Les Religieuses de Bellecombe

sont expulsées militairement de leur monastère

Les biens des couvents, dit M. Péala, avaient été confisqués au profit de la nation en même temps que les biens ecclésiastiques, le novembre 1789. Le 12 février suivant, tous les vœux de religion, faits ou à faire, furent déclarés nuls et abolis ; les couvents d’hommes ou de femmes furent tous supprimés sans exception. Ainsi, ajoute le bien-aimé et le bien vénéré supérieur, une Assemblée, dite Constituante, qui n’éleva jamais la voix contre les demeures du vice, contre les théâtres les plus licencieux, contre des clubs affreux où se tramaient les plus noirs complots contre la religion et la société, n’eut rien de plus pressé que de détruire des maisons qui ne nuisaient à personne et qui faisaient du bien à tout le monde ; elle se hâta de renverser les asiles les plus sûrs de la piété et de l’innocence, les demeures saintes où Dieu était particulièrement honoré et sa justice plus efficacement apaisée.

Mais, par un trait admirable de la Providence, la ruine de ces maisons en devint l’apologie la plus complète et donna le démenti le plus solennel à leurs détracteurs. Le refus que firent les Religieuses de sortir de leurs couvents lorsqu’on vint leur en ouvrir les portes et leur déclarer, au nom de la loi, qu’elles étaient libres de rentrer dans le siècle, leur désolation, lorsque plus tard on employa la violence pour les en arracher, la vie angélique qu’elles menèrent, pour la plupart, au milieu d’un monde corrompu, confondront à jamais ces écrivains téméraires, qui représentaient nos monastères comme des prisons, affectant de déplorer le sort des victimes qui y étaient entassées.

La conduite des Religieuses de Bellecombe fut en tout conforme à ce que l’on vient de lire. Après la suppression des couvents, on s’empresse de leur annoncer solennellement et avec emphase que la loi les a rendues .libres et qu’elles peuvent à l’instant rentrer dans le inonde et se séculariser. C’est les larmes aux yeux qu’elles écoutent cette déclaration et pas une ne veut devenir libre. Elles protestent, d’un commun accord, qu’elles ne veulent pas de cette liberté qu’on leur apporte. On redouble d’instances : elles ne répondent que par des sanglots. Tous les moyens sont employés pour les résoudre à déserter leur demeure ; prière de la part de ceux qui s’intéressent à elles et qui comprennent très-bien que tôt ou tard il faudra se soumettre, menaces de la part de quelques particuliers mal intentionnés et surtout des agents de la force publique, les religieuses ne s’émeuvent de rien et continuent à se roidir. C’est ainsi, au milieu des plus vives perplexités, des angoisses les plus poignantes, qu’elles arrivent jusqu’à la fin de 1792.

La municipalité d’Yssingeaux reçut alors des ordres formels d’employer la violence et d’agir militairement. Un détachement de gardes nationaux fut chargé de la mission de faire déserter le monastère. C’était vers la fin du mois d’octobre. Les Religieuses, prévenues à temps, n’attendirent pas la force armée et se déterminèrent à prendre la fuite. Ce fut en pleurant, en sanglotant, qu’elles dirent adieu à la demeure où elles avaient passé de si heureux jours et où elles auraient voulu laisser leurs cendres.

La garde nationale trouva la maison vide et revint sur ses pas après ce facile triomphe. Plus d’un, qui ne marchait que pour obéir à la loi, se réjouissait, au fond du coeur, de n’avoir point été obligé d’employer la violence.

Les Religieuses errèrent quelque temps sur les montagnes de Mégal et de Lisieux et furent enfin recueillies, transies de peur et de froid, par de pauvres paysans de nos montagnes. Elles étaient au nombre de onze : Mesdames de Retz, abbesse ; de Lussac, de Châteauneuf, de Praneuf, de Beaufort, de Chastel, de Bouillé, de Verger, de Rochemure, de Saint-Pol, de Posols.

Quelques jours après, elles étaient toutes en sûreté, et, pour la plupart, dans leurs familles respectives, dans l’attente de jours meilleurs et plus sereins. Ces jours meilleurs devaient revenir, mais toutes ne devaient pas les voir. Celles qui les virent ne purent rentrer dans leur couvent ; il leur fallut passer leur vie loin de leur ancienne demeure, où elles avaient vécu avant la tourmente, assistées par leur famille et avec le secours qui fut accordé plus tard par un gouvernement réparateur.

(Sources : M. Péala, Martyrs du diocèse du Puy.)

Extrait de l’ouvrage :

NOTES HISTORIQUES

SUR

LES MONASTÈRES

DE LA SÉAUVE

BELLECOMBE, CLAVAS ET MONTFAUCON

THEILLIER, curé de Retournaguet