Installation des Abbesses de Clavas

Les auteurs de la Gaule chrétienne qui vinrent à Clavas pour compulser les vieux titres de l’abbaye, afin de pouvoir en rendre compte dans leur immortel ouvrage, furent loin d’y en trouver autant qu’ils en avaient trouvé aux monastères de la Séauve et de Bellecombe.

L’abbaye avait subi divers incendies, et des déprédations y avaient été commises vers la fin du XVIe siècle. Bien des parchemins avaient dû périr, être dilacérés ou livrés aux flammes. Grace pourtant à l’obligeance de dame Anne-Marie de Montmorin Saint-Hérem, disent les rédacteurs du GALLIA, notre docteur, Jacques Boyer, a pu donner la série suivante des abbesses, par le moyen des titres peu nombreux qui existent encore. Cette série, que je suivrai, est loin d’être sans lacunes. Dans mes recherches, je n’ai pu découvrir qu’un seul nom que les savants Bénédictins ne citent pas.

Il est impossible de dire d’une manière exacte quelle fut la première abbesse de Clavas et d’où elle vint. Celle que cite dom Boyer au premier rang, et qui gouvernait le monastère en 1259, n’est probablement pas la première qui fut à la tête de la maison. Du moment do la fondation à l’époque indiquée par l’auteur, il y a un trop long espace de temps pour qu’il soit permis de le présumer.

Avant celle-là, il y eut donc à Clavas une ou deux autres religieuses qui portèrent la crosse. Il est à peu près certain que leurs noms seront ignorés dans l’histoire dans les temps futurs, comme ils le sont aujourd’hui.

On peut affirmer, d’une manière à peu près certaine, que la colonie qui vint peupler le nouveau moutier partit de la Séauve ou de Bellecombe.

Peut-être se composa-t-elle de Cisterciennes prises dans les deux monastères à la fois. Ils étaient l’un et l’autre de la filiation de Mazan, monasterii Mansiadae.

 Mazan est dans le Vivarais. Il y avait un monastère d’hommes. L’abbé avait la haute main et la surveillance sur tous les couvents qui étaient de sa filiation. On l’appelait le Père immédiat, et rien d’important ne se faisait sans son avis préalable. Quand il était question de la fondation d’une abbaye, c’était lui qui envoyait des Pères visiteurs pour s’assurer si les lieux choisis étaient en tout conformes aux exigences de la règle de Cîteaux, si toutes les autres conditions requises étaient exactement accomplies.

Il est prouvé d’ailleurs que l’abbaye de Clavas fit partie du même groupe, c’est-à-dire de la même filiation. Dans ces conditions, il n’est pas permis de présumer que l’Abbaye-mère soit allée chercher dans d’autres couvents que dans ceux sur lesquels il avait pouvoir et qui étaient situés dans la même province, les sujets et la Supérieure qui devaient composer le personnel de la nouvelle maison.

Il y a une hypothèse qui me semble ici très plausible. En parlant de Bellecombe, j’ai dit ce qui eut lieu par rapport au monastère du Suc-Ardu. Cette première maison, qui avait été bâtie dans les gorges sauvages du Mégal, ne put y être maintenue longtemps.

L’intempérie exceptionnelle du climat, la difficulté d’y avoir tout ce que prescrivait la règle de Cîteaux, les dangers qu’y faisaient courir les bêtes fauves aux serviteurs de l’abbaye, dont plusieurs furent dévorés par leurs dents meurtrières, forcèrent les supérieurs à en opérer la translation, et cette translation eut lieu vers les premières années du XIIIe siècle. Or, ne peut-on pas présumer avec quelque raison que lorsque le Suc-Ardu fut abandonné, une partie des religieuses entra à Bellecombe, et l’autre fut envoyée à la nouvelle maison de Clavas, qui venait d’être fondée. Cette abbaye de création récente ne pouvait recevoir pour premières religieuses que des personnes déjà engagées dans l’Ordre et au courant de la règle ; or, quelle circonstance plus favorable que celle qui se présenta lors de la translation.

Le Suc-Ardu avait un nombreux personnel, formé depuis longue date à la vie du cloître. Clavas avait besoin d’être peuplé de suite. N’est-on pas en droit de présumer que les choses se passèrent ainsi que je viens de le dire, avec d’autant plus de raison que la date du transfert concorde assez avec celle de la fondation du monastère qui nous occupe.

Quand le moment du départ fut venu, la petite colonie s’achemina sur Montfaucon. Les religieuses étaient montées sur des haquenées et accompagnées par quelques membres de leurs familles, et des Pères de Mazan, chargés de les Installer dans leur nouvelle demeure. Le moment de leur séparation d’avec les compagnes qu’elles laissaient à Bellecombe, dut être bien pénible pour ces exilées du monde ! Il existait entre elles l’union la plus intime, et elles n’avaient toutes qu’un coeur et qu’une âme. Elles se séparaient peut-être pour ne plus se revoir. Des larmes furent versées, mais ces pleurs étaient loin d’être des protestations contre l’ordre qu’elles avaient reçu. Dans les premiers temps de Cîteaux les sacrifices étaient complets, comme ils le furent dans la suite, et lorsque les supérieurs commandaient, les coeurs émus au premier moment, se calmaient vite et étaient prêts à tout ce qui était exigé.

Les quelques religieuses de la Séauve qui devaient faire partie de la colonie, rejoignirent celles du Suc-Ardu à Dunières, et de là la caravane au complet partit pour Riotord, qu’elle traversa sans arrêt, parvint au sommet de la colline qui se trouve au levant des Mazeaux, arriva au village des Setoux et fut vite dans la vallée de Clavas. Tous les habitants des environs, de Riotord, de Marlhes, de Saint-Julien, de Vanosc, de Saint-Sauveur, de Burdigne, du Bourg-Argental, étaient venus souhaiter la bienvenue à ces anges qui allaient fixer leur séjour dans ces contrées. Les familles fondatrices, toute la noblesse des alentours avaient tenu à assister à l’installation. La cérémonie fut splendide.

Dès le lendemain, le silence fut revenu; les exercices commencèrent dans ce désert, et ils devaient s’y continuer pendant cinq à six siècles.

Extrait de l’ouvrage :

NOTES HISTORIQUES

SUR

LES MONASTÈRES

DE LA SÉAUVE

BELLECOMBE, CLAVAS ET MONTFAUCON

THEILLIER, curé de Retournaguet