Propriétés de l’Abbaye

de Bellecombe

Règlements généraux de l’Ordre de Cîteaux concernant Les acquisitions de biens

Le premier règlement cistercien qui existe, la Charte de charité, interdit aux monastères la possession des églises, des villages, des serfs, des fours et des moulins bannaux. Les abbayes cisterciennes pourront avoir des terres arables, des vignes, des prés, des bois, des cours d’eau pour la pêche et pour y établir des moulins qui servent à leur usage seulement ; elles se procureront les chevaux et les autres animaux domestiques dont elles auront besoin.

Les monastères avaient donc la faculté de faire des acquisitions et ils pouvaient les faire considérables. II suffisait qu’ils eussent pour objet des biens d’une autre nature que ceux dont la possession leur était interdite. Le Chapitre général chercha à mettre des restrictions à cette faculté. Comme pour acheter il fallait avoir de l’argent et qu’il était permis de recevoir les offrandes, le Chapitre général défendit de les provoquer, soit en faisant des quêtes, soit en plaçant des troncs à l’entrée des abbayes. Les quêtes même qui auraient eu pour objet des constructions d’église, étaient formellement interdites aux Cisterciens. Malgré ces défenses, les ressources annuelles des abbayes pouvaient dépasser leurs dépenses beaucoup d’établissements étaient dans cette situation prospère, et, au lieu de consacrer leur superflu à des aumônes, ils l’employaient à des acquisitions d’immeubles. Le Chapitre reconnut lui-même, en 1191 « que l’Ordre de Citeate avait la réputation de ne cesser d’acquérir et que l’amour de la propriété y était devenu une plaie. » Il décida, en conséquence, qu’à partir de cette année tous les achats d’immeubles seraient interdits. Cette défense fut renouvelée en 4215, mais on n’eut pas le courage de la maintenir et on la raya l’année suivante.

Une nouvelle décision se produisit enfin en 4248 : Le Chapitre général donna aux pères abbés le pouvoir d’autoriser les abbayes de leur filiation à faire toutes les acquisitions qu’ils jugeraient convenables. L’année suivante, on décida même que cette autorisation ne serait plus nécessaire, On recommanda seulement aux pères abbés d’empêcher les abbayes de leur filiation de s’endetter pour faire des achats d’immeubles.

Grâce à la latitude laissée aux monastères sous le rapport des acquisitions, par le règlement de l’Ordre, grâce encore aux subterfuges dont on usait pour échapper aux restrictions prescrites, il y eut des abbayes cisterciennes qui devinrent fort riches. On peut citer, entre autres, celle de Clairvaux pour les hommes, et pour les femmes celle de Burgos, en Espagne. Le chiffre des revenus annuels de la première s’élevait, en 1789, à la somme de 554,000 francs de notre monnaie actuelle.

Clairvaux n’avait certainement pas commencé ainsi son berceau fut loin d’être semé de roses. Quand les moines de cette abbaye, dit un auteur, commencèrent les vastes défrichements qui’ devinrent plus tard, pour eux, une source de si grandes richesses, ils durent souvent se contenter des sauvages produits d’un sol encore inculte. On leur servait; en été, des plats de feuilles de hêtre; en hiver; les racines des herbes venues naturellement à l’abri des forêts. Leur plus grand régal était de mange? des faines. N’ayant encore pu acheter ni bestiaux, ni poules, ils ne pouvaient se procurer ni œufs, ni fromages ; n’ayant point encore planté de Vignes, ils se passaient de vin et buvaient de l’eau.

Beaucoup de monastères de l’Ordre passèrent, plus ou moins, par les diverses phases de celui de Clairvaux. Il y en eut qui furent toujours pauvres et ne purent se maintenir faute de ressources suffisantes.

(Sources : Charta charitatie. Statuts (In chapitra général da Citeaux. — Jean l’Ermite. Vie de saint Bernard. Lir. IL Apud Mab. — d’Arbois de Jubainville. )

Premières possession du monastère de Bellecombe. Acquisitions faite cers le XIIIe siècle. — Droit de dîme.

Nous avons dit déjà que le monastère de Bellecombe fut bâti d’abord près du Sue-Ardu et que ce fut vers les premières années du XIIIe siècle qu’il fut transféré à Bellecombe. Or, quelles furent, les propriétés de l’abbaye, clans ces deux localités, dès les premières années de son existence? Il serait assez difficile de le préciser. Quoiqu’il en soit de cette question, on peut présumer qu’elles furent dignes de la famille puissante qui en fut la donatrice. Les Chalencon et, en particulier, l’évêque du Puy, durent doter le monastère d’une manière convenable.

Nous voyons ses premières possessions solennellement confirmées, dès l’année 1148, par une bulle du pape Eugène III, donnée à Rheims, aux nones d’avril. Cette confirmation n’eut certainement pas lieu sans une enquête préalable. Le Souverain Pontife ne dut la donner qu’après s’être assuré que la dotation était suffisante pour le nombre des Religieuses qui devaient habiter le couvent. Il est aisé de voir là encore une présomption que les propriétés données n’étaient pas sans quelque valeur relative.

En 1229, Hugues de Saussac fait don à Bellecombe de quelques manses. Il veut qu’un des prêtres attachés au monastère prie spécialement, chaque jour, à l’autel, pour le donateur et son épouse, la dame de Vachères.

Cinq ans plus tard, la prieure achète de  Pierre de Monetère .et d’Hugon, son fils, avec l’autorisation d’Etienne, évêque du Puy, la manse de Bélistar, près d’Araules et quelques autres propriétés que nous ne connaissons pas.

A ces premières possessions vinrent s’ajouter, dans le même siècle, plusieurs manses, dont je me contenterai de donner l’énumération et, autant que possible, la date de l’acquisition de chacune d’elles :

1° La terre d’Adiac entre Rosières et Beaulieu, 1238.

2° Le Bouchet et la Besse, dans la paroisse d’Yssingeaux, 1250.

3° Vazeille et Montaigu, la première en 1256 et l’autre en 1859.

4° Sallelas, 1272.

5° Les fiefs de Vérots et de Rosières, 1282.

6° Courcoule, en face de Bellecombe.

7° Monteillet d’Aura.

8° Bonas, prés Saint-Jeure, 1303.

L’abbaye percevait encore des dîmes, dans un certain nombre de villages d’Yssengeaux, à la Besse, les Fauries, Alinhac, le Besset, le Nérial, la Frayde, les Caires, Freissenette-le-Vieux, Freissenet-d’Aure, Fayterne, Riou-d’Achon. Il serait impossible et, du reste, superflu de faire connaitre l’époque et le mode de l’acquisition de ces derniers.

On se tromperait grandement si l’on donnait aux propriétés que nous venons d’énumérer des proportions qu’elles n’avaient pas. Avec toutes ces manses, toutes ces dîmes, Bellecombe était loin d’être dans un état de fortune florissant vers la fin du mue siècle. A cette époque, le monastère était encore bien pauvre. Nous en trouvons la preuve dans le Gallia Christiana. Nous y lisons, en effet, que l’évêque du Puy, Gui de Neuville, s’étant emparé, par droit de main-morte, au préjudice de l’abbaye, de la manse de Courcoule, de Monteillet d’Aura et du territoire de Bélistar, ne put les garder longtemps. Il s’empressa de les restituer à Bellecombe. Les auteurs de l’ouvrage cité nous disent que le motif qui engagea l’évêque à cette restitution, fut la pauvreté du monastère, profiter Bellecombe paupertatem. Gui de Neuville avait, sans doute, usé de son droit, en s’adjugeant les trois objets en question, mais il avait mis les Religieuses de Bellecombe dans la gêne, et ce fut pour faire cesser cette détresse qu’il fit, de suite, restitution de ce qu’il avait enlevé.

(Sources Gallia Christiana. Quelques titres Manuscrit)

Discussions occasionnées aux Religieuses de Bellecombe par la possession de leurs biens.

La première dont l’histoire nous a conservé le souvenir est celle qui s’éleva entre le monastère de la Bénissons-Dieu, en Forez, et celui de Bellecombe. I1 est très-probable qu’il s’agissait, pour ce dernier, d’une propriété qu’il possédait dans le Forez et qui fut réduite en rente, plus tard Mme de Retz parle de cette rente dans sa déclaration, que nous ferons connaître dans le paragraphe suivant.

Quoiqu’il en soit, les contestations dont il s’agit allèrent fort loin, puisqu’il en fut déféré à l’Archevêque de Lyon et au Pape lui-même. Nous trouvons les deux lettres écrites à ce sujet dans le 204e volume de la Patrologie de Migne. Elles furent écrites par Henri de Castro Marsiaco, d’abord abbé de Clairvaux, puis cardinal et évêque d’Aline. Nous ne pouvons mieux faire que de les citer textuellement.

La première est adressée à Alexandre III. Voici ce qu’elle contient

Sanctissimo Patri et Domino Dei gratiâ Sum mo Pontifici, Henricus, modicum id quod est Paupercula domus nostra, que dicitur Benedictionis Dei, in arido loco terne sterilis fundata est, sed aupsta facultatibus et paupertate, ut si sola ei pascua ua defecerint animalium, continuo et ipsa pabula deficiant animarum. Surrexerunt enim imper quidam diverse Religionis et Ordinis alieni, qui cum habeant oves et boves abundantes in egressibus suis, in exterminium paucutarum ovium quibus prœdicta domus nostra consolabatur, utcnmque pauperiem, turmas varias et pecus multiplex induxerunt. Non solum alieni, sed et moniales de Bellacumbâ, preedicta domus pascua etiam suis graviter turmis incursant, et in confinio grangiarum ejus novas aedificant mansiones. Quapropter fratres nostri qui de domo illâ sunt, Clementiam Vestram, nobiS intervenientibus, deprecantur ut et per apertas litteras vestras communiter ad omnes et ad prœdictas moniales specialiter destinatas, hujus modi importunitatis coerceantur incursus, sint que, Vobis patrocinantibus, pascua proedictorum fratrum tam ab incursions libera quam a mole novae illius œdificationis exempta.

La seconde lettre a le même objet et est adressée à Guichard, archevêque de Lyon, auparavant abbé de Pontigny, de l’Ordre de Cîteaux. Elle porte la date de 1161. La voici dans son entier :

Domino et amico charissimo patrique reverendo Wichardo, Dei gratia Lugdunensi episcopo, Henricus Clarevallis, pater, salutem et modicum id quod est.

Filii vestri fratres nostri de Benedictione Dei, novi gravaminis oppressione tristantureo quod per multiplices aliœnoe Religionis et Ordinis pascua eorum peregrini gregis incursione proeccupantur et ad repellendas oviculas eorumdem fratrum turmas sibi intolerabiles coacervantur. Inter cœteros vero, imo prae cœteris, moniales de Bellacumbâ prœdictos fratres aedificatione novâ molestant et in confinio grangiœ suce

Centis domicilii erigunt mansionem. Quocircâ rogamus et petimus quatenus hujus i mportunitatis instantiam vigor vestrœ auctoritatis amoveat et filiorum nostrorum jura perire ab citerais non permittat.

Je ne sais quel résultat obtinrent ces deux lettres.

De très-vifs démêlés s’élevèrent entre le monastère de Bellecombe et les évêques du Puy vers la fin du XVIIème siècle et les commencements du XVIIIe. Le sujet des contestations fut la forêt du Coutent, située dans le territoire de Naïva, au-dessus du bois de Bellecombe. Les Religieuses prétendaient avoir droit à cette partie du Mégal, l’évêque du Puy soutenait, au contraire, que cette partie lui appartenait comme le reste. Les choses demeurèrent indécises assez longtemps. Il y eut de part et d’autre, tant que dura la contestation, des actes de propriété exercés sur la forêt en litige. A Bellecombe, on continuait, malgré les réclamations de l’évêque, à s’approvisionner des bois du Coutent. La surveillance que faisait exercer le prélat ou plutôt ses hommes d’affaires n’aboutissait à aucun résultat. Un jour cependant, les ouvriers du monastère furent surpris par les gens de Monseigneur de Béthune ; ceux-ci confisquèrent, au profit de l’évêque, les bœufs de l’abbaye qui étaient employés à emporter les bois du Coutent.

L’affaire fut enfin portée au Parlement de Toulouse, et, en 1744, il intervint une sentence qui attribuait le Coutent aux évêques du Puy.

Les pièces de ce procès, qui existent encore, disent que les évêques du Puy étaient possesseurs de la forêt du Grand-Mégal avant 1420. Des reconnaissances de cette époque les leur attribuent. A la date du procès, ils étaient possesseurs de trois autres forêts, la Faye, le Petit-Mégal et Lizieux, en .tout 2000 arpents de bois sur lesquels un certain nombre d’habitants des environs avaient le droit de pasquerage et de forestage.

(Sources : Patrologie de Digne — Pièces du procès.)

Situation financière de Bellecombe à la fin de son existence.

Il suffit ici de citer simplement la déclaration que fit Mme de Retz, en exécution des lettres patentes du 18 novembre 1789 touchant les biens, revenus et charges de l’abbaye royale de Bellecombe. Cette déclaration se trouve consignée dans les registres de la commune d’Yssingeaux :

1° Une église où les habitants de plusieurs, (villages viennent entendre la messe, fêtes et dimanches, à cause de l’éloignement de leur paroisse. lis sont pour la même cause inhumés (dans le cimetière de l’abbaye. L’argenterie de ladite église consiste en un encensoir avec sa navette, une paire de burettes avec le plat, un ostensoir et une custode. Le reste du mobilier, comme chandeliers, crucifix, crosse, est en bois argenté.

2° Un corps de maison attenant à ladite église, renfermant l’abbatiale occupée par nous, abbesse, plus dix chambres appelées cloîtres, occupées par les Religieuses ; plus six chambres pour les demoiselles pensionnaires ; plus, cinq chambres pour les étrangers, dont une habitée par notre directeur. La batterie de cuisine, linge de table, service en argent, le pur nécessaire.

3° Grenier, écurie, basse-cour, deux jardins, le tout contigu. Dans un des jardins, fournissant à peine le potage, est placé un moulin qui suffit à peine à moudre le grain nécessaire à la maison.

4° Ladite abbaye possède une prairie, attenante à la maison, dont le produit sert à la nourriture de douze bêtes à cornes et d’un cheval « ces bestiaux servent à l’importation du bois nécessaire à la maison et à la nourriture des chevaux des médecins, chirurgiens, gens d’affaires.

REVENUS DE L’ABBAYE :

  • Deux domaines à Bellecombe, d’un
  • revenu de………………………….. 4 ,374 I.
  • Un champ, idem, affermé ………………… 30 1.
  • L’abbaye déclare avoir suffisamment
  • du bois pour sa consommation.
  • La terre de Bellecombe produit, de
  • conformité au terrier, en blé, 118
  • setiers,valeur moyenne annuelle,
  • 21. 50 la mesure………………….. 2,360 1.

A reporter .     &,764

Report ………….. 4,1612; cc’ Huit setiers en  froment,   valeur de « 2 1. 65 la mesure    •                      110 il .
« Septante setiers en avoine (le setier « composé de douze métans). . .     4,232 1.
« Plus une rente dans Laval-Amblavés, « affermée. ……………………………. 1;200 1.
« Plus un autre terrain en vigne etdimes, « appelé la Charade, dans le Viva‑ -rais, affermé vingt charges de vin     480 1.
« Une rente dans la paroisse de Retour‑ ‘    « nac ,  affermée……………………601.
TOTAL. . . .7,1561.

CHARGES DE L’ABBAYE

« A Monsieur le directeur, pour ves‑ -tiaire…………………………………..
« Aux dames composant la commu‑ – nauté, pour vestiaire…………….. c                  Un contrat de rente en faveur des
« dames de Sainte-Marie-d’Yssen‑ « geaux………………………………..
200 400 601. 1. 1.
« Pour dimes à l’abbé Lafont, revenus « du clergé…………………………….4221.
Pour gages de treize domestiques . . .8331.
TOTAL . . . .1,915 _1. 

Suivent les signatures des onze Religieuses qui formaient le personnel de la maison : Mesdames de Retz, abbesse ; Praneuf, prieure ; de Cussac, de Chateauneuf, de Beaufort, de Chateuil, de Beaulieu, de Vergets, de Rochemure, de Saint-Pol. De Pousols.

D’après cette déclaration. faite devant des commissaires chargés de la contrôler, et qui, par conséquent, doit être regardée comme sincère, il est aisé de voir que l’abbaye de Bellecombe n’était pas, sous le rapport de la fortune, dans un état de prospérité bien brillant. Si l’on défalque le chiffre des charges de celui du revenu, il reste 5241 francs. 11 fallait que, avec cette somme, on pourvût à la nourriture de onze Religieuses et des treize domestiques qui servaient dans la maison. 11 n’y avait guère pour chaque personne que 248 francs. Il faut encore retrancher de cette somme les aumônes faites par le monastère et les dépenses occasionnées, soit pour l’entretien des bâtiments, soit pour la réception des étrangers. Evidemment, si des couvents ont mérité le reproche d’être trop riches, ce n’est pas celui de Bellecombe.

(Sources : Registres de la commune d’Yssengeaux.)

Extrait de l’ouvrage :

NOTES HISTORIQUES

SUR

LES MONASTÈRES

DE LA SÉAUVE

BELLECOMBE, CLAVAS ET MONTFAUCON

THEILLIER, curé de Retournaguet