L’ancien Velay

Entre les plaines fertiles de la Basse-Arvernie et les chaudes provinces des Helviens et des Volces, sous un ciel dont on vante la beauté, s’élève brusquement un groupe considérable de froides et rudes montagnes. – C’est là qu’était la Vellavie. Hormis quelques langues de terre que fécondent les cendres descendues des volcans, à l’exception de quelques riantes vallées qui s’abritent des mauvais vents derrière de grandes roches et s’épanouissent en silence aux plus doux rayons de soleil, le territoire des Vélaunes porte les violentes empreintes d’une agitation profonde. En face de ces immenses coulées de laves, de ces pics basaltiques dont les prismes se dressent par milliers en faisceaux gigantesques, de ces amas de scories agglutinées et de lapilli, rouges comme s’ils sortaient des fournaises, le géologue contemple avec une admiration mêlée d’effroi les bouleversements des premiers âges. Pour lui, cette terre est le théâtre sur lequel une des journées séculaires du drame universel vient de s’accomplir. La scène est encore frémissante, il regarde, il interroge, et peut dire, en vérité, que la science ne présente nulle part, à l’histoire des misérables luttes humaines, une plus prophétique et plus terrible introduction.

L’Allier sert de ceinture à l’ANCIEN VELAY, de l’est à l’ouest, et se fraye un passage dans les gorges escarpées de Saint-Vénérand, de Vabres, d’Alleyras, de Saint-Didier, de Saint-Julien-des-Chazes, de Chanteuges. D’un autre côté, la Loire, après être entrée par les portes de la Farre et de Salettes, comme un courant inoffensif, se précipite, vive et grondeuse, grossie sur sa route par les torrents d’hiver et par les eaux souvent perfides de la Borne, du Ramet, de l’Arzon, de l’Ance et du Lignon. Les cratères d’Issarlès, de Saint-Front, du Bouchet et de Bar, dominent aux quatre expositions de la contrée, semblables à quatre grandes limites. Jadis, de leurs flancs déchirés s’élançaient impétueusement des fleuves de feu ; maintenant sur leurs cîmes, transformées en coupes immenses, poussent de frais gazons, reposent de paisibles lacs, dont rien n’altère l’admirable limpidité. D’Issarlès au Bouchet, en suivant le cours de la Loire jusqu’à Goudet, pour remonter ensuite par Costaros, se rencontrent l’île basaltique de la Farre, déposée sur un terrain primordial, et le volcan de Breysse, environné de cendres amoncelées depuis les hauteurs de Saint-Martin-de-Fugères jusques par-delà Présailles. Du lac du Bouchet au bois de Bar, règne une formidable barrière de montagnes d’une grandeur sauvage que rien ne saurait dépeindre. Auteyrac, Séneujols, Montbonnet, Vergezac, le Vernet et Fix sont les anneaux qui unissent cette chaîne occidentale à la Durande. De Bar à Saint-Front, si l’on trace une ligne à peu près circulaire passant par Craponne, Monistrol, Saint-Didier, pour remonter à Montfaucon, à Tence, à Fay-le-Froid, on parcourt un pays tout différent mais non moins pittoresque.

C’est Allègre, assis sous un cratère, et dont les dernières ruines féodales chancellent au vent ; c’est Ruessio, l’antique métropole qui trois fois changea d’existence et de nom ; c’est Craponne, la ville consulaire, autrefois orgueilleuse de ses murailles, de ses tours et de son château. Plus avant dans le centre, c’est Polignac, le redouté manoir ; c’est le monolithe dédié à saint Michel, merveille de la nature qu’on prendrait pour un monument des Pharaons ; c’est la cité de Notre-Dame, couchée sur le mont Anis, les pieds baignés par deux rivières, le front pensivement appuyé sur sa basilique sainte ; c’est la Roche rouge, curieuse lave de trente mètres de hauteur, dont les racines aiguës s’enfoncent dans des entrailles de granite ; enfin, à l’est, c’est Saint-Didier-la-Séauve , Monistrol , Montfaucon , Tence et Yssingeaux, que des habitudes commodes, des relations importantes pour leurs intérêts , séparent de l’ancien foyer Vellavien , plus encore que les hautes montagnes de Saint-Maurice, de Saint-Julien-du-Pinet, de Bessamorel et d’Araules. Entre Saint-Front et Issarlès, s’élève le Mézenc, roi de nos volcans. Il faut aller le visiter par une matinée brillante de juin ou de juillet. Alors, doux gravir, il a quitté son blanc suaire de frimas, et s’est paré, pour quelques jours, d’une robe de fleurs. Du sommet, l’œil distingue à l’horizon, à travers les vapeurs argentées, les crêtes du Cantal, des Monts-Dore, du Puy-de-Dôme, les plaines de la Bresse, les Alpes, le Grand-Som, le Mont-Blanc, et plus loin, au fond de la Provence, le Mont-Ventoux. Dans ce splendide panorama, la nature prend tous les aspects, offre les plus saisissants contrastes.

La cité Vellavienne avait cent soixante-cinq lieues carrées environ. Elle n’était pas, comme aujourd’hui, défrichée, mise imprudemment à nu presque sur tous ses points ; sa surface apparaissait, au contraire, entièrement couverte d’une antique forêt que la sagesse des nations primitives sut conserver jusqu’à la dernière heure sous la sauvegarde des lois et de la religion.

Les Vélaunes avaient pour voisins, au nord, les Arvernes ; à l’ouest, les Gabales ; au midi, les Volces Arécomices et les Helviens ; à l’est, les Ségusiens et les Allobroges. Quand César les nomme, il les appelle clients des Arvernes ; quand Strabon s’en occupe, il les classe entre ceux auxquels la liberté vient d’être rendue. Avant et après la conquête, affranchis ou sous une domination quelconque, ils gardent avec orgueil leur individualité et occupent un territoire dont les frontières ont sans doute beaucoup varié, suivant les oscillations de leur fortune, mais qui n’a jamais cessé d’être un pays à part. La civitas Vellavorum celtique se retrouve encore, quoique amoindrie, dans le Velay de 1789.

Source de l’extrait :

HISTOIRE DU VELAY ANTIQUITÉS CELTIQUES ET GALL0-R0MAINES

PAR FRANCISQUE MANDET

http://books.google.com