cette vie manuscrite est assez peu connue des habitants de nos montagnes. Il y a quelques années il n’en existait qu’un nombre de copies très-restreint.
D’après Godescard, il s’en trouvait un exemplaire dans la bibliothèque des jésuites, à Paris. Le Père
Chifflet, de la Compagnie de Jésus, l’avait annoté, on ne sait trop sous quel rapport.
Il serait difficile de faire l’histoire de cet écrit. J’en laisse le soin à de plus habiles que moi. Quoi
qu’il en soit, voici en substance ce qu’il contient :
Marguerite avait eu pour père un prince romain et pour mère, une princesse hongroise, habitant une
ville de Hongrie. Paule, ayant perdu son mari, se décida a aller visiter les lieux saints et emmena avec elle Marguerite, sa fille. Après un séjour de quelque: années , d’abord a Jérusalem et ensuite a Bethléem, elle mourut et lut enterrée dans cette dernière localité. Marguerite, laissée seule par la mort de sa mère , se retira dans un désert où elle demeura pendant sept ans et d’où elle revint enfin dans le monastère qu’elle habitait avant son départ. Une violente persécution ne tarda pas de s’élever contre cette maison de paix.
Le shérif en expulsa les religieuses et les fit mettre sur une nef toute pourrie. les mains liées derrière le dos et sans gouvernail. La nacelle, abandonnée au gré des vents et des flots, traversa la Méditerranée dans presque toute sa longueur et vint enfin s’arrêter au port de Barcelone. Marguerite était en Espagne depuis quelque temps quand elle se détermina, avec ses hôtes, à aller en pèlerinage a Notre-Dame du Puy Sa visite faite au sanctuaire d’Anis, elle tut conduite il la Séauve par une religieuse du Puy, appelée Bertrand. ce tut la qu’elle mourut le
3 février 1206. (Note A, p. 87.)
A mon avis, l’écrit qui contient toutes ces choses ne mérite pas grande confiance. Je serais tente
d’ajouter que c’est tout simplement un roman. Voici les raisons de ma manière de voir :
Vers la lin du manuscrit, on affirme que lorsque Marguerite lut morte, ou visita les petits oratoires qui étaient dans sa chambre et qu’on découvrit cette Vie, écrite par Marie, une de ses compagnes. Marie serait donc l’auteur de la biographie en question.
Or ce même manuscrit raconte la mort de Marie, puis celle de Marguerite. qui fut postérieure et rapporte enfin les miracles qui s’opérèrent après la mort de cette dernière. Il est évident que tout cela ne peut a voir eu Marie pour auteur.
En outre, si c’est Marie qui est l’auteur de l’œuvre Il s’agit. comment expliquer la forme qu’y revêt le langage. Marie était contemporaine de Marguerite qu’elle avait accompagnée partout, dans ses nations. Elle aurait donc écrit vers le commencement du treizième siècle, puisque le manuscrit place la mort de Marguerite en 1206. a cette «vie» disent les Bollandistes, dernière édition, mois de
juillet est sans aucun caractère de temps , sine ullo , temporis charatere. Cette affirmation paraîtra
inconstatable à quiconque aura la moindre connais. de la forme qu’a revêtue la langue française diverses époques et tout lecteur attentif sera pareillement convaincu que celle que revêt le manuscrite du treizième siècle.
Que dire ensuite de cette autre infirmation qui se dans une copie, savoir que la vie de Marguerite
et apportée d’Espagne par un prêtre appelé Fayad.
D’après le manuscrit, la Bienheureuse Marguerite est arrivée a la Séauve en compagnie d’une religieuse du Puy. du nom de Bertrand et sous le sous périorat de Délinore de la Roue. Ces deux religieuses ne peuvent être que Marguerite de la Roue, qui était abbesse vers le milieu du seizième siècle et Jeanne Bertrand, du Puy, qui lui succéda dans le gouvernement du monastère. Or,comment concilier cette date avec celle de la mort de Marguerite fixée par le manuscrit à l’an 1206?
Mais, dira-t-on peut-être, ne peut-il pas y avoir eu, à la Séauve, ou vers la fin du douzième siècle, ou
vers le commencement du treizième, deux religieuses de ce nom, dont l’une supérieure et l’autre simple professe ?
Je dis d’abord que cette assertion serait purement gratuite et impossible a prouver. Je réponds en- suite qu’il est très-hypothétique que le monastère douzième siècle.
Si l’on fait attention à tout ce qui est raconté dans le manuscrit, surtout par rapport à Page que Marguerite pouvait avoir lorsqu’elle quitta la Hongrie, et au temps qu’elle passa dans le désert, après sa sortie du monastère de Jérusalem, on sera aisément convaincu que celle dont on retrace l’histoire avait, au moins, vingt-cinq ou trente ans quand elle arriva li la Séauve. Or, ceci est en contradiction manifeste avec ce que disent trois auteurs dignes de loi et que je citerai plus tard. L’un d’eux affirme que Marguerite tut, d’abord , élève du couvent, quondàm alumina. Les deux autres prétendent qu’elle entra dans le monastère à l’âge le plus tendre, a primœro juvontutis flore. a primi innocentiœ annis.
Dans le manuscrit, il est dit encore que Marguerite aurait été d’origine hongroise. Or. cela est en complot désaccord avec ce que disent la plupart des auteurs, qui la tout d’origine anglaise, ainsi que nous le verrons dans la suite. J’ajoute que dans le manuscrit il y a des laits difficiles à croire. Je n’en cite que deux :
1°la descente de la cime d’un rocher opérée par Marguerite‘ et par Marie sur les ailes d’un petit oiseau;
2° cette nef pourrie et sans gouvernail où furent placées Marguerite et ses compagnes, qui part de la Palestine, sans pilote, sans provisions, sans gouvernail, traverse la Méditerranée dans presque toute sa longueur, et va aborder, sans encombre, au port de Barcelone. Il semble que des faits semblables exigent, pour être crus, des témoignages exceptionnellement dignes de foi. Ces témoignages manquent ici d’une manière complète. On est donc en droit de dire de ces faits ce qu’en disent les Bollandistes Ea referre refutassz sit.
Enfin si l’écrit est véridique, s’il renferme quelque chose de la vie de celle qui a été honorée d’un culte public dans le Velay presqu’entier, d’où vient que les auteurs cisterciens n’en font aucune mention nulle part! Personne n’ignore combien ils étaient attentifs a l’endroit de tout ce qui pouvait tourner à la gloire de leur ordre. Si l’on a un reproche à leur faire, c’est certainement celui d’avoir porté cette attention trop loin et d’avoir, dans leur préoccupation, manque, quelquefois, de sage critique. S’ils n’en parlent pas, s’ils n’y l’ont aucune allusion, s’ils disent même tout le contraire de ce qui s’y trouve, c’est qu’i1s ne la connaissaient pas, et cette ignorance me paraît, au moins , très extraordinaire , ou qu’ils en avaient l’idée qu’en ont les Bollandistes. Ils ont vu la un pur roman d’un auteur inconnu, roman qui, comme beaucoup d’écrits de ce genre, peut contenir quelques détails de géographie et d’histoire générale basés sur la vérité, mais qui, sans nul doute, ne renferme rien de vrai pour ce qui regarde Marguerite.
J’aurais aimé à apprécier autrement l’œuvre en question. Les détails qui y sont rapportés sont trés-
circonstanciés, les différentes phases par lesquels on fait passer Marguerite sont loin d’être sans intérêt cette œuvre est d’ailleurs écrite avec piété et il ne s’y trouve rien contre la foi et contre les mœurs. Il y aurait eu la matière à une biographie saisissante. En histoire, il faut avant tout des faits vrais et la vérité ne parait pas être ici.
source: «Marguerite de la Séauve»
Theillère, curé de Retournaguet
1871