belle part reste aux anciens chefs ; on n’a pu arracher de leur front la plus durable des deux couronnes : ils demeurent les ministres suprêmes de la divinité. L’irrésistible ascendant de leurs doctrines religieuses, les ressources de leur savoir imposent à la nation, et pour longtemps savent leur maintenir une influence presque souveraine. À son tour, la démocratie l’emporte. Ce que quelques-uns avaient pu seuls comprendre, seuls exécuter, finit par frapper l’intelligence de tous. Les luttes des deux pouvoirs, leurs excès, font promptement l’éducation des classes inférieures. L’œuvre d’affranchissement que nous verrons se reproduire contre les seigneurs féodaux du moyen-âge est tentée, et même, dans un grand nombre de tribus celtiques, victorieusement accomplie contre les chefs militaires, oppresseurs des provinces. Cette forme de gouvernement plus ou moins démocratisé fut celle que trouva César, et sous l’inspiration de laquelle il écrivit ses Commentaires. Voilà pourquoi il ne faudrait pas prendre cet écrivain exclusivement pour guide dans les recherches historiques que l’on voudrait faire remonter à des temps trop antérieurs à la conquête.

Sous le gouvernement théocratique toutes les doctrines se confondent dans l’unité. C’est un seul dieu, maître du ciel et de la terre, qui punit et qui récompense dans un autre monde ; c’est une classe privilégiée qui lui sert d’interprète ici-bas, à laquelle chacun doit obéissance, parce qu’elle seule a la double clef de la vie présente et de la vie future.

Sous le gouvernement aristocratique le principe unitaire est scindé. Le corps social, d’abord organisé à l’exemple du corps humain, ne conserve plus cette harmonie générale ; le bras veut se mouvoir sans attendre les conseils de la pensée, comme si l’un n’avait pas été fait pour subir l’influence de l’autre. Dès lors, le dogme rigoureux de la foi primitive n’est plus accepté par les hommes disposés à la tyrannie, que modifié en proportion de leurs intérêts. Le pouvoir nouveau, ne trouvant plus dans les anciennes lois druidiques la sanction de ses actes, dut favoriser de tous ses efforts les tendances religieuses les plus hostiles aux idées qu’il voulait combattre. – Enfin, sous le gouvernement démocratique, les membres se séparent et veulent vivre d’une existence indépendante ; chacun se fait, suivant sa force et ses besoins, des lois et des croyances. C’est l’époque des invasions, aussi bien sur le territoire que dans les esprits. Les druides et les grands chefs perdent leur empire, tous les dieux ont des autels, parce que toutes les passions, tous les intérêts sont devenus les seuls maîtres souverains des hommes.

Au temps où le gouvernement théocratique était dans toute sa puissance, les druides  étaient à la fois juges, rémunérateurs et vengeurs des actions humaines. Non-seulement ils commandaient en ce monde, mais ils étendaient leur empire par-delà le seuil de la vie. Ces prêtres austères, disent nos historiens, vivaient dans une retraite profonde. Seuls ils se livraient aux études de théologie, de morale et de législation. Ils cultivaient les sciences abstraites, faisaient de sérieuses recherches sur la médecine, la physique, l’astronomie, et proclamaient dans leurs enseignements la grandeur infinie de Dieu, l’immortalité de l’âme, la vie future.

Aristote avait écrit qu’ils apprenaient aux peuples, d’une manière mystérieuse, à ne point faire de mal et à déployer un grand courage ; Pline les appela les mages des Gaulois ; « mages, dit-il, qui pouvaient bien « passer pour les maîtres de ceux de l’Orient. » Les eubages, interprètes des druides auprès du peuple, étaient chargés de la partie extérieure et matérielle du culte, ainsi que de la célébration des sacrifices. Ils étudiaient particulièrement ce qui, dans les sciences naturelles, médicales et astronomiques, était utile à leurs fonctions. Ils devaient savoir immoler une victime avec habileté, lire, dans ses convulsions, dans ses entrailles palpitantes, dans son sang répandu, les bons ou sinistres présages. Ils interrogeaient aussi le vol, le chant des oiseaux, et, sous les inspirations de leurs chefs, pratiquaient l’art de la divination. – Dépositaires des vieilles chroniques de la Gaule, les bardes apprenaient par cœur et récitaient ensuite à la foule, sous forme de poèmes, ce qu’il fallait qu’elle sût de son histoire. Comme les lois druidiques proscrivaient de la façon la plus rigoureuse les moindres documents écrits, tout devait se transmettre par la mémoire. Dans cette faculté, pourtant si trompeuse, si fragile, étaient les uniques archives de la patrie. Quelques historiens n’ont vu dans cette législation qu’une œuvre du caprice et de l’ignorance ; pour nous, au contraire, elle nous semble bien plutôt un puissant moyen de direction suprême. Les prêtres, qui voulaient garder toutes les clefs entre leurs mains, avaient trop le pouvoir de l’écriture, pour donner à la pensée éternellement jalouse de son indépendance un si périlleux auxiliaire ; aussi les bardes avaient ils seuls le pouvoir de recueillir et de répandre les traditions nationales. Ils suivaient le guerrier sur le champ de bataille, venaient s’asseoir au foyer domestique, dans les assemblées populaires, et chantaient, en s’accompagnant de la rotte, les actions glorieuses dont ils avaient été témoins et qu’ils proposaient à l’admiration du monde entier.

 L’effet de leurs vers était si puissant, disent Diodore et Strabon, qu’on les vit plus d’une fois, dans les guerres intestines, désarmer les combattants furieux par la magie de leur parole et par la douce harmonie de leur voix.

Le chef des druides exerçait durant sa vie entière une autorité sans limite. À sa mort l’élection pour voyait à son remplacement. Quoique le choix ne pût être fait que dans l’ordre sacerdotal, il était néanmoins disputé avec une telle fureur que le bandeau suprême, trempé dans le sang des guerres civiles, ceignait presque toujours le front du plus audacieux. À certaines époques de l’année, un collège général se formait en cour de justice et en assemblée politique, afin de décider des grands intérêts nationaux. Les convocations, qui d’ordinaire avaient lieu dans le pays des Carnutes, se poursuivirent presque jusqu’à la conquête, bien que la puissance druidique fût très-amoindrie.

Les druidesses exerçaient aussi une influence religieuse sur tout ce qui les environnait, non par un pouvoir légalement admis, mais par l’irrésistible ascendant du don prophétique qu’on leur reconnaissait et qui les rendait au loin célèbres. Témoin l’hôtesse de Dioclétien qui lui prédit, alors qu’il n’était rien encore, qu’un jour il deviendrait empereur.

Ces sacrificateurs, ces poètes, que Possidonius, Césaret Strabon trouvèrent dans les Gaules, n’étaient pas cependant les fidèles et austères disciples des anciens druides ; il ne fallait plus les aller chercher dans de sombres forêts de chêne, au pied des dolmen Sacrés. Les eubages traînaient la hache des sacrifices à la suite des armées et, dociles aux volontés du chef, ne lisaient dans les entrailles des victimes que de mensongers présages. Les bardes, ces vieux chantres de la gloire et de la religion, avaient fait de leur lyre un instrument de honteux servage. Pour quelques nobles intelligences, encore inspirées par l’amour du pays et par le respect des choses saintes, partout on voyait de méchants poètes attachés à la domesticité des princes et chargés du soin de dis traire leurs ennuis. Le roi Luernius, jetant de l’or, comme une aumône, au barde couvert de sueur et de poussière qui chante ses grossières louanges en courant après son char, n’est-il pas le témoin de la décadence, l’image de la dégradation ? Les druides eux-mêmes, surtout ceux du midi des Gaules, ne sont plus ces pontifes graves et savants ces pères de la patrie dont le nom seul avait été jadis la bannière des combats et le gage des plus pacifiques alliances ; ce sont de simples prêtres oubliant tous les jours les traditions et les doctrines, cherchant à ressaisir par l’intrigue l’influence qu’il avait fallu plusieurs siècles pour conquérir, et délaissant dans la solitude les dolmens du dieu de leurs ancêtres, pour courir aux mystérieuses initiations de Taran, de Bélen et de Mercure. On ne trouve aujourd’hui aucun vestige de cromlech dans le Velay ; car il ne faut pas confondre quelques pierres plantées, quelques prismes basaltiques dont le pays abonde, avec les enceintes gauloises qui servaient de sanctuaires aux premiers prêtres. Toutefois, si nous devons en croire les solutions étymologiques de M. l’abbé Sauzet, cette petite province fut jadis un centre druidique important. Voici de quelle manière cet ingénieux écrivain prétend le démontrer :  Nous citerons textuellement, comme nous le ferons toujours en pareille matière, afin qu’on puisse prendre une idée plus exacte de la nature des documents qui servent de base à l’histoire des antiquités locales.

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Mœurs et caractère

Possidonius, César, Strabon, Diodore sont les écrivains auxquels il faut toujours recourir quand on veut avoir une idée plus ou moins exacte des mœurs, des habitudes, du langage et du gouvernement des Celtes. Sans doute ils ne nous initieront point aux institutions primitives, puisqu’eux-mêmes ne se sont préoccupés que de ce qu’ils ont vu, mais du moins leurs récits seront un point de départ facile à constater pour tous. Au-delà des témoignages écrits, la confusion commence. Cependant, de quelque source que descende une assertion, il est sage, avant de l’accepter comme certaine, de l’examiner avec scrupule. Beaucoup peuvent sembler vraies d’un point de vue général et être erronées alors qu’on voudrait en faire l’application à un pays déterminé. Ceci a lieu principalement pour le Velay, dont aucun de nos anciens auteurs n’a parlé, et dont on ne peut par conséquent rétablir les origines qu’à l’aide de rapprochements souvent téméraires. Aussi dirons-nous que l’ère celtique doit figurer en cette histoire comme apparaissent, dans un nébuleux horizon, ces formes vagues, fugitives, que de brumeuses vapeurs voilent mystérieusement et rendent insaisissables au moment où on croit les entrevoir.

Faut-il répéter, comme tant d’historiographes se sont empressés de le faire, que les Gaulois avaient les yeux bleus, la peau très-blanche, les cheveux blonds ou roux, et une stature gigantesque ? Généraliser ainsi, c’est ne rien apprendre. Les Galls, les Belges, les Kimris, devaient peux ressembler aux populations méridionales, et Diodore affirme que les Ligures étaient de petite taille. Il est bien plus rationnel de penser qu’il s’était rencontré chez certaines peuplades du nord de la Gaule un type parti- culier et vraiment remarquable, dont la tradition a voulu perpétuer exclusivement le souvenir. Autrement, à voir nos montagnards du Velay, ne les croirait-on pas enfants d’une race abâtardie ? Cependant, si quelque part une famille se conserva semblable à elle-même, ce dut être dans ces contrées où, depuis des siècles, ne s’est jamais arrêté l’étranger. Ceux qui les habitent s’y reproduisent sans contracter d’alliances à l’extérieur, et gardent ainsi dans le langage, dans les habitudes et les formes du corps, un caractère, pour ainsi dire, primitif. Or, rien ne ressemble moins au portrait historique des Gaulois que celui des habitants de nos montagnes. –

Les Vellaviens sont, en général, d’une taille peu élevée, ils ont les cheveux noirs ou châtains, les yeux de couleur foncée, les épaules et la poitrine larges, presque toujours la peau brunie par l’air vif et par le soleil ardent du pays. Sans avoir l’apparence de gens extrêmement robustes, ils ne sont pas moins infatigables à la marche et aux rudes labeurs. En aucun endroit peut-être on ne rencontre plus de boiteux. Le nombre en est si considérable au Puy et dans ses alentours, que les voyageurs ne peuvent s’empêcher d’en témoigner une grande surprise. Les médecins et ceux qui ont attentivement étudié l’histoire physiologique de la population paraissent d’accord pour désigner, comme une des causes premières de cette infirmité, la misère, la négligence, la malpropreté. C’est à cette occasion que l’on peut se convaincre de la funeste ténacité des vieux usages. De temps immémorial, les habitants de la ville, même les plus riches, ont la fatale habitude de porter leurs enfants en nourrice chez les villageoises des environs. Le plus souvent ces femmes sont pauvres, mal nourries, sans aucun soin de leur personne, constamment détournées par leurs affaires domestiques des devoirs si nombreux, si pressants de la maternité ; et il résulte de cet état d’indigence et d’incurie, surtout chez les gens qui vivent au fond d’étroites vallées, dans des habitations humides, sombres, mal aérées, de scrofuleuses humeurs transmises ensuite de génération en génération.  Dans sa Statistique de la Haute-Loire, p. 154, M. Desribiers fait, à ce sujet, quelques observations que nous croyons devoir joindre à celles que nous venons de présenter.

Plusieurs causes, dit-il, me paraissent faire naître ou compliquer les maladies dans ces montagnes. La première est la vivacité du climat, jointe à l’inconstance de la température. L’abaissement brusque du thermomètre, vers la fin du printemps, après quelques jours de chaleur, et souvent même au cœur de l’été, après un orage, surprend le cultivateur en habit léger, et quelquefois à demi-nu et couvert de sueur ; la transpiration s’arrête subitement, et les fluxions de poitrine se déclarent, les rhumatismes prennent naissance. Les eaux vives bues sans précaution comme sans mesure, lors des travaux de la moisson, occasionnent le même effet. Des constructions basses et humides, mal éclairées, peu ou points aérés ; l’habitation constante au rez-de-chaussée et de plain-pied avec la partie qui sert au logement des bestiaux ; le dégagement des gaz délétères produits par la fermentation des matières animales ou végétales entassées dans les cours des maisons de ferme pour former des engrais ; la malpropreté ; le peu de linge dont l’habitant des montagnes est pourvu, telles sont encore les sources de beaucoup de maladies aiguës ou chroniques qui affligent plus particulièrement le paysan de ces contrées. Il a, pour les visites des médecins, beaucoup de répugnance ; il ne les appelle guère qu’après le ministre de la religion, et lorsqu’il ne reste à peu près aucune ressource, etc., etc. Pour apprécier le bien-être de certaines localités du Velay, il ne faut pas les aller visiter le dimanche et les jours de fête. Le bruit, le mouvement, les dépenses qui se font dans les cabarets, seraient de mensongers indices. Presque toujours ce sont les plus pauvres qui s’abandonnent aux plus grands excès, et bien des familles attendent, pour subsister une semaine, l’argent qui se consomme en quelques instants. – Au sortir de la grand’messe, les villageois entrent en foule dans les auberges, prennent possession des tables comme d’une propriété qu’ils gardent huit et quelquefois dix heures sans désemparer. Ils mangent très-lentement, car pour eux le repas n’est qu’une occasion de passer la journée, surtout d’accomplir de copieuses libations. Les châteaux en Espagne alors ne leur coûtent guère, et c’est en achevant leur dernier écu, qu’ils se croient le plus rapprochés des richesses. En général, ils racontent plus qu’ils ne discutent, ce qui n’empêche pas leurs récits d’être d’une fastidieuse prolixité. Ils disent les choses les plus simples avec des éclats de voix, des gestes, des jurements énergiques, et répètent à satiété, dans les mêmes termes, le fait qui les préoccupe. Quand ils parlent de leur bétail, on croirait qu’il s’agit d’une grave affaire ; il est vrai que les douleurs d’une femme à son lit de mort les inquiètent moins que les insomnies d’une vache sur la litière. Si la conversation est par hasard suspendue, ils continuent à boire, nonchalamment appuyés sur leurs coudes, et chantent de toute la vigueur de leurs robustes poumons.

Ils aiment beaucoup la danse, quoiqu’ils dansent fort mal, aussi les voit-on bientôt après le repas se ranger sur deux lignes, face à face, le chapeau sur la tête. L’un d’eux, monté sur un banc, se met à jouer du fifre, le seul instrument qu’ils connaissent, ou entonne l’air d’une bourrée auquel il mêle par intervalle quelques paroles en manière de joyeuseté, et tous partent à la fois. C’est un mouvement, c’est un tumulte dont on n’a pas d’idée, non que la joie se trahisse extérieurement par de fous rires ; rien n’est, au contraire, plus sérieusement exécuté. Mais comment douter du plaisir de ces paysans, sautant plusieurs heures de suite, faisant claquer leurs doigts, poussant des cris aigus, frappant des pieds de façon à effondrer les planchers de l’auberge.

Comme les montagnards sont très-fanfarons, ils se plaisent à vanter leur force, leur adresse, semblent défier les plus hardis et ne citent ceux qui passent pour avoir quelque mérite en ce genre qu’en établissant un parallèle toujours à leur propre avantage. Souvent il arrive que des individus, qui ne se connaissent pas, se provoquent d’un bout à l’autre d’une salle où ils sont attablés. C’est surtout dans les Rebinages, fêtes patronales des campagnes, lorsque des compagnies de jeunes gens appartenant à différentes paroisses se trouvent réunies dans le même cabaret, que ces rixes paraissent immanquables. Le vin, dont les hommes sont habituellement privés, les anime ces jours-là si violemment, que la moindre atteinte à leur excessif amour-propre est promptement suivie d’une provocation, d’une lutte. Les couteaux s’ouvrent, les bâtons ferrés et noueux se lèvent, des deux côtés on prend parti ; et la battoste, pour employer le mot local, s’achève par une catastrophe sanglante. Ces querelles, que la vanité seule fait naître, étaient, s’il faut en croire les anciens auteurs, dans les mœurs primitives de la nation.

Nos montagnards sont, en effet, susceptibles et vindicatifs. C’est seulement depuis très-peu d’années que les rudes aspérités de ces caractères sauvages se sont adoucies. Encore, en 1789, de Tence à Pradelles, du Monastier à Saint-Cyrgues, les hommes marchaient constamment armés d’un fusil, et portaient dans la poche droite de leur culotte ce qu’ils appelaient la coutelière, coutelas à lame aiguë, recourbée, longue et tranchante, se repliant comme celle d’un couteau ou s’enfermant dans une gaine en bois. Il est probable que c’est à partir du seizième siècle, depuis les guerres dont les montagnes du Velay et du Haut-Vivarais eurent si cruellement à souffrir, que ces sinistres précautions étaient prises. Les catholiques et les protestants, armés les uns contre les autres pendant tant d’années, s’étaient habitués au ressentiment, et leur cœur, troublé par de douloureux souvenirs, cédait facilement aux promptes émotions de la haine et de la vengeance.

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Habitation Gauloises

Galli distributiin civitates. Telle est l’expression employée par César, et dont le sens se trouve clairement précisé par la manière dont cette expression est presque toujours reproduite dans le récit des guerres.  Les cités gauloises étaient donc des parties de territoire plus ou moins étendues, formant comme autant de provinces particulières, indépendantes, alliées, clientes ou sujettes, selon l’occurrence. Il n’y aurait pourtant rien qui dût étonner ni qui impliquât contradiction, lors même que l’illustre écrivain se serait servi en plusieurs occasions du mot civitas pour désigner une ville celtique. On peut très-facilement admettre que, dans la rédaction des mémoires, certain nom de tribu ait été remplacé par celui de son chef-lieu, surtout au moment où la population tout entière semblait réunie sur ce point. Lorsque, dans le VIIe livre des Commentaires, César raconte comment Vercingétorix entra dans Gergovia à la tête d’une foule armée, et de quelle manière il chassa de cette place ceux qui d’abord l’avaient forcé d’en sortir, il dit en effet : Magnisque coactis copiis (Vercingétorix) adversarios à quibus paulô antè erat ejectus, expellit Ex CiviTATE. Du reste, on conçoit que le mot civitas vienne très naturellement sous la plume du général romain, puisque lui-même qualifie de cité toutes les villes capitales de la province déjà conquise : Tolosa, Carcassonne et Narbonne, quæ sunt CIvITATEs Galliæ provinciæ. Cependant, malgré quelques exceptions peu nombreuses et très-explicables, il nous paraît conforme aux vrais principes historiques de cette époque de définir la cité : une tribu chez les Gaulois encore indépendants, et une ville capitale chez les peuples soumis aux Romains. César, parlant des revers essuyés à Vellonodunum (Château-Landon), à Noviodunum (Neuvy-sur-Baranjou), à Genabum (Orléans), nous transmet l’énergique résolution de Vercingétorix d’incendier les résidences et les bourgs, et ajoute : Procumbunt omnibus Gallis ad pedes Bituriges, ne pulcherrimam propètotius Galliæ uRBEM, quæ et præsidio et ornamento sit CIvITATI, suis manibus succendere cogerentur.

Au nord de la cité Vellavienne, à peu près sur l’emplacement qu’occupe aujourd’hui Saint-Paulien, était Ruessio ou Revessio, dont les étymologistes font dériver le nom de la racine celtique reuv, reuvon, froid, gelé. Astruc donne cette définition dans ses mémoires sur l’histoire naturelle du Languedoc ; l’abbé Sauzet l’accepte et traduit Revessio par Reu-Essio, ville froide. Sans doute, une pareille origine aussi faiblement établie n’a rien de très authentique, mais n’est pas invraisemblable, sur tout pour ceux qui savent quelle est la température moyenne de cette contrée dans laquelle la vigne ne mûrit jamais. Nous voyons d’ailleurs cette ville bien connue sous Auguste ; or, si elle était de fondation gallo-romaine, on n’y trouverait pas en si grande quantité des débris de monuments remontant aux premières années de la conquête ; car il est à supposer qu’on n’élevait d’édifice d’une certaine grandeur que dans les centres déjà considérables. Il est présumable, en effet, que le premier soin du vainqueur dut être non de bâtir des villes, mais d’envoyer des colonies dans celles déjà construites. C’est par l’itinéraire de Théodose, que nous connaissons Icidmago, Condate, Aquis segete ; la première, située à quatorze milles de Ruessio ; la deuxième à douze milles ; la troisième, sur les limites du pays des Ségusiens, dans le territoire actuel de Saint-Didier-la-Séauve. Il se rait certainement bien difficile, pour ne pas dire impossible, de fixer l’époque à laquelle il faut faire remonter l’origine de ces trois villes. Peut-être même les deux dernières appartiennent-elles seulement à l’ère gallo-romaine. – L’Icid-Mago des anciens est évidemment de date très-reculée. Les racines celtiques qui forment son nom paraissent convenablement choisies et sont, à défaut de preuves meilleures, un témoignage de haute antiquité. Dans l’idiome national primitif, K’ssen signifie bœuf, et Magus, ville au milieu d’une plaine ; d’où naturellement on conclut que c’était là un point central sur lequel se faisait le commerce des bœufs, hypothèse d’autant plus admissible qu’aujourd’hui cette désignation serait encore sans contredit la meilleure de toutes. Cependant, ce ne sont point-là des éléments historiques satisfaisants et tels qu’en exige une œuvre qu’on voudrait rendre profitable. Nous manquons, il faut en convenir, de ces matériaux solides sur lesquels on aime à asseoir un édifice. Pour un mot de César, de Strabon, pour une indication de Peutinger ou de Ptolémée, les conjectures ont besoin de nous venir en aide. L’insuffisance de documents écrits s’oppose donc à ce que nous déterminions avec certitude les endroits de la Vellavie occupés par des villes, surtout si nous devons réserver exclusivement ce nom à des agglomérations plus ou moins considérables de demeures construites de la manière dont parlent les géographes et les historiens. Mais si nous avons à rechercher dans le pays, et d’après les débris qui s’y rencontrent à chaque pas, où et comment se logeaient nos peuplades aborigènes, nous pourrons espérer plus de succès de nos investigations archéologiques.

Source de l’extrait :

HISTOIRE DU VELAY ANTIQUITÉS CELTIQUES ET GALL0-R0MAINES

PAR FRANCISQUE MANDET

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L’ancien Velay

Entre les plaines fertiles de la Basse-Arvernie et les chaudes provinces des Helviens et des Volces, sous un ciel dont on vante la beauté, s’élève brusquement un groupe considérable de froides et rudes montagnes. – C’est là qu’était la Vellavie. Hormis quelques langues de terre que fécondent les cendres descendues des volcans, à l’exception de quelques riantes vallées qui s’abritent des mauvais vents derrière de grandes roches et s’épanouissent en silence aux plus doux rayons de soleil, le territoire des Vélaunes porte les violentes empreintes d’une agitation profonde. En face de ces immenses coulées de laves, de ces pics basaltiques dont les prismes se dressent par milliers en faisceaux gigantesques, de ces amas de scories agglutinées et de lapilli, rouges comme s’ils sortaient des fournaises, le géologue contemple avec une admiration mêlée d’effroi les bouleversements des premiers âges. Pour lui, cette terre est le théâtre sur lequel une des journées séculaires du drame universel vient de s’accomplir. La scène est encore frémissante, il regarde, il interroge, et peut dire, en vérité, que la science ne présente nulle part, à l’histoire des misérables luttes humaines, une plus prophétique et plus terrible introduction.

L’Allier sert de ceinture à l’ANCIEN VELAY, de l’est à l’ouest, et se fraye un passage dans les gorges escarpées de Saint-Vénérand, de Vabres, d’Alleyras, de Saint-Didier, de Saint-Julien-des-Chazes, de Chanteuges. D’un autre côté, la Loire, après être entrée par les portes de la Farre et de Salettes, comme un courant inoffensif, se précipite, vive et grondeuse, grossie sur sa route par les torrents d’hiver et par les eaux souvent perfides de la Borne, du Ramet, de l’Arzon, de l’Ance et du Lignon. Les cratères d’Issarlès, de Saint-Front, du Bouchet et de Bar, dominent aux quatre expositions de la contrée, semblables à quatre grandes limites. Jadis, de leurs flancs déchirés s’élançaient impétueusement des fleuves de feu ; maintenant sur leurs cîmes, transformées en coupes immenses, poussent de frais gazons, reposent de paisibles lacs, dont rien n’altère l’admirable limpidité. D’Issarlès au Bouchet, en suivant le cours de la Loire jusqu’à Goudet, pour remonter ensuite par Costaros, se rencontrent l’île basaltique de la Farre, déposée sur un terrain primordial, et le volcan de Breysse, environné de cendres amoncelées depuis les hauteurs de Saint-Martin-de-Fugères jusques par-delà Présailles. Du lac du Bouchet au bois de Bar, règne une formidable barrière de montagnes d’une grandeur sauvage que rien ne saurait dépeindre. Auteyrac, Séneujols, Montbonnet, Vergezac, le Vernet et Fix sont les anneaux qui unissent cette chaîne occidentale à la Durande. De Bar à Saint-Front, si l’on trace une ligne à peu près circulaire passant par Craponne, Monistrol, Saint-Didier, pour remonter à Montfaucon, à Tence, à Fay-le-Froid, on parcourt un pays tout différent mais non moins pittoresque.

C’est Allègre, assis sous un cratère, et dont les dernières ruines féodales chancellent au vent ; c’est Ruessio, l’antique métropole qui trois fois changea d’existence et de nom ; c’est Craponne, la ville consulaire, autrefois orgueilleuse de ses murailles, de ses tours et de son château. Plus avant dans le centre, c’est Polignac, le redouté manoir ; c’est le monolithe dédié à saint Michel, merveille de la nature qu’on prendrait pour un monument des Pharaons ; c’est la cité de Notre-Dame, couchée sur le mont Anis, les pieds baignés par deux rivières, le front pensivement appuyé sur sa basilique sainte ; c’est la Roche rouge, curieuse lave de trente mètres de hauteur, dont les racines aiguës s’enfoncent dans des entrailles de granite ; enfin, à l’est, c’est Saint-Didier-la-Séauve , Monistrol , Montfaucon , Tence et Yssingeaux, que des habitudes commodes, des relations importantes pour leurs intérêts , séparent de l’ancien foyer Vellavien , plus encore que les hautes montagnes de Saint-Maurice, de Saint-Julien-du-Pinet, de Bessamorel et d’Araules. Entre Saint-Front et Issarlès, s’élève le Mézenc, roi de nos volcans. Il faut aller le visiter par une matinée brillante de juin ou de juillet. Alors, doux gravir, il a quitté son blanc suaire de frimas, et s’est paré, pour quelques jours, d’une robe de fleurs. Du sommet, l’œil distingue à l’horizon, à travers les vapeurs argentées, les crêtes du Cantal, des Monts-Dore, du Puy-de-Dôme, les plaines de la Bresse, les Alpes, le Grand-Som, le Mont-Blanc, et plus loin, au fond de la Provence, le Mont-Ventoux. Dans ce splendide panorama, la nature prend tous les aspects, offre les plus saisissants contrastes.

La cité Vellavienne avait cent soixante-cinq lieues carrées environ. Elle n’était pas, comme aujourd’hui, défrichée, mise imprudemment à nu presque sur tous ses points ; sa surface apparaissait, au contraire, entièrement couverte d’une antique forêt que la sagesse des nations primitives sut conserver jusqu’à la dernière heure sous la sauvegarde des lois et de la religion.

Les Vélaunes avaient pour voisins, au nord, les Arvernes ; à l’ouest, les Gabales ; au midi, les Volces Arécomices et les Helviens ; à l’est, les Ségusiens et les Allobroges. Quand César les nomme, il les appelle clients des Arvernes ; quand Strabon s’en occupe, il les classe entre ceux auxquels la liberté vient d’être rendue. Avant et après la conquête, affranchis ou sous une domination quelconque, ils gardent avec orgueil leur individualité et occupent un territoire dont les frontières ont sans doute beaucoup varié, suivant les oscillations de leur fortune, mais qui n’a jamais cessé d’être un pays à part. La civitas Vellavorum celtique se retrouve encore, quoique amoindrie, dans le Velay de 1789.

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HISTOIRE DU VELAY ANTIQUITÉS CELTIQUES ET GALL0-R0MAINES

PAR FRANCISQUE MANDET

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