Non patronymique de Marguerite.
Notre Cistercienne portait le nom de Marguerite de Langlois. Quatre auteurs donnent ce nom : ce sont Beausnier, de la Borde et Béquiller, Dutemps et M. Laurens. Les deux premiers le donnent sans la
particule et les deux autres avec la particule. On peut donc se regarder comme fixé sur ce point, mais
l’obscurité est complète sur la question de savoir ce qu’était la famille dont elle portait le nom. D’après la Ghenaye des Bois et Berdier, Dictionnaire de la noblesse, beaucoup de familles de ce nom auraient été possessionnées en Normandie et en Picardie. Marguerite appartenait-elle à une de ces familles? On n’en sait rien. Marguerite est incontestablement une gloire. Espérons qu’elle sera revendiquée un jour par quelque noble maison.
Son paya natal.
Beaucoup d’auteurs font Marguerite d’origine anglaise, entre autres, Dumoustier, Castellan, le Journal des Saints de l’ordre de Citeaux, le Gallia Christiana, Beaudraud, Beausnier, le Calendrier de Dijon et Godescard.
Je viens de dire que presque toutes les familles qui portaient le nom de Langlois, habitaient la Normandie et la Picardie. Ces familles n’étaient-elles pas venues d’Angleterre? Notre Sainte n’appartenait-elle pas à une de ces familles ? L’affirmation de toutes ces questions ne serait peut-être pas hasardée. Henriquez paraîtrait d’un avis contraire à celui de la plupart des auteurs. Dans son Ménologe, à la table des Saints par nation, il place la Bienheureuse Marguerite parmi les Saints français.
Il est facile de concilier la manière de de voir du savant cistercien avec celle des autres auteurs. Marguerite peut être issue d’une famille anglaise, naturalisée en France. Je ne parle pas de l’origine que lui donne la Vie manuscrite. On sait la confiance que mérite cette oeuvre.
Epoque de son existence à la Séauve.
L’Année cistercienne place l’existence de Marguerite à la Séauve vers l’an 1 400. L’auteur dit, en marge : versus annum 1400. Il est aisé de voir que cette date n’est donnée qu’approximativement. Vincent de Beauvais, qui parle d’elle, étant mort en 1 260, il est hors de doute qu’elle vivait avant cette époque. Malgré la fausse date qu’il assigne au fait qu’il raconte, Marguerite pouvait vivre encore au moment où il mourut. Le monastère de la Séauve n’ayant été fondé que vers les premières années du treizième siècle ou tout au plus vers les dernières années du douzième, le fait raconté par l’auteur ne pouvait être que récent.
Nous verrons tout à l’heure que Marguerite n’était qu’une enfant quand elle fut reçue dans l’abbaye.
Par tout ce que les auteurs cisterciens rapportent d’elle, on est en droit de conclure qu’elle n’était plus jeune lorsqu’elle mourut. De toutes ces circonstances il me semble qu’on peut conclure sans témérité que Marguerite vivait dans le treizième siècle. J’accepterais donc la date donnée par l’Année cistercienne, versus annum 1400. Cinquante ans plus tôt, la date fournie demeure toujours vraie, parce qu’elle n’est qu’approximative.
M. Bayon, prêtre sociétaire à Saint-Didier-la-Séauve, vient encore à l’appui de mon assertion. Dans son rapport dont je parlerai plus bas, il dit qu’on rend un culte à Marguerite de la Séauve de puis plus de cinq siècles. Or, il écrivait en 1732 :
Si on retranche les cinq siècles, on arrive vers le milieu du treizième.
Son Age lorsqu’elle entra dans l’abbaye.
Elle était fort jeune lorsqu’elle fut reçue dans le monastère. Ce fut, dit Henriquez, dès la première fleur de sa jeunesse, a primmvo juventutis flore. L’Année cistercienne ne parle pas autrement, quoi qu’en d’autres termes : Elle fat pieusement élevée dans cette sainte retraite dès les années de sa première innocence, a primes innocentiez annis in sacro gynmceo pie educata. Les auteurs de la Gaule chrétienne ne veulent pas faire entendre autre chose, truand ils affirment qu’avant d’être religieuse, elle avait été élève du monastère, ejus quondam coenobii alumna,
Il semble qu’on est en droit de conclure qu’elle n’avait guère que dix à douze ans et peut-être moins, lorsque sa famille la confia aux pieuses filles de Cîteaux. Enfant docile aux leçons qui lui furent données, aux exemples édifiants dont elle fut témoin, elle contracta, de bonne heure, des habitudes d’ordre et de piété. A l’abri des dangers du monde et des plaisirs du siècle, elle sut garder son cœur pur et exempt de toute affection terrestre. Les douceurs du cloître, les charmes de l’innocence qu’elle avait seuls connus, furent aussi les seules joies dont elle voulut jouir. Tout entière à Dieu, elle se sépara du monde et se donna à la religion sans hésitation comme sans regret. Nous verrons com bien son sacrifice fut parfait alors.
*D’après ,La Diana (Loire), »Recueil de mémoires & documents sur le Forez » (Date d’édition : 1873-1919)Page 38. Marguerite à la Séauve serait décédé le 3 Janvier 1206.
Fonctions de Marguerite à la Séauve.
Elle y exerça les fonctions de sacristaine. Jean-Marie de la Mure, le Calendrier de Cîteaux, Philippe Seguin, le Chronicon cisterciense, l’Année cistercienne et dom Chalamot l’affirment de manière que le doute ne soit pas permis sur ce point.
L’Année cistercienne nous apprend, en outre, que le soin de la chapelle et des ornements sacrés ne lui fut confié par l’abbesse qu’afln qu’il lui fût plus facile de satisfaire sa piété envers l’auguste sacrement de nos autels. D’après Philippe Seguin, elle ne se serait chargée de cet emploi qu’avec la plus grande humilité. Elle s’en croyait indigne, elle qui cependant le méritait à tant de titres.
On peut voir dans les auteurs que je viens de citer comment elle s’acquittait de sa charge. Animée de la foi la plus vive envers le Dieu eucharistique, elle tenait dans la propreté la plus exquise tout ce qui servait à l’oblation sainte. Les linges, les vêtements sacrés étaient, de sa part, l’objet de tous ses soins et de toute sa sollicitude. Elle «ut eu honte et eut re gardé comme un crime pour elle que la maison de Dieu n’eût pas été dans un état décent.
Marguerite doit être donnée comme un modèle ii tous ceux qui sont appelés, de près ou de loin, à exercer les fonctions qu’elle exerça elle-même dans son cloître. Qui ne lui adressera pas la belle prière que lui fait l’auteur de l’Année cistercienne : Apprenez-moi à traiter les divins mystères arec des mains et un coeur purs; car ce Dieu, auteur de la pureté, ce Dieu qui scrute les coeurs et les reins, abhorre les moindres souillures. Doce me puris manibus et corde divina mysteria tractare, nom et minimas sordes atersatur ille purilatis amator,ille scrutans corda et renes Deus. ,
Vertus qui ont le plus brillé en Marguerite.
Elle brilla de tout l’éclat des vertus, dit dom Chalamot. Toute de Dieu, absorbée par la pensée de Dieu, une seule sollicitude occupait son âme entière. Elle voulait, par une vie sainte, par une vie exempte de toute tache, mériter d’aller aux cieux. Pourquoi ne nous est-il pas donné de retracer cette vie dans toutes ses phases? C’est avec regret qu’on se voit forcé, faute de documents, de ne l’esquisser
que dans ses points les plus saillants. Les auteurs se taisent sur bien des choses. On ne peut faire ressortir que ce qu’ils disent. Les âmes éminemment chrétienne devineront assez le reste.
1° Patience à toute épreuve dans les afflictions et dans les maladies dont elle fut atteinte.
On sait ce que Vincent de Beauvais dit à ce sujet. La tradition, qui s’est conservée jusqu’à nos jours et qui a été constante dans tous les âges, va encore plus loin. A un moment de sa vie, ainsi que l’a ra conté l’auteur cité (p. 7), elle serait devenue comme un objet d’horreur pour ses compagnes. Méprisée à cause de ses infirmités, chassée du monastère, elle aurait été obligée d’errer dans les campagnes voisines et forcée de se réfugier dans les maisons hospitalières des environs. Au milieu de ces épreuves, elle n’aurait jamais montré que la plus grande résignation, le calme le plus parfait et une confiance sans bornes en Dieu. Elle avait compris ces deux maximes évangéliques que les âmes même pieuses oublient trop souvent peut-être que celui qui veut me suivre se renonce à lui-même et qu’il porte sa croix. — Bienheureux ceux qui souffrent,
parce qu’ils seront consolés.
2° Chasteté rare.
Elle eut le bonheur de consacrer à Dieu sa virginité, dès les premières années de son innocente quand elle fut introduite dans le couvent, elle l’était encore quand elle rendit son âme à Dieu. Par sa circonspection, par sa vigilance de chaque jour, elle avait su obtenir sur ses sens un empire presque absolu. C’est par les organes qui mettent l’âme en rapport avec les objets extérieurs que la chasteté reçoit les atteintes les plus dangereuses. La sienne n’en éprouva pas la moindre souillure. Elle était si pure dans son corps et dans son âme qu’on aurait pu l’ajouter, comme dixième, aux neuf nymphes, sous le nom de Pureté.
3° Foi la plus vive envers le sacrement de l’autel.
Les fonctions de sacristain ne lui furent confiées que pour qu’il lui fût plus facile de satisfaire les sentiments de piété que lui inspirait sa foi envers l’Eucharistie. Son cœur, son esprit, toutes les facultés vives de son Atre n’étaient à l’aise que lors qu’elle se trouvait aux pieds des autels. Ni la faim, ni la soif, ni le froid, ni le sommeil ne pouvaient l’en arracher. Nous avons vu avec quel soin elle traitait les choses de la maison de Dieu ; c’était la foi la plus ardente, la dévotion la plus vive qui l’animaient dans l’accomplissement de sa charge.
Elle ne voyait là qu’un devoir à remplir ; c’était un vrai besoin, pour son cœur. Qui nous dira tous les
soupirs qu’elle exhala, toutes les larmes qu’elle répandit, toutes les joies dont son cœur fut inondé
auprès de son divin Maître? Les âmes qui croient, qui sentent, sauront assez s’en faire une idée et le comprendre.
4° Détachement parfait des choses d’ici-bas.
Ce fut par mépris des plaisirs et des honneurs du monde, dit Philippe Seguin, qu’elle quitta le siècle et se condamna aux horreurs du cloître.
Presque continuellement occupée des choses divines, dit à son tour dom Chalamot, son cœur ne soupirait qu’après le ciel. Henriquez ne parle pas autrement : Tout entière aux choses divines, elle s’efforça de s’attacher à son Epoux par son amour et la pureté de son esprit. Marguerite ne touchait donc la terre que par son corps; son âme entière était aux cieux. Se regardant ici-bas comme dans un lieu de pèlerinage et d’exil, tous ses soupirs étaient pour la patrie céleste.
Don des miracles.
Remarquable par l’éclat de ses miracles, miraculorum gloriâ. L’accord des écrivains sur ce point est à peu près unanime. Je me borne à rappeler ce qu’ils en disent. Je rapporterai aussi ce qu’en pensent les populations du Velay.
Les savants bénédictins » de la Gaule chrétienne sont formels ici. Ils affirment que des miracles s’opèrent, chaque jour, sur le tombeau de sainte Marguerite : Apud quem, disent-ils, patrantur crebra in dies miracnla.
Le Calendrier de Dijon n’est pas moins catégorique ; .voici ce qu’il dit : Sainte Marguerite de la Séauve a éclaté par. la sainteté de sa vie et par plusieurs miracles qui lui ont donné rang parmi les Saints de son ordre.
Godescard ne parle pas autrement : On visite sa châsse avec une grande dévotion et on assure qu’il s’y est opéré un grand nombre de miracles. Odo de Gissey dit la même chose Sainte Marguerite qui, de présent, est tant réclamée à la Séauve et au tombeau de laquelle se font ordinai rement des miracles. Henriquez constate qu’elle est regardée comme vénérable par tous , parce qu’elle a brillé du don des miracles pendant sa vie et après sa mort.
Elle fut gratifiée des honneurs célestes, dit l’Année cistercienne, après avoir brillé ici-bas par ses
mérites et ses miracles.
Don Chalamot affirme que ses ossements furent tirés autrefois de la terre à cause des miracles in
signes qui se produisirent, et exposés, dans un lieu élevé, au culte du peuple fidèle.
Il serait superflu de citer les autres écrivains qui donnent la même affirmation. Il y a unanimité de
leur part.
Si nous consultons les populations du Velay, elles publient, d’une commune voix, la gloire de Marguerite sous ce rapport. L’empressement qu’elles mettent, depuis des siècles, à visiter les lieux do pèlerinage qui ont son culte pour objet» les ex-voto suspendus aux murailles de la petite chapelle de la Séauve, les pratiques pieuses qui existent en son honneur dans diverses localités, sont des preuves non équivoques de leurs convictions profondes à ce sujet. Tout cela n’aurait certainement pas lieu si elles ne croyaient pas à la puissance dont jouit auprès de Dieu la Bienheureuse Marguerite. Cette conviction se sera-t-elle maintenue pendant des siècles, si aucun fait surnaturel ne s’était jamais produit? Ce n’est pas croyable , surtout si on tient compte de l’affirmation unanime des écrivains.
Restes mortels de Marguerite.
Il est incontestable que ces restes mortels étaient autrefois dans l’église du couvent. Il ne me semble pas inutile d’en donner les preuves :
1° La table de marbre que l’on voit encore et qui se trouvait sur la tombe de Marguerite, à la chapelle
de la Séauve ;
2° Affirmations formelles à ce sujet données par Odo de Gissey, Jean-Marie de la Mure, le Gallia Christiana, l’Histoire générale du Languedoc et dom Chalamot ;
3° Note rapportée par la Gaule chrétienne et que
nous avons déjà citée ;
4° Constatation de l’existence de son corps parmi les reliques de l’abbaye, faite en 1658, par deux religieux de l’ordre de Cîteaux.
Il est pareillement certain que ces restes, d’abord ensevelis dans la terre, en furent tirés plus tard, à
une époque qu’il est impossible de déterminer et exposés, dans un lieu élevé, au culte du peuple fidèle.
C’est ce que dit dom Chalamot. Les religieux qui firent la vérification dont il vient d’être question, mettent parmi les reliques vérifiées le corps de sainte Marguerite, et ajoutent que toutes ces reliques furent, ou placées dans quatre reliquaires, ou laissées dans les coffres qui les contenaient toutes auparavant.
Qu’est devenu ce trésor précieux que nous serions si heureux de posséder aujourd’hui? Les démolisseurs, de 93 ont passé par là. Il n’allait pas à leurs principes anti- chrétiens de conserver ces restes,
objet de la superstition des peuples.
Consolons-nous, néanmoins. Tout n’est pas perdu. La piété des fidèles avait su, avant la destruction
opérée parles révolutionnaires, soustraire une fraction assez considérable du corps de Marguerite.
Cette parcelle est conservée dans un reliquaire, à l’église paroissiale de Saint-Didier-la-Séauve. On dit
même qu’elle n’est pas là sans une certaine permission de l’autorité diocésaine. On affirme pareillement que la paroisse de Saint-Maurice-de-Lignon possède aussi un fragment de ces restes mortels.
Je dois dire que rien de ce qui a appartenu à Marguerite ne se trouve derrière la plaque de marbre que l’on voit à la petite chapelle du monastère.
L’épitaphe qu’elle porte est entièrement fausse aujourd’hui. Des fouilles ont été pratiquées et rien n’a
été découvert.
source: «Marguerite de la Séauve»
Theillère, curé de Retournaguet