l’Abbaye de Chazeaux-les-Cornillon

Non loin des frontières de l’ancien comté de Forez, sur la limite sud-ouest du département de la Loire, et à quelques pas de Firminy; au milieu d’une fraîche et paisible vallée ouverte, dans la direction du nord, pour donner passage au torrent de Gampille, et, du côté du midi, se bifurquant en deux ravins étroits, profonds et sinueux qui montent l’un et l’autre, par des pentes rapides et inégales, vers les premiers plateaux des Cévennes, on aperçoit, épars çà et là à travers les prairies, plusieurs groupes d’habitations rustiques sur lesquelles profile un peu lourdement la ligne sombre et monotone de quelques vieux bâtiments. C’est Chazeau, tranquille petite bourgade peuplée de cultivateurs honnêtes et de cloutiers laborieux.

Chazeau est ancien. On l’appelait, dans les chartes du moyen-âge : Chazalia, Casalia, et encore, mais plus tard : Casale, les Chazeaux; dénominations qui toutes éveillent dans l’esprit l’idée d’un groupe de chaumières, de maisonnettes chétives. Le mot casa et, par corruption, chasa, qui forme la racine de ce nom propre, désigne en effet une petite maison, une cabane; c’est de là également que dérive l’expression italienne casale, dont la signification est tout à fait identique à celle du substantif latin casale. Dans la suite, on appela ce hameau, ainsi que la parcelle dont il était le centre, Chazeaux-les-Comillon, pour indiquer très-probablement les liens de subordination, de dépendance qui les rattachaient l’un et l’autre à Cornillon, résidence du seigneur, et par conséquent chef-lieu de la baronnie.

ce lieu était connu longtemps avant la fondation du couvent, et l’on se servait, pour le désigner, du mot Casalibus, qui offre le tableau de cette vallée comme couverte d’un nombre indéterminé d’habitants. L’acte de fondation lui-même le prouve, puisque la dotation donna deux granges situées dans ce lieu; et plus tard, un certain Chalveyron, donnant sa personne et ses biens à la nouvelle abbaye, mentionne les maisons qu’il possédait à Chazeau. Ce n’est donc point Luce de Beaudiner qui imposa ce nom au couvent qu’elle fondait; ce n’est donc pas, par conséquent, le couvent qui donna le sien à ce petit canton; ce fut le lieu même, au contraire, qui l’imposa au nouvel édifice. Nous avons tort d’écrire Chazeau; la véritable orthographe doit être: Chazaux », ou plutôt: Chazeaux, ainsi que l’attestent plusieurs documents officiels que nous avons sous les yeux.

C’est donc, très probablement, dans la seconde période du treizième siècle, au moment à peu près où l’illustre famille des Beaudiner fait son apparition dans l’histoire de la baronnie de Cornillon , que fut construit ce châtelet, auquel doit se rattacher sinon la formation, au moins le développement plus ou moins rapide du groupe modeste qui vint s’abriter autour de ses hautes murailles, et prit, à cause de sa position sur le point le plus important et le plus central de la vallée, le nom de Chazalia, les Chazeaux.

Chazeau n’acquiert, au point de vue historique, une importance réelle qu’à partir du jour où la veuve de Guillaume de Poitiers, édifiant son monastère au centre de ce vallon qu’elle aimait, y créa du même coup une source nouvelle de vie et de prospérité.

Luce de Beaudiner était fille de Guillaume II, baron de Beaudiner, de Montregard, du lieu de la Chapelle, au diocèse du Puy, de Cornillon en Forez, etc., etc., et de Béatrix de Jarey, noble chrétienne des premiers âges. Élevée dans une famille où les saintes croyances, le culte fervent de la religion et de l’honneur étaient en grande révérence, la jeune damoiselle se montra d’une fidélité constante aux saintes traditions qui formaient le glorieux patrimoine de sa race. Après la mort de son père , elle épousa, le 4 septembre de l’année 1293, messire Guillaume de Poitiers , dit Guillaumet, seigneur de Saint-Vallier et de Tain, dont elle eut cinq enfants: « 1° Guillaume de Poitiers, seigneur de Chanéac , deuxième du nom , baron de Beaudiner et de Montregard; 2° Alix de Poitiers, femme d’Etienne de Vissac, seigneur d’Arlenc; 3° Béatrix de Poitiers, que Luce de Beaudiner substitua à Guillaume en la baronnie de Beaudiner; elle était mariée à Jean, seigneur de Crussol ; 4° Florie de Poitiers, épouse de Jean Payen ou Pagan , seigneur de Meau; 5° Alixente de Poitiers, mariée à Marquis , seigneur de Canillac, chevalier.

Luce de Beaudiner était veuve depuis onze ans environ. Après le triste évènement qui privait la seigneurie de son chef, la noble veuve de Guillaume de Poitiers avait saisi les rênes du commandement, et gouverné la baronnie avec une rare sagesse, constamment inspirée par cette magnanimité singulière qui était le caractère distinctif des Beaudiner, et leur avait valu, sur toute l’étendue de leurs terres, l’amour et les bénédictions de leurs vassaux.

Or, ce fut pendant les premières années de cette triste période de sa vie que Luce de Beaudiner , pour faire une noble diversion à sa douleur, ou , pour mieux dire , afin de lui donner une satisfaction légitime, chrétienne, et lui assurer en conséquence un efficace soulagement, fit édifier à ses frais , de bonis propriis , sur le territoire de Chazeaux , et, dans le voisinage du châtelet désert , le sanctuaire de structure simple et modeste qu’on y voit encore aujourd’hui. Ce monument , dont l’importance devait grandir dans la suite et s’élever jusqu’à la dignité d’église abbatiale, qui devint plus tard le but d’un pèlerinage célèbre dans le pays , et vit pendant longtemps des foules croyantes et recueillies affluer dans son enceinte , n’était , dans l’origine , qu’une chapelle expiatoire , élevée par une pensée touchante de charité chrétienne au culte pieux des souvenirs. Là, deux chapelains qui avaient leur habitation dans l’ancien rendez-vous de chasse converti, partiellement du moins, en presbytère, célébraient régulièrement chaque jour la sainte messe, et récitaient l’office divin pour les défunts de l’illustre famille des Beaudiner, ainsi que pour le repos de l’âme de feu noble et puissant seigneur Guillaume de Poitiers, baron de Cornillon.

Mais la pieuse veuve trouvait déjà que cette première fondation était loin de répondre aux sentiments qui dominaient son âme; il fallait à sa foi, il fallait à ses regrets quelque chose de plus. Un projet d’œuvre pie fonctionnant sur un plan plus vaste, et portant le caractère d’établissement monastique, mûrissait depuis longtemps dans son esprit. Elle jugea que le moment était venu de le mettre à exécution.

A cette époque, l’ordre de Franciscaines, si connu en France sous le nom de Clarisses, et en Italie sous celui de Pauvres-Femmes, se propageait avec une rapidité croissante. Isabelle de France, sœur de saint Louis , avait, en 1255, donné un nouvel essor à ce mouvement d’expansion de l’œuvre de Sainte-Claire , en fondant à Longchamp , près de Paris , et sur la lisière du bois de Boulogne, l’abbaye de ce nom, laquelle est demeurée fameuse entre tous les établissements de la famille franciscaine. En 1304, Blanche de Châlon, dame de Belf  leville, créait également à Lyon le célèbre couvent de la Déserte, et, non loin de la ville d’Anse, celui de Brienne.

Luce de Beaudiner le choisit de préférence, pour assurer les résultats de la fondation qu’elle se proposait de faire, dans l’humble et tranquille vallée de Chazeaux. Elle avait déjà obtenu, l’année précédente (1331), de Jean Ier, comte de Forez, les lettres de permission et d’octroi  nécessaires pour régulariser ses démarches ultérieures. Dans l’acte de concession, le seigneur suzerain se réservait formellement et expressément les droits de justice et de garde sur les biens composant la fondation projetée par la baronne de Cornillon. Il y mettait également cette condition, singulière à noter, savoir: « Que les religieuses de Chazeaux seraient perpétuellement soumises au gardien des Frères-Mineurs de Montbrison. » L’Archevêque de Lyon, Pierre de Savoie, donnait son assentiment le plus complet à l’œuvre entreprise par la veuve de Guillaume de Poitiers, animée du zèle le plus pur pour la gloire de Dieu.

Par l’entremise du vénérable prélat, Luce de Beaudiner écrivit au pape Jean XXII, résidant à Avignon, une lettre dans laquelle elle communiquait à Sa Sainteté le dessein qu’elle méditait depuis longtemps, et sollicitait, pour le réaliser, sa haute approbation. Elle lui parlait d’abord de la chapelle expiatoire élevée à ses frais sur le territoire de Chazeaux, des deux chapelains qui, avec l’agrément de l’autorité diocésaine, célébraient chaque jour, dans ce sanctuaire privilégié, le saint sacrifice de la messe et les autres divins offices, missœ et alla divina officia.

L’humble postulante exposait ensuite au Saint-Père que, professant une admiration affectueuse pour l’ordre de Sainte-Claire, son plus ardent désir était de faire construire à Chazeaux, soit proche, soit autour de la chapelle expiatoire, circà vel juxtà, avec ses accessoires et dépendances, un monastère de religieuses appartenant à cet institut. Enfin, elle terminait en suppliant humblement Sa Sainteté de vouloir bien lui accorder l’autorisation de bâtir le couvent projeté, et d’y établir une communauté de Clarisses, sous clôture et observance régulière des constitutions franciscaines.

Le Pape, touché de cette filiale supplique qui, en témoignant d’un profond attachement pour le Saint-Siège, le consolait des amères douleurs dont son âme était abreuvée, répondit à la noble dame par la bulle dont voici la traduction:

« Jean, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à notre bien-aimée fille en Notre-Seigneur Jésus-Christ Luce, dame de Beaudiner et de la Chapelle, du diocèse de Lyon, salut et bénédiction apostolique. Nous voyons que l’ardeur de votre foi et de votre dévotion vous a inspiré la pensée de donner plus d’éclat à la gloire du nom de Dieu. Ce dessein pieux et digne d’éloge, nous l’accueillons favorablement, et nous vous accordons volontiers tout ce qui pourra vous être nécessaire pour mener à bonne tin, avec l’aide de Dieu, une entreprise qui a pour objet ses louanges et sa gloire.  Dans la supplique qui nous a été présentée de votre part, nous lisons que, en vertu d’une permission émanée de l’autorité diocésaine, vous avez fait construire, il y a déjà quelque temps, dans le lieu appelé Chazeaux, au diocèse de Lyon, pour votre salut, celui de votre père, de votre mère, de tous vos parents, une chapelle ou église; que vous avez obtenu du même évêque diocésain la faculté de faire célébrer, dans cette chapelle ou église, la messe et les autres divins offices; enfin, que portant un intérêt tout particulier à l’ordre de Sainte-Claire, vous avez l’intention et le désir d’édifier au même lieu , dans le voisinage ou autour dudit sanctuaire, un couvent de cet ordre, avec un cimetière et les autres accessoires indispensables. C’est dans ce but que vous nous avez supplié humblement de vous accorder pleins pouvoirs, à l’effet de construire ce monastère avec les dépendances utiles et nécessaires aux établissements de ce genre, lui constituant de la sorte une dotation; puis, lorsque vous auriez construit et doté le monastère, d’y placer, sous clôture et observance régulière des constitutions dudit Ordre, des religieuses de Sainte-Claire, destinées à y servir Dieu perpétuellement. Désirant donc favoriser ce zèle pour le culte divin, voulant assurer à la majesté du Très-Haut une gloire plus grande , et à la mémoire des saints une dévotion plus empressée; agréant, sur ce point, votre demande; en considération de votre piété et en vertu de notre autorité apostolique, nous vous accordons permission pleine et entière d’édifier le monastère dont il est question, avec ses dépendances utiles et nécessaires, et d’y placer, après son achèvement, sous clôture et observance régulière des constitutions de sainte Claire, des Religieuses destinées à y servir Dieu perpétuellement. Mais vous aurez soin de constituer préalablement auxdites Religieuses, et sur l’avis de l’évêque diocésain, une dot suffisante, eu égard à leur nombre et à celui des personnes attachées au service du monastère.

Donné à Avignon, le deuxième jour de mars, la seizième année de notre pontificat. »

Les bâtiments furent installés à la suite de l’ancien rendez-vous de chasse, en face de la chapelle expiatoire, dont ils étaient séparés sur ce point par un mur de clôture. Un couloir ménagé vers la partie méridionale mettait les lieux réguliers en communication avec le chœur des Religieuses, dont on voit encore aujourd’hui l’ouverture, à la droite du maître-autel. Le cimetière occupait, dans le plan d’ensemble qui fut tracé alors, une enceinte comprise entre le chœur des religieuses et l’abside de la chapelle. Des ossements découverts en grand nombre, pendant des fouilles récentes opérées à cet endroit, puis à la surface du sol, une végétation acre et désordonnée, accompagnée d’une flore toute spéciale, la flore lugubre et sombre des terrains funéraires, ne laissent aucun doute à cet égard.

Le châtelet et ses dépendances furent spécialement affectés au logement de l’Abbesse, aux cuisines et au réfectoire. Les deux chapelains, vénérable Nicolas Cara et vénérable Hugues de la Porte, de Saint-Just-lès-Velay, qui devaient rester chargés du service religieux du Monastère, furent installés dans un petit bâtiment construit tout exprès sur les rives du Combaubert, et entouré d’un jardin clos de murs. Quant à l’espace qui demeurait libre autour de l’oratoire, on en fit un passage destiné à donner au public accès vers le Monastère.

après avoir reçu notification de l’avis favorable donné à son œuvre par la cour pontificale, Luce de Beaudiner poussa les travaux de construction avec une grande activité; car, le dix-neuf septembre de la même année, le gros œuvre du Monastère était parvenu à son achèvement complet. Six mois à peine avaient suffi pour mener à bonne fin l’ensemble des opérations qui comprenaient et l’édification des bâtiments de la future abbaye et l’établissement du vaste pourtour de l’enceinte claustrale. La pieuse baronne de Cornillon, heureuse de voir approcher le terme de ses désirs, manda incontinent, par lettres missives, à Pierre de Savoie, archevêque de Lyon, que les bâtiments destinés à recevoir ses chères Religieuses étaient achevés, et qu’elle désirait accomplir sans plus de retard la dotation de cet établissement selon les prescriptions formelles du Saint-Père. Elle priait, en conséquence, Sa Grandeur de vouloir bien envoyer sous le plus bref délai, au château de Cornillon, où elle résidait en ce moment, le notaire chargé de faire, au nom de l’autorité diocésaine, l’information canonique sur la dotation du monastère de Chazeaux.

L’Archevêque de Lyon , pour se conformer aux désirs de Luce de Beaudiner, qu’il savait impatiente de mettre la dernière main à l’œuvre sainte qu’elle avait entreprise, délégua Jacques du Verney, notaire public et juré de sa cour, pour procéder aux formalités relatives à l’information prescrite par le rescrit de Jean XXII, que nous avons cité précédemment. Or, cette information comprenait, aux termes des instructions émanées de l’administration archiépiscopale, une double série d’opérations. Le commissaire chargé de ladite enquête devait d’abord, après s’être transporté à Chazeaux, constater par lui-même si les constructions du Monastère étaient disposées d’une façon conforme aux règles de l’institut de Sainte-Claire, si l’établissement était muni de toutes les dépendances nécessaires pour le service de la future communauté. Le délégué de l’autorité diocésaine devait ensuite examiner les propositions de la pieuse fondatrice relatives à la dotation du monastère projeté, juger si, en raison des conditions spéciales où allait se trouver cette maison, les ressources, tant en argent qu’en nature, atteindraient une quotité suffisante pour l’entretien de huit Religieuses et des serviteurs indispensables au service du couvent; et, enfin, dresser l’acte authentique et définitif de la fondation et dotation du monastère de Chazeaux.

Le délégué de l’Archevêque trouva les constructions élevées par Luce de Beaudiner, à Chazeaux, parfaitement en harmonie avec leur destination , et tout-à-fait suffisantes pour les huit Religieuses qui devaient s’y établir ; seulement l’aménagement intérieur des bâtiments cénobitiques n’était pas encore terminé. Le mobilier faisait à peu près complètement défaut, la chapelle seule possédait des vases sacrés, quelques ornements sacerdotaux, et les livres liturgiques rigoureusement indispensables pour la célébration des saints offices. La fondatrice, dont la bonne volonté n’était assurément pas en défaut, mais à qui le temps seul avait manqué, s’engagea à faire préparer d’une manière convenable l’asile auquel elle allait confier ses chères Clarisses. Elle promit aussi de pourvoir incontinent à l’ameublement définitif de la chapelle , du chœur, enfin du Monastère tout entier.

Fondation de l’abbaye de Chazeaux.

On était alors au dix-neuvième jour du mois de septembre de l’année 1332. Les honorables personnages que nous avons nommés plus haut se réunirent au château de Cornillon, afin de prendre part au contrat de fondation du monastère de Chazeaux et garantir, par leur présence et leur témoignage, la sincérité des déclarations qui allaient y être consignées. Il fut convenu d’abord qu’on porterait le taux de la dotation pour chaque Religieuse à dix livres viennoises annuelles, et pour chacun des deux chapelains attachés au service du couvent, à cinquante sols viennois par an, outre une rente de dix livres viennoises annuelles , provenant d’une libéralité faite antérieurement par Guillaume de Beaudiner, père de la fondatrice. Ce point fondamental une fois réglé d’un commun accord, Jacques du Verney dressa, conjointement avec son collègue Guillaume Pellicier, notaire royal en la baronnie, la charte qui assurait au monastère de Chazeaux la dotation modeste dont le gratifiait la pieuse veuve de Guillaume de Poitiers.

Les Religieuses Clarisses prennent possession du Monastère de Chazeaux. — Luce de Beaudiner choisit cette maison pour sa résidence. — Marguerite Riqaud, première Abbesse du couvent de Chazeaux.

Le prestige qu’exerçait autour d’elle cette abbaye modeste, fondée depuis deux années à peine, était si grand; la réputation de sainteté attribuée aux hôtes qui l’habitaient avait acquis , dans ta contrée, des proportions telles , que chacun regardant comme une faveur inestimable le privilège d’être inhumé au cimetière réservé dans son enceinte, aspirait à pouvoir, après sa mort, reposer dans la paix de cette demeure bénie, afin de sentir en quelque façon descendre sur sa tombe les oraisons bienfaisantes de ces bonnes Sœurs qui savaient si bien prier Dieu. Déjà même plusieurs personnes avaient reçu la sépulture dans l’intérieur du Monastère, et le nombre des défunts qu’on présentait à ses portes pour y être inhumés devenait de plus en plus considérable.

Tout cela était admirable sans doute, mais n’était pas précisément régulier, si l’on se réfère aux dispositions canoniques et aux règlements particuliers qui régissaient l’ordre de choses dont nous parlons. Chazeaux appartenait à la paroisse de Firminy, dans la circonscription de laquelle il se trouvait. Or le Prieur, et subsidiairement le Curé de cette localité, avaient, à ce titre, sur la parcelle relevant de leurs domaines et juridiction, des droits à eux conférés par la législation d’alors, et surtout en vertu de privilèges spéciaux accordés par les Pontifes romains à l’abbaye de l’Isle Barbe, dont Firminy était une dépendance.

Dans le but de maintenir et de faire prévaloir ces droits en face d’une situation nouvelle qui amenait insensiblement ses administrés à les méconnaître, Frère Jocerand de Fayne, prieur, et avec lui messire Simon de l’Orme, curé de Firminy, intentèrent un procès au monastère de Chazeaux, en la personne de dame Luce de Beaudiner, dame de Cornillon, y résidant.

Ainsi Luce de Beaudiner, et en sa personne seule directement mise en cause, Marguerite Rigaud , abbesse du Monastère , et les deux chapelains , tous ensemble et solidairement , devant Dieu et en conscience, étaient accusés de porter un préjudice énormeau prieur et au curé du bourg de Firminy, par le fait de la fondation d’un monastère à Chazeaux, par la retenue injuste des offrandes et oblations déposées en l’église de l’Abbaye, ainsi que des honoraires casuels perçus, à l’occasion des funérailles célébrées dans ladite église conventuelle.

Au jour fixé, le prieur et le curé de Firminy se rendirent à l’abbaye de Notre-Dame, en compagnie des témoins qu’ils avaient choisis. La baronne de Cornillon, de son côté . se présenta entourée d’un nombre égal de conseillers qu’elle avait convoqués pour la même fin. Les personnages qui devaient ainsi composer le tribunal étaient au nombre de quatorze; c’étaient: Hugues de Pierregourde , seigneur dudit lieu; Armand de la Rochain , tous deux chevaliers; discrètes personnes maîtres Pierre du Verney , Guillaume Dolza, jurisconsultes ; noble Bertrand de Beaudiner, Guillaume de Villeneuve , Jean de la Rochain , Guillaume Taillefer, Perronnet des Mazeaux, Hugues de Brannac, damoiseaux; Jean de la Font, clerc; Jacques Granger , de Chazeaux; Jacques, fils du nommé La Conque, de Saint-Didier; messire Vital Dessaignes , prêtre.

Trois ans après la solution pacifique de ce différend qui, en d’autres mains, aurait pu, en s’envenimant, prendre les proportions d’un véritable conflit, Luce de Beaudiner fut atteinte d’une grave maladie. Elle se trouvait alors loin de ses religieuses, à Clavas-en-Riotord, au pays de Velay, dans un monastère de Bénédictines, où Aymar de Beaudiner, sa tante, était morte avec le titre d’Abbesse, peu de temps auparavant. Or, comme la pieuse baronne eut en son âme le secret pressentiment de sa fin prochaine, elle fit prévenir ses chères Clarisses de Chazeaux de prier beaucoup pour elle, et donna en même temps l’ordre de lui envoyer Guillaume Deville, et son collègue, Guillaume Pellicier, tous deux notaires ordinaires de la baronnie, pour recevoir ses dernières volontés. Et, le 14 août de l’année 1337, veille de l’Assomption de la sainte Vierge, en présence de plusieurs discrets personnages, au nombre desquels nous remarquons messire Guillaume d’Albon, chanoine de l’église métropolitaine de Vienne en Dauphiné, Luce de Beaudiner, « considérant qu’il n’y a rien de plus certain que la mort et rien de plus incertain que son heure; désirant et voulant prévenir, autant que le permet l’humaine fragilité , le malheur d’une surprise; pour ne pas mourir intestat, fit ses dispositions testamentaires relativement aux biens, choses, héritages, droits, actions quelconques lui appartenant ou devant lui appartenir à n’importe quel titre.

Vers la fin de son testament, Luce de Beaudiner, prévoyant le cas où ses exécuteurs testamentaires négligeraient l’exécution de ses dernières volontés ou refuseraient de s’en occuper, conjure l’évêque du Puy et le comte de Forez de vouloir bien s’en charger, et elle assure, à titre d’indemnité, à chacun d’eux, cent marcs d’argent, une fois payés. Elle lègue au roi de France, pour le même objet, une somme égale, avec prière instante de poursuivre l’exécution des dispositions testamentaires dictées par elle, dans le cas où l’évêque du Puy et le comte de Forez négligeraient ou refuseraient d’y donner leurs soins.

Deux mois après ce grand acte, la vertueuse baronne de Cornillon quittait cette vie. Nous ne savons si elle mourut à Clavas, où le mal l’avait frappée, ou bien si, revenue dans le Forez, à la faveur d’un de ces relâches qui semblent parfois enrayer les plus terribles maladies, elle eut la consolation de rendre le dernier soupir dans ce pieux asile où elle avait si souvent prié afin de terminer saintement sa carrière. Les documents sont muets à cet égard, et laissent entièrement place aux conjectures. Quoi qu’il en soit, ce dut être, en toute la contrée, un jour de pénible tristesse et de deuil profond, celui où se répandit soudainement cette nouvelle : Noble dame Luce de Beaudiner est morte, priez Dieu pour le repos de son âme!

Luce de Beaudiner fut inhumée dans le monastère de Chazeaux, conformément aux intentions qu’elle avait exprimées dans son testament. Nous pensons que sa tombe fut creusée dans la chapelle de l’Abbaye, entre le maître-autel et le chœur des Religieuses. Aucune inscription, il est vrai, n’est là, dans ce sanctuaire mutilé encore plus par les révolutions que par le temps , pour révéler aux regards l’endroit où furent déposés les restes de cette femme illustre, qui dut la vénération dont fut entourée sa mémoire bien plus à l’élévation de sa vie qu’à la noblesse de son origine et à l’éclat de son rang. Cependant, une tradition lointaine, dont nous avons pu recueillir les derniers vestiges, désigne ce point de la chapelle comme l’objet d’un culte singulier.

Malheureusement, ce tombeau est vide. Des fouilles que nous avons , avec l’agrément du propriétaire , fait opérer en cet endroit, n’ont amené à la lumière que des débris de toutes sortes, preuves manifestes d’une dévastation violente. Le cercueil a disparu. Il est probable que, pendant les guerres du seizième siècle, où l’abbaye de Chazeaux fut presque détruite, les huguenots auront violé cette tombe, et qu’ils auront brûlé et jeté au vent les précieux ossements qu’elle renfermait.

Les Abbesse de l’Abbaye de Chazeaux

Marguerite Riqaud, première Abbesse du couvent de Chazeaux.

Jeanne de Cruissol, deuxième Abbesse de Chazeaux.

Abbesse de Chazeaux qui ne figure sur aucune liste connue. Cependant Jeanne de Crussol (c’est le nom de cette abbesse) appartenait à une famille jouissant d’une grande notoriété dans le pays. Elle était l’un des enfants de cette noble lignée des Crussol, à laquelle la famille des barons de Cornillon s’était alliée par le mariage de Béatrix de Poitiers, fille de Luce de Beaudiner, avec Jean Bastet, seigneur de Crussol.

Jeanne de Crussol occupait le siège abbatial au monastère de Chazeaux, en l’année 1348.

Adèle de Pierregourde, troisième Abbesse de Chazeaux.

Adèle de Pierregourde (Adelis de Petragordd), descendait du chevalier Hugues, seigneur de Pierregourde, et frère consanguin de Luce de Beaudiner. Notre Abbesse était donc nièce de l’illustre baronne de Cornillon, fondatrice du Monastère. Luce de Beaudiner avait provoqué et favorisé l’entrée de sa nièce Adèle au couvent de Notre-Dame, par une disposition spéciale de son testament.

« Je veux et ordonne, dit la baronne de Cornillon, dans l’expression solennelle de ses volontés dernières, que mon héritier universel soit tenu de placer, dans l’Ordre du monastère des Sœurs de Chazeaux, in Ordine monas lerii Sororum de Casalis, Adèle, fille du seigneur de Pierregourde , ou bien Jeanne , autre fille dudit Seigneur, et je lui lègue, à cette fin, cent livres viennoises une fois payées , qui devront être comptées, pour la réception de ma jeune parente, à la communauté du monastère de Chazeaux, par mon héritier universel . »

Jacquemette de Chaleauvieux, quatrième Abbesse.

Marguerite de Rochebaron, cinquième Abbesse de Chazeaux.

Le manuscrit de la Bibliothèque impériale, que nous avons déjà cité , nous atteste que Marguerite de Rochebaron gouvernait encore l’abbaye de Chazeaux vers l’année 1430. Ce doit être, à peu de chose près, la date de sa mort; car un acte passé en 1431, et concernant les affaires du couvent de Notre-Dame, mentionne Catherine de Vigère comme en ayant le gouvernement à titre d’Abbesse.

Catherine 1 de Vigère, alias de Layre, sixième Abbesse.

Gabrielle 1 de Layre, septième Abbesse.

Gabrielle I de Layre, qui, vers 1455, remplaça Catherine de Vigère au monastère de Chazeaux, appartenait à cette branche de la famille de Layre qui, dans la personne de Rodolplie de Layre, s’était alliée à la maison forézienne de Cusieu. Cette Dame, était fille de messire Louis de Layre, chevalier, seigneur de Cusieu en Forez, et d’Agnès de Chalus, son épouse.

Catherine II de. Vigère, huitième Abbesse.

Gabrielle II de Layre, neuvième Abbesse.

Gabrielle II de Layre, et était fille de Jean de Layre, « noble et puissant seigneur, écuyer de l’hôtel du roy, seigneur et baron de Cornillon. Jean de Layre était, de plus, seigneur de la Motte et de Grigny.

Marguerite de Rochefort, dixième Abbesse de Notre-Dame de Chazeaux.

L’abbaye de Notre-Dame des Chazeaux, transformée en prieuré bénédictin.

Bénigne Mille de Chevrières, onzième Abbesse de Chazeaux.

Alors prieure du monastère bénédictin de Sainte-Marie-de-Coise, en Argentière, au pays de Forez. La nouvelle Abbesse était fille de Jean Mitte de Chevrières et de Jeanne de Layre, dame de Cuzieu en Forez. Elle était sœur de ce Jean Mitte de Cuzieu qui fut doyen de l’église métropolitaine et comte de Lyon. Son premier bénéfice, après son entrée dans la vie religieuse, avait été le prieuré bénédictin de l’Argentière; c’est de là qu’elle fut promue, ainsi que nous venons de le dire, par la résignation que fit sa tante maternelle, à l’abbaye de Chazeaux. C’était la première fois, depuis la fondation du Monastère, qu’une Religieuse d’un institut différent était appelée à Chazeaux pour prendre la crosse abbatiale. Elle voulait mettre sa communauté sur la voie d’une réforme nouvelle et efficace, en la plaçant sous l’influence d’une supérieure élevée dans les traditions d’une piété saine et forte, d’un esprit religieux éprouvé.

En quittant le prieuré de Sainte-Marie-de-Coise et le costume bénédictin, elle ne se dépouilla pas de la prédilection qu’elle professait pour l’institut de Saint-Benoît, dont l’esprit et les règles avaient dirigé ses premiers pas dans la vie religieuse. Elle conçut, et probablement dès les premiers jours de son administration, le projet de substituer aux constitutions franciscaines, tombées en désuétude dans l’abbaye de Chazeaux, la règle suivie au prieuré de l’Argentière. Cette règle n’était point une application des constitutions bénédictines pures, mais une observance mitigée, alors adoptée dans un grand nombre de monastères. La nouvelle Abbesse se proposait de ramener par des règlements plus doux , mais cependant autorisés, des habitudes d’ordre, de discipline, de vie régulière enfin, parmi des Religieuses qui ne connaissaient plus guère d’autre loi que leurs caprices, et dont la vie paresseuse , sensuelle et frivole, n’était pas , tant s’en fallait, un sujet d’édification pour le pays.

Marguerite II d’Amanzé, deuxième Prieure de Chazeaux.

Antoinette de Rocbebaron, troisième Prieure.

Catherine III de Brosses, quatrième Prieure de Chazeaux.

Cécile d’Amanzé, cinquième Prieure. Cécile d’Amanzé, nommée le 20 septembre 1574, reçut de Rome, le 9 octobre de la même année, les bulles dont la possession était indispensable pour régulariser sa position, et l’autoriser à recevoir la bénédiction d’usage Pro Priorissâ. A cette époque, la situation financière du couvent était devenue des plus tristes. Il avait fallu engager les revenus de plusieurs années, afin de pourvoir d’urgence aux réparations indispensables, de reconstituer le mobilier de la chapelle et des appartements conventuels. La nouvelle Prieure, en acceptant la nomination qui l’appelait à Chazeaux, fit preuve d’un dévouement et d’un désintéressement tout à fait dignes d’éloges. Les charges qui pesaient sur sa communauté étaient lourdes, et les ressources, en ces temps désastreux, presque nulles. Les choses en étaient à ce point que , douze ans après sa promotion (1587), malgré les économies les plus sévères , la pauvre prieure de Notre-Dame se trouva dans l’impossibilité de fournir la somme de cent soixante francs, montant de sa cote dans l’impôt extraordinaire que le roi Henri III avait reçu de Sixte-Quint l’autorisation de lever sur le Temporel du clergé de France. Ces détails nous permettent de mesurer la grandeur du désastre qui’ avait frappé le monastère de Chazeaux pendant les guerres civiles, et de sonder la détresse profonde qui, nonobstant la plus rigoureuse économie, s’y faisait encore sentir, et menaçait de s’y perpétuer. La situation était triste: en effet, les tenanciers appauvris apportaient, au Prieuré, plus de doléances que de revenus; les seigneurs de Cornillon, toujours hostiles, et épuisés d’ailleurs par des expéditions entreprises et, disons-le à leur honneur, vaillamment soutenues, contre les armées religionnaires, prétendaient qu’ils avaient assez à faire pour eux-mêmes. La détresse générale, d’autre part, ne permettait guère aux fidèles d’alléger, malgré leur bon vouloir, les charges qui pesaient lourdement sur une maison entourée des sympathies profondes des populations.

chzeau2.jpgLa réforme du Prieuré des Chazeaux et sont transfère à Lyon.

Gelberge-Françoise d’Amanzé de Chauffailles, sixième Prieure du prieuré des Chazeaux (Firminy), et 1er Abbesse de l’Abbaye de Chazeaux-en-Belle-Grève(Lyon).

A peine investie des fonctions de Prieure, Gelberge d’Amanzé, sans hésitation et sans faiblesse d’aucune sorte, commença résolument ce travail nécessaire de réforme, qu’elle sut poursuivre avec une admirable constance , à travers les plus graves difficultés, et à l’encontre des résistances les plus opiniâtres et les plus folles. Elle comprit, grâce à la sagacité peu commune de son esprit, que, pour assurer à son œuvre un irrévocable succès, il était indispensable d’éloigner d’abord sa communauté des lieux où de déplorables traditions de relâchement paralyseraient ses efforts; de la transférer ensuite dans un centre où la surveillance plus immédiate et plus efficace des supérieurs, l’abondance des ressources de tout genre , et notamment des vocations , lui permettrait de maintenir la discipline dans toute sa rigueur, d’augmenter le personnel évidemment trop restreint de sa maison , et d’ouvrir, en créant un pensionnat de demoiselles, un champ nouveau à l’activité et au zèle de ses Religieuses. Elle fixa son choix sur la ville de Lyon, comme résidence répondant le mieux aux vues qu’elle se proposait de réaliser et au plan qu’elle s’était tracée pour leur exécution.

Les règlements municipaux en vigueur à cette époque voulaient qu’une communauté religieuse ne pût s’établir, dans une ville quelconque, qu’après avoir préalablement obtenu de l’administration civile une autorisation spéciale à cet effet. Or, une concession de cette nature pouvait, quanta Lyon, souffrir quelques difficultés, attendu que cette ville possédait déjà deux maisons du même institut: la Déserte et Saint-Pierre-des-Terreaux. Gelberge d’Amanzé réussit néanmoins à l’obtenir, et la permission qu’elle sollicitait lui fut accordée; « à la condition, toutefois, dit l’acte de licence, que les Religieuses de la communauté de Chazeaux s’engageront à ne pas mendier, et à vivre uniquement de leurs revenus. »

Cette autorisation est de l’année 1622.

Restait maintenant à trouver un emplacement convenable pour recevoir les constructions nécessaires au logement de la communauté, ou, ce qui était évidemment préférable, des bâtiments assez spacieux pour répondre, moyennant quelques travaux d’appropriation, aux exigences de la vie claustrale et à l’installation des services divers. La prieure de Chazeaux, qui n’était pas seule, selon toute apparence, à s’occuper de cette recherche, eut le rare bonheur de rencontrer ce dernier avantage, qui lui permettait de mettre plus tôt à exécution le dessein qu’elle méditait.

Sur la rive droite de la Saône, dans la paroisse de Sainte-Croix, en face à peu près de l’église Saint-Jean, et à l’extrême limite du quartier de Belle-Grève , qu’elle dominait tout entier , s’élevait une maison de plaisance , construite , vers le milieu du siècle précédent, par un riche italien nommé Paulin Benedicti , maison que François de Mandelot , seigneur de Passy, gouverneur pour le roi dans les provinces du Lyonnais, Forez et Beaujolais , avait embellie, pour en faire sa résidence , de jardins magnifiques , de fontaines jaillissantes , de nombreuses et riches peintures. C’était dans les salons récemment décorés de cette opulente demeure que, d’après les chroniques lyonnaises, Henri III, lors de son passage à Lyon, en 1584, avait donné une fête aux dames de la cité. Dépouillée maintenant de son luxe fastueux et veuf de ses hôtes illustres, l’ancienne maison de Mandelot, mise en vente, ainsi qu’un bâtiment vulgaire, attendait des acquéreurs. Gelberge d’Amanzé la jugeant éminemment propre à l’établissement d’une communauté religieuse, par ses proportions suffisantes et la position qu’elle occupait, à mi-côte de Fourvière, sur le grand chemin de Saint-Paul à Saint-Just, l’acheta au prix de dix mille francs.

Toutefois, pour opérer d’une façon régulière la translation du monastère de Chazeaux, il fallait obtenir préalablement l’autorisation suprême du Saint-Siège, l’approbation de l’autorité diocésaine et l’agrément du seigneur de Cornillon, en sa qualité de fondateur de la maison. Rome, sur l’avis favorable de l’Archevêque de Lyon, dont l’adhésion complète était acquise à ce déplacement, octroya sans difficulté la concession dont on se promettait de si heureux résultats. Le seigneur de Cornillon, duc de Ventadour, essaya, paraît-il, d’opposer quelque résistance, en vue sans doute d’obtenir à son avantage la décharge de quelques servitudes qu’il regardait comme trop onéreuses. Heureusement, l’intervention de l’archevêque Denys de Marquemont, et les injonctions souveraines du roi Louis XIII, alors régnant, firent disparaître jusqu’à la moindre velléité de résistance, et le successeur des Beaudiner donna son consentement en bonne et due forme, sinon avec des dispositions bénévoles. Grâce à l’activité prodigieuse que madame de Chauffailles avait déployée, grâce aussi au concours dévoué et puissant que de nombreux amis qui, par un louable esprit de zèle, s’intéressaient vivement au succès de l’œuvre entreprise par la vénérable Prieure de Chazeaux, tout était prêt à Belle-Grève, vers les premiers jours du mois de mars 1623. Le monastère de Notre-Dame venait d’être érigé en abbaye de l’ordre de Saint-Benoît, et Gelberge d’Amanzé, la promotrice infatigable de cette transformation, nommée, par le même acte souverain, titulaire de’ ladite abbaye.

bulles d’investiture canonique avaient été également expédiées de la chancellerie romaine, et fulminées par l’archevêque Denys de Marquemont. L’Abbesse, retirée pour lors au couvent de Saint-Pierre-des-Terreaux, s’y préparait, dans le recueillement et la prière, à la bénédiction solennelle qu’elle allait bientôt recevoir.

Le P. Builloud rapporte que cette bénédiction de la nouvelle abbesse de Chazeaux-en-Belle Grève s’accomplit, en effet, avec une pompe extraordinaire, au milieu d’un concours considérable de fidèles et d’amis, heureux , les uns et les autres, d’honorer et d’encourager , par leur présence , une Religieuse d’élite , animée d’un zèle vif et profond pour la prospérité de son monastère , le bien et l’honneur de l’Eglise.

Le monastère de Noire-Dame de Chazeaux devient Abbaye royale.

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Antoinette II de Varennes de Nagu, deuxième Abbesse bénédictine de Chazeaux.

Marie-Madeleine de Nagu, troisième Abbesse bénédictine de Chazeaux.

Marie-Madeleine de Nagu de Varennes, Religieuse professe au monastère royal de Saint-Fierre-des-Terreaux, à Lyon, et sœur de l’Abbesse précédente, fut désignée par le roi Louis XIV, pour prendre la direction de la communauté de Chazeaux. Ce ne fut que le 13 juillet de l’année 1667 que la nouvelle élue prit possession de son bénéfice à Belle-Grève. Cette longue vacance du siège abbatial de Notre – Dame ne nous parait avoir eu d’autre cause probable que des lenteurs administratives amenées par des compétitions rivales; car la nomination de madame Madeleine de Nagu fut accueillie avec une faveur unanime dans le monastère de Chazeaux.

Nous savons, par un Étatque le consulat de la ville de Lyon fit parvenir au gouvernement du roi, en l’année 1668, pour répondre aux ordres de Sa Majesté, que le monastère de l’Abbaye royale de Notre-Dame-de-Chazeaux, en Belle-Grève, était composé de vingt-cinq, Religieuses, deux Novices, six Sœurs converses. Ce chiffre, par sa modicité même, nous prouve la grandeur des pertes qu’avait essuyées la communauté dont nous écrivons l’histoire, sous les deux administrations précédentes.

Parmi les principales sources de revenus du monastère de Chazeaux , on comptait : 1° le domaine de l’ancienne maison , en Forez , lequel domaine avait été maintenu dans son intégralité , sauf les amoindrissements et réductions opérés , ainsi que nous l’avons dit, par les revendications opiniâtres et violentes des seigneurs de Cornillon; 2° la dîme du prieuré de Montregard , au pays de Velay , laquelle dîme avait été attribuée à l’abbaye de Notre-Dame par le testament de Luce de Beaudiner; 3° la rente noble , ou droits seigneuriaux qui se percevaient, en vertu de la fondation primitive ou de donations subséquentes, sur différentes terres de Firminy, de Saint-Ferréol, de Fraisse, d’Unieux, etc.; 4° du casuel de la chapelle de Chazeaux, se composant surtout des oblations faites par les fidèles, qui avaient conservé l’habitude , malgré l’éloignement des Religieuses , d’y venir en pèlerinage.

Madame Jeanne-Marie de Roslaing de Ralioult, quatrième Abbesse bénédictine de Chazeaux.

Tous les revenus de l’Abbaye de Chazau, tant en rentes constituées, pensions foncières ou viagères que fonds, maisons et Terres , reviennent à la somme de 5707 .

 Débits passives de l’Abbaye de Chazau.

A l’époque dont nous parlons, les Chazotes (c’est ainsi qu’on appelait, à Lyon, les Religieuses de Chazeaux) avaient un besoin pressant du concours des âmes dévouées au bien, d’autant plus qu’un grand nombre des débiteurs de l’Abbaye, conjurés ensemble, leur faisaient une guerre désastreuse, qui allait grandissant toujours, et épuisait de plus en plus leurs ressources déjà si restreintes.

Tous les débits passifs reviennent à la somme de 1437 Livres.

Madame de Rostaing et les Officières de la Communauté, dans le but de contraindre les tenanciers récalcitrants, s’adressèrent au roi. Louis XIV, faisant droit à leur plainte, expédia, le 8 juin 1701, les Lettres nécessaires pour obtenir, par l’intermédiaire de la sénéchaussée de Lyon, les déclarations, reconnaissances el payements refusés. Mais ces Lettres, on ne sait trop comment ni par quels motifs, demeurèrent sans effet. En présence du mauvais vouloir persistant de débiteurs qui abusaient manifestement de leur inexpérience ou de leur faiblesse, et menacées de perdre une notable partie de leurs ressources déjà si restreintes, les Religieuses de Chazeaux eurent de nouveau recours à l’intervention de l’autorité royale. Et, le 3 septembre 1710 (nos bonnes Sœurs avaient été patientes), elles reçurent d’autres Lettres qui n’eurent guère plus de résultats que les premières. Voici comment : dès que les ordres de Sa Majesté eurent été notifiés aux débiteurs du Monastère, ceux-ci s’ingénièrent à en éluder l’exécution par toutes sortes de subterfuges et de manœuvres. Ils déclinaient la juridiction de la sénéchaussée lyonnaise, à laquelle ressortissait l’Abbaye, demandant leur renvoi en d’autres justices, soit du Forez, soit du Beaujolais , sous les prétextes dérisoires qu’ils y avaient leurs résidences respectives , ou que les champs dont ils étaient détenteurs se trouvaient dans ces provinces. Quelques-uns d’entre eux se firent même décharger, par les juges des divers territoires où étaient situés les fonds litigieux, des assignations données en exécution des Lettres royales. Ils avaient même encore (chose singulière!) réussi à obtenir de ces juges intimidés ou complaisants des condamnations contre les huissiers et les sergents , lesquels s’étaient vus frappés de grosses amendes et même placés sous la geôle, pour avoir fait ou notifié des exploits parfaitement réguliers d’ailleurs.

Louis XIV accueillit favorablement une requête dont la légitimité lui était parfaitement connue, et pour laquelle, du reste, l’obstination des tenanciers abbatiaux demandait une réponse ferme et énergique.

Madame Marguerite III de Silvacane, cinquième Abbesse bénédictine de Chazeaux.

La nouvelle abbesse de Chazeaux descendait de l’une des plus illustres et des plus honorables familles du Lyonnais. Son aïeul paternel, Jean de Silvacane, avait été conseiller du roi et garde des sceaux en la sénéchaussée et siège présidial de Lyon, et s’était distingué par les notables services rendus à sa ville natale, pendant la peste de 1628. Le père de notre Abbesse, Constant de Silvacane, après avoir exercé d’abord la fonction de conseiller en la Cour des Aides de Vienne, puis celles de Maître des Requêtes au Parlement de Dombes, fut enfin créé président en la Cour des Monnaies de Paris, et commissaire général de Sa Majesté en ladite Cour, au département de Lyon. C’est ce même Constant de Silvacane qui publia, en l’année 1690, une traduction en vers français des satyres de Juvénal, avec des annotations philologiques destinées à élucider les passages les plus obscurs du poète latin.

A peine installée sur la chaire abbatiale de Chazeaux, madame de Silvacane ressentit les premières atteintes d’une maladie douloureuse, qui la condamna bientôt à une inaction à peu près complète et, par conséquent, incompatible avec l’exercice de sa charge.

Elle fut donc obligée de s’adjoindre une coadjutrice, pour la suppléer dans les fonctions trop nombreuses qu’il lui était impossible de remplir. Cette coadjutrice fut sa propre sœur, Magdeleine de Silvacane, laquelle était alors investie de la dignité de prieure dans l’Abbaye (1723).

Madame Antoinette III de Beaumont, sixième Abbesse bénédictine de Chazeaux.

Madame Antoinette de Beaumont, qui fut désignée par le roi pour succéder à Marguerite III de Silvacane, était, croyons-nous, fille de Louis Imbert de Beaumont, chevalier d’Autichamp, page du roi en sa grande Écurie, le même qui vint plus tard se fixer à Lyon, place du Fort-du-Roi. Nous n’avons pu parvenir à savoir si, lors de sa promotion, la nouvelle Abbesse était Religieuse au monastère de Chazeaux, ou bien si elle sortit d’une autre maison pour venir prendre possession de sa charge.

Madame de Beaumont trouva le temporel de l’Abbaye gravement obéré, par suite des découverts successifs qui s’étaient produits progressivement pendant plusieurs années consécutives. Elle s’appliqua d’abord à éteindre les dettes les plus urgentes. Une note extraite des Archives du Rhône nous informe « que , le 15 novembre 1734, les Dames Abbesse et Religieuses du Royal Monastère de Chazeaux empruntèrent de M. Louis , comte de Beaumont, chevalier de l’Ordre royal militaire de Saint-Louis , demeurant à Lyon , place du Port-du Roi, la somme de six mille sept cent cinquante livres, destinée à la libération de certaines petites dettes faites depuis longtemps, dans leur communauté , pour subvenir à leur subsistance .Les Religieuses de Chazeaux engagèrent , pour éteindre cet emprunt , l’ensemble des revenus qu’elles percevaient sur leur terre de la Palu, en Beaujolais.

Cependant Chazeaux souffrait toujours. Cette pauvre Abbaye avait été constamment en butte à des tracasseries déloyales, à des vexations de tout genre;  après de longues années d’épargne et de gêne, sans que jamais néanmoins la part des pauvres ait subi la moindre réduction, elle se ressentait encore de ces nombreuses et dures épreuves. Madame de Beaumont, entièrement et constamment dévouée à sa tâche, contribua, pour une large part, à atténuer les fâcheuses conséquences d’un pareil état de choses.

Pendant qu’elle administrait l’Abbaye , « noble David Ollivier, conseiller du roi , receveur général des Finances de la généralité de Lyon , échevin de ladite ville , et avec lui, et de son autorité , dame Françoise Decomble , son épouse , demeurant en cette ville , place de Louis-le-Grand, paroisse d’Ainay….,en considération de la profession que mademoiselle Marianne Ollivier , leur fille , novice dans l’Abbaye Royale de Chazeaux , leur a témoigné vouloir faire, dans la susdite Abbaye; de leur pur mouvement, par une donation et gratification particulière » tirent don au couvent, et en présence de la communauté réunie :

Voici les noms des Religieuses qui assistèrent à cette donation solennelle :

« Madame Antoinette de Beaumont, abbesse; Magdeleine de Silvacane, prieure ; Blanche de Sainte-Élisabeth Prost, sous-prieure; Sibylle de Saint-Paul de Morant, discrete; des Anges Basset , discrette ; de Sainte-Anne Bourgeat, économe; de Saint-Bonnet de la Trinité ; du Saint-Esprit Groslier de Servière; de Sainte-Colombe Brossette ; de Saint-Maur Groslier de Servière; de Saint-Joseph Groslier; de Sainte-Thérèse Carnot; de Jésus Richy ; du Saint-Sacrement Richy ; de Saint-Aymé Deslandes ; de Saint-Pierre Piegay Chazerieux ; des Séraphins Bourgeat; de Saint-Augustin Bathéon; de Sainte-Cécile Gayot; de Saint-Bernard Grumet; de Saint-Laurent Martin ; de Sainte-Victoire Brossette ; de Saint-Basile Sabot ; de Saint-Dominique Gajot ; Reine de Cantarelle ; de Sainte-Magdeleine Dulaty ; de Sainte Placide Gayot; de Saint-Jérôme Guillet; de Saint-André Dargent ; de Saint-Claire Ollier; de Saint-Michel Molet; de Sainte-Scolastique Chapelot; de Sainte-Gertrude de Fronton ; de Saint-Romain Buyet ; de Saint-Mayeul Clapasson ; de Saint-Louis Galtier; de Saint-Luc Quinet; de Saint-Ennemond Chesnard; de Saint-Constant de Villerodes; de Saint-Alexis Chesnard. »

Au parloir de l’Abbesse :« de tout le terrain, tant en vigne que lui de appartenant à ladite dame Decomble , tant en longueur que largeur , au-dessous de la terrasse de sa maison située à Fourvière , provenant de la succession de sieur Audouard Decomble , sans y rien réserver ni retenir. » Cette donation fut consentie le 3 juin 1736.

L’administration de madame Antoinette de Beaumont ne fut pas de longue durée; mais elle fut, en revanche, bien remplie. Elle exerça une heureuse influence sur la marche des affaires de l’Abbaye, et y marqua une des plus belles périodes, sans contredit, de la vie religieuse.

Marie-Anne Bathéon de Vertrieu, septième Abbesse bénédictine de Chazeaux.

Cette Dame était née à Lyon, où son père, le respectable M. de Vertrieu, avait sa résidence. Sa famille avait produit, entre autres illustrations, un Échevin, en 1678; un Conseillera la Cour des Monnaies; et, tout récemment, un Trésorier de France, lequel exerçait peut-être encore ses fonctions, au moment où notre Abbesse fut promue au gouvernement du monastère de Chazeaux.

Le trait dominant qui caractérise l’administration de madame Bathéon de Vertrieu, c’est un remarquable esprit d’organisation et de méthode. Dès les premiers jours, elle introduisit, dans les différents services du Monastère, une précision, un ordre, une économie admirables. Pour éclairer ses démarches, en déterminant les droits temporels de son Abbaye, d’une manière nette et précise, et, de cette manière, éviter le retour de regrettables conflits, l’intelligente Abbesse fit dresser un plan général des différentes propriétés que possédait le Couvent, tant en Forez, en Beaujolais, qu’à Lyon. Ce travail considérable, qui, selon toute apparence, dut être accompagné d’une opération simultanée de bornage, fut confié à M. François Marc Meillard de Fronton, parent de sœur Sainte-Gertrude de Fronton, religieuse du Monastère. L’architecte-géomètre avait pour instructions non seulement de faire le plan des constructions appartenant à l’Abbaye, mais encore de relever tous les tènements de terrain , et même chaque parcelle isolée , avec sa configuration particulière, sa position relative, ses tenants et aboutissants, et sa contenance superficielle , évaluée , d’une manière exacte, d’après les mesures agraires usitées à cette époque. M. de Fronton mit deux années, ou plutôt deux saisons, 1746 et 1747 , pour mener à bonne fin l’ensemble des opérations qui lui avaient été confiées.

Madame Louise de Savaron, dernière Abbesse de Chazeaux.

Jeanne-Marie-Louise de Savaron, issue de l’illustre famille des marquis de Savaron, seigneurs de la Fay, de Chamousset, Brullioles, l’Aubépin, fut la dernière Abbesse de Chazeaux.

Les bonnes Religieuses de Chazeaux, qui vivaient loin du monde et de ses préoccupations ardentes, dans l’austère solitude du cloître, se doutant à peine du bouleversement profond opéré autour d’elles par le mouvement révolutionnaire, continuaient leurs sacrifices et leurs prières, avec celte joie douce et entraînante que connaissent si bien les âmes sincèrement dévouées à Dieu, lorsque, le lundi 3 mai 1789, Simon Palerme de Savy; maire de la ville de Lyon, accompagné de Jean-Baptiste Dupont (neveu), Louis Fétisseur (l’aîné), Luc Candy. Claude Chermetton et Louis Berthelet, officiers municipaux; et de Jean-François Dupui, procureur de la Commune, se présenta au parloir du Monastère.

Malgré les mouvements et les séditions populaires dont le bruit tumultueux montait parfois jusqu’à elles; nonobstant l’effervescence des passions révolutionnaires, l’incertitude ou plutôt les menaces de l’avenir; en dépit même des défections et des scandales, les Religieuses de Chazeaux persistaient à demeurer dans ce cloître, où les enchaînaient leurs affections et leurs serments. Et ce n’est pas sans une véritable et profonde admiration que nous voyons ces nobles femmes, au commencement de l’année 1792, alors que les fureurs de l’anarchie ébranlaient les plus fermes courages, persister néanmoins dans leur héroïque résolution.

Le monastère de Chazeaux, converti pendant quelque temps, lors du siège de Lyon, en hôpital militaire, fut affecté plus tard, par l’Administration, à un service d’assistance publique, sous le nom de Dépôt de Mendicité. Nous n’avons pas, on le comprendra sans peine, à nous occuper davantage de notre Abbaye, sous cette forme et avec cette destination nouvelle.

Info et extrait de l’ouvrage :

Le Royal monastère de Chazeaux: chronique forézienne et lyonnaise Par Jean Baptiste Javelle