Polignac

À mi-chemin de St-Paulien à la ville du Puy, et à gauche,’ près de la grand ’route venant de Clermont, on voit le bourg de Polignac, bâti circulairement à la base d’un rocher. Volcanique qui s’élève du milieu d’un riche vallon. Sur la vaste plate-forme de ce rocher, sont les ruines imposantes d’un ancien monument qui lui donna son nom. On a émis beaucoup d’opinions sur l’origine de ce château, soit à cause des prodiges religieux qui s’y sont opérés du temps du paganisme, soit à cause des singularités qu’on y remarque ou des antiquités qui s’y trouvent.

Avant d’arriver sur le plateau du rocher, il faut s’arrêter, en passant, auprès de l’église qui, très anciennement construite, à mi-côte, renferme dans ses murs des débris antiques ; ce qui se reconnaît aux beaux blocs de grès équarris et taillés qu’on y a employés au hasard. Quelques-unes de ces pierres contenaient, dit-on, des inscriptions et des sculptures ; je n’en ai reconnu aucune trace.

Le seul objet qui, là, mérite de fixer l’attention, est un petit monument tumulaire, en grès blanc, maçonné dans le mur extérieur du sanctuaire de l’église, à une élévation de trente pieds environ. Il contient, dans sa partie supérieure et dans une espèce d’encadrement, le buste d’un personnage romain assez grossièrement sculpté en bas-relief. Au-dessous., on lit cette inscription :

C’est-à-dire : Deo Optimo Maximo, Julii Marvilinni memoriœ, au Dieu très-bon et très grand, et à la mémoire de Julius Marvilinnus. Cette première découverte n’est pas sans intérêt ; elle se lie assez naturellement à tout ce que nous allons rencontrer de véritablement antique. Arrivé au haut du rocher et au milieu des ruines, j’ai bientôt trouvé dans un amas de pierres, ce qui excitait le plus ma curiosité, ce qui a exercé la plume de_ tant d’écrivains et l’imagination des savants de plusieurs siècles : c’est un masque colossal de la tête d’Apollon, tête qui par les oracles qu’elle rendait a donné de la célébrité au rocher de Polignac.

Parmi plusieurs auteurs, Simeoni, Gruter et Faujas de St-Fond ont donné, de cette tête, une description plus ou moins systématique et un dessin très-peu exact.

Simeoni, en assurant que cette tête est celle d’Apollon, veut que ce soit elle qui ait fait donner au château le nom d’appolliniaoum, d’où s’est formé celui de Polignac.

Quoiqu’il en soit de l’opinion de Simeoni et de beaucoup d’autres écrivains, il n’en reste pas moins certain que cette tête, qui est devenue un monument célèbre, est susceptible de donner beaucoup à réfléchir. Sa dimension est colossale, et quoiqu’elle ait été fort mutilée, on peut juger que sa forme a toujours été à peu près ce qu’elle est encore. Elle a trois pieds huit pouces de large, sur trois pieds de haut. Une chose qu’il est facile de vérifier, c’est qu’elle n’a jamais eu, par-derrière, la forme d’une tête ; qu’au contraire elle n’a jamais été qu’un masque énorme et n’a pu appartenir à une statue.

Faujas assure que Simeoni, dans la gravure qu’il en a donnée, l’a mal rendue. Il en donne lui-même un dessin nouveau, dessin qu’il dit avoir fait faire avec le plus grand soin, et, cependant, ce dessin est inexact ; il ne rend nullement le caractère de tête. Le nez, quoique mutilé, est dessiné entier et de manière à ne pas même donner une idée de ce qu’était l’original ; la bouche est représentée ouverte dans toute sa largeur, tandis que l’ouverture qu’on remarque au milieu d’une barbe très-volumineuse, ne laisse apercevoir qu’un trou ovale qui paraît avoir servi à l’introduction. D’un tube quelconque ; et, si cette tête rendait des oracles, on soupçonne déjà le but de cette ouverture. Dans cette dernière hypothèse, j’essaierai une explication qui rentrera dans l’opinion générale et lui donnera une nouvelle consistance.

Avant tout, je dois dire que la tête dont il est question, est largement dessinée ; que le travail en est hardi et facile; que le ciseau de l’artiste qui l’a sculptée dans un beau bloc de granit, en a fait sortir une figure imposante et majestueuse. Et, pour arriver naturellement à une conclusion raisonnée, pour l’appuyer plus que sur des conjectures, je vais donner successivement une idée de tout ce qui s’est trouvé d’accord avec le système que j’espère faire apprécier. Ce qui mérite d’abord un examen particulier, est une grande excavation, vulgairement nommée le Précipice. C’est un énorme puits, parfaitement rond et taillé, avec beaucoup d’art, dans le roc. À l’orifice, sa circonférence est de quarante-deux pieds. Il avait primitivement, dit-on, cent quatre-vingts pieds de profondeur. Il en avait encore cent soixante-quatre, en 1779, quoique déjà des portes en fer qu’on y avait précipitées très-anciennement, et peut-être par suite de quelque sédition religieuse, s’y étaient embarrassées dans leur chute et, depuis, avaient arrêté et amoncelé une grande quanti de pierres. Sa profondeur actuelle est réduite soixante-deux pieds, depuis qu’on y a jeté, dans ces derniers temps, des décombres provenant de la démolition du château. Sa forme intérieure est, à ce qu’on assure celle d’un cône renversé, ce qu’il n’est plus facile de reconnaître. Il serait même imprudent de chercher à s’en assurer à la vue, le parapet en ayant été renversé, et la pelouse, qui l’entoure, formant un bord glissant et dangereux. À en croire la tradition écrite, l’opinion vulgaire et l’assertion des plus anciens habitants du bourg, il y aurait eu « de cette exa cavation, un conduit correspondant à la statue d’Apollon, dont la bouche béante rendait des oracles ; et les prêtres du dieu arrivaient au fond du précipice, par la cave d’une des maisons du bourg.

Cette tradition, quoique différemment rapportée dans plusieurs ouvrages et dans des mémoires particuliers, est précieuse à recueillir. Elle trouvera bientôt son application.

Sur la même ligne que le précipice, et trente pieds plus loin vers l’occident, se trouve une seconde excavation beaucoup plus petite, dont la profondeur est de vingt-un pieds sept pouces. Son ouverture, qui n’a que trois pieds de diamètre, est couronnée par un bloc de grès circulaire, d’une seule pièce, ayant deux pieds de haut. Ce bloc est bien évidé à l’intérieur et orné, extérieurement, de moulures d’une proportion agréable ‘et d’un dessin régulier. Sa forme représente assez bien un autel antique, et, si c’était un autel, il faut observer qu’autrefois il se trouvait renfermé dans l’intérieur d’un édifice qui a toujours, quoique démoli, conservé jusqu’à présent le nom de Temple d’apollon. Il y a, sur la moulure supérieure de cet autel, des restes d’agrafes en fer et dix à douze trous qui, sans doute, ont contenu d’autres agrafes ; ce sont des remarques essentielles à faire. Il n’est pas moins utile à mon opinion de rendre un compte exact et détaillé des lieux qui ont été visités et examinés avec la plus minutieuse attention.

Salles souterraines. Le fond latéral de cette espèce de puits est composé de deux salles en carré long de vingt et un pieds sur dix, séparées par cinq arcades à plein ceintre de trois pieds de large. Les arcades sont supportées par quatre piliers d’un seul bloc, à angles rabattus, ayant quatre pieds et demi de hauteur, et dont les quatre faces principales ont dix pouces, et les autres six. Ces salles, dont les voûtes à berceau retombent sur les longs côtés, sont, aux deux bouts, terminées par un mur perpendiculaire. Elles sont revêtues de ciment sur leur aire et à la hauteur de six pieds; mais on reconnaît que le ciment n’est pas antique ‘et que les voûtes et les murs ont été réparés : circonstance bonne à noter et qui conduit naturellement à croire qu’il y a eu ici deux destinations différentes, l’une primitive et antique qui fait l’objet de nos recherches; l’autre plus récente , relative à l’établissement d’un château-fort, dans le moyen âge, et à la nécessité d’y amener et d’y conserver des eaux suffisantes pour une garnison.

Sous ce rapport, on a remarqué que dans l’un des côtés longs de l’arrière-salle, à la retombée de la voûte, sont trois pierres percées qui, si elles ont été destinées d’abord à donner de l’air et de la lumière dans ces lieux souterrains, ont fini par servir, probablement, à y introduire des eaux. Trois pierres semblables sont également placées dans l’un des bouts de la première salle, de manière à y suivre le mouvement de la voûte.

Il est un autre sujet à traiter et qui vient donner un grand poids à toutes mes conjectures. Portail. Au milieu des ruines, il est resté debout un portail dont l’architecture n’a certainement pas l’antiquité le l’édifice auquel il a appartenu. L’ai voulu me rendre compte de cette particularité, et je me suis. Arrêté à ce fait constaté par l’histoire : que, lors de l’introduction du christianisme, ses zélateurs ardents, les premiers pasteurs du Velay, soulevèrent, par leurs prédications, des portions considérables du peuple, et renversèrent plusieurs monuments de la religion païenne. C’est, entre autres, le sort qu’éprouva l’idole de Polignac, à en juger par ce passage d’une histoire particulière du Puy, écrite au 16 siècle, par le B. P. jésuite Odon de Gissey, Où il dit :  S’. Georges, qui fut le premier évêque du Velay, n’épargna rien contre le paganisme,  baptisant à troupes les Gentils, abattant leurs temples, et particulièrement , il mit par terre a le simulacre d’apollon, lequel on adorait sur « le haut roc de Polignac.

Ce que confirme encore cet autre passage de l’Histoire de Notre-Dame du Puy, écrite postérieurement, dans lequel le F. Théodore dit, en parlant de St Georges:  Infatigable qu’il était  à poursuivre ses saintes victoires, il allait attaquer la Gentilité dans les endroits où la réputation de quelque idole la rendait plus puis sante , et le seigneur de Polignac , obstiné à  adorer son Apollon, lui ayant fermé son château sans le vouloir entendre, on tient, que, par la vertu de ses prières, il renversa le fameux simulacre dont on voit encore les restes a couchés par terre.

Si donc le temple fut abattu, au moins en partie, il est à croire qu’une fois les séditions apaisées, et peut-être longtemps après, le seigneur de Polignac, qui était tant attaché au culte d’Apollon,. fit rétablir les parties de l’édifice qui avaient été détruites; ce qui explique la‘ construction gothique du portail, dont on retrouve la même architecture au chœur de l’église de SR-Paulien, et dans la partie la‘ plus ancienne de la cathédrale du Puy. Ce rapprochement indique presqu’une époque.

Au surplus, en parlant d’époque, il en est une précieuse à signaler ; le docte Sidonzizs Apollinarismes, évêque de Clermont, au 5° siècle, issu lui-même de la race antique des Polignacs, va, dans une lettre à I ’un de ses neveux, nous faire connaître lui-même que son grand-père fut le premier de sa famille qui embrassa le christianisme ; c’est ce qu’atteste l’épitaphe qui se trouve comprise dans sa XII°. Épître, au livre 111 de ses œuvres, épitaphe d’autant plus curieuse à rapporter qu’en même temps qu’elle constate le fait du changement de religion, elle rappelle les qualités éminentes, au civil comme au moral, qui distinguaient son aïeul. Voici cette épitaphe :


D’après ces derniers vers, il reste prouvé que, jusque vers le 5° Siècle, les seigneurs de Polignac ont dû faire travailler à la restauration d’un temple auquel ils tenaient d’autant plus qu’ils tiraient leur nom d’Apollon même, ainsi que l’assurent les plus anciennes chroniques du pays, et l’histoire écrite par le F. Théodore, dans laquelle, au livre m, chapitre m, il est dit :

Pour faire connaître la grande antiquité de la famille de Polignac, il faut savoir qu’à cause de l’idole de son château, elle portait le nom a d’apollinaire.

Il cite, à l’appui de son assertion ce passage latin : a Domus Äpollinarium antiquissima nomena que Apollinare adhùc hordiè retinet ‘et Polignac, ab indigenis incligetatur.  (Savaron, in Sid. lib. rv.)

Et, le célèbre Sidonius Apollinaris n’avait-il pas, même sous le christianisme dont il fut l’ornement et la gloire, n’avait-il pas, dis-je, conservé entier ce nom primitif

Mais cette digression m’a écarté de mon sujet, je parlais du portail du temple, il me reste à en donner une idée, la plus exacte possible : il est élevé d’environ trente pieds et à peine s’aperçoit-il, tant il est défiguré. Le ‘cintre de son ouverture et l’ouverture elle-même, du haut en bas, ont été, très} anciennement, remplis en maçonnerie. On s’en est servi comme d’un mur de pignon, pour la construction de gothiques appartements dont on‘ voit encore les larges et hautes cheminées à divers étages. Dans sa largeur, se trouvent prises deux portes irrégulièrement placées, dont une fort grande, et deux croisées au-dessus. Ses deux pilastres et son cintre sont ornés de sculptures ; et, dans le mur de façade qui se continue encore un peu vers la droite, on remarque une frise du même style. Si, comme, le sont nos églises actuelles, les temples du paganisme n’avaient pas été tournés vers l’orient, nous nous serions dit, en voyant la disposition de celui-ci, que, malgré sa large dimension, il pourrait bien n’avoir été qu’une chapelle chrétienne ; mais cette réflexion n’eût été que passagère, à vingt pas de là nous avons rencontré les ruines de la véritable chapelle du château, chapelle qui avait été bâtie dans la forme d’une église, et avec tous les accessoires convenables à. l’exercice du culte ‘catholique. Nous retrouvons donc bien, ici, les restes de ; Ce temple qui a donné tant de célébrité au rocher de Polignac; et, sa position , son emplacement, son étendue viennent, à l’appui de la tradition, nous prouver qu’il renfermait, dans son intérieur, la plus petite des deux excavations.

Une chose essentielle à rappeler, c’est qu’au bas du village, on voyait encore, au commencement du 18e  siècle, sur l’emplacement de la maison de M. Vialatte, les débris d’une espèce oratoire, ou ædicula; que là, probablement, les pèlerins déposaient leurs offrandes et qu’interrogés sur les questions qu’ils voulaient faire, elles étaient communiquées aussitôt aux prêtres du temple, lesquels ‘avaient le temps de préparer les réponses qu’il fallait que les consultants allassent chercher au haut du rocher.

Quant à la communication des prêtres entre eux, elle devait avoir lieu, du bas en haut du rocher, par une issue qui s’est retrouvée dans les ‘caves de la maison Vialatte. Là, on a pu à la lueur d’une lampe, parcourir un espace de cinquante pas environ, dans un chemin de cinq pieds de haut, sur deux et demi de large, taillé dans le roc, mais à cause de l’humidité et de l’absence de l’air, on a été bientôt forcé de rétrograder. D’ailleurs, on n’aurait pu avancer beaucoup au de là, puisqu’au dire du propriétaire, le chemin est obstrué, plus loin, par les pierres que l’infiltration des eaux a fait détacher, et que, dans la crainte des accidents, il a lui-même amoncelées pour empêcher qu’on y pénétrât.

Ce qu’il a été possible de reconnaître, par exemple, c’est que du niveau supérieur de la grande excavation, jusqu’à celui de la cour de M. Vialatte , se trouvent les cent quatre-vingts pieds que l’on a toujours donnés à la première profondeur du précipice; d’où l’on doit conclure que là était l’issue secrète aboutissant au bas de la grande excavation; excavation qui alors, éclairait et assainissait les galeries souterraines conduisant aux habitations des prêtres et, peut-être, aux salles mystérieuses du puits de l’oracle , au centre du temple. Ce puits, dont il a déjà été parlé, était hermétiquement fermé, au-dessus de l’autel qui le couronne, par une espèce de voûte présentant, à sa partie antérieure, le masque colossal d’Apollon, posé verticalement, et contenu par des agrafes en fer dont on reconnaît les restes au, revers du masque et sur les bords de l’autel. A Il me semble que ce qui précède rend bien facile l’explication du moyen employé pour faire sortir les oracles par la bouche de la divinité.

Il est un’ autre monument d’autant plus intéressant à décrire, qu’en‘ venant appuyer mes raisonnements et confirmer la tradition, il donne une date certaine.

Au bas du portique, un peu vers la gauche, se trouvent dix à douze belles pierres antiques, en grès blanc, bien taillées. L’une d’elles contient une inscription historique. Les lettres en sont formées et gravées avec soin ; et, à l’exception d’un seul chiffre, elle est parfaitement entière. Sa dimension est de trente-trois pouces de long, sur dix-huit de large. La moulure qui l’encadre est bien sculptée. Cette inscription a été citée par Faujas, mais inexactement, sans interprétation, sans réflexions aucunes et sans faire observer que le premier qui commençait la dernière ligne, avait été mutilé et avait disparu, ce qui importe, cependant, pour combiner les événements et constater des vérités historiques. Je la donne, ici, exactement, telle que je l’ai trouvée et que j’ai pu la lire :

Comme on le » sait, cette inscription atteste la présence et,’ en même temps, la politique ou la piété de l’empereur Claude. En effet, des traditions orales, plusieurs relations et de très anciens manuscrits s’accordent à dire que ce prince vint, en pompe, de Lyon à Polignac, consulter l’oracle d’Apollon ; qu’il y donna des preuves de son attachement à la religion, et que les prêtres consacrèrent cet événement par une inscription qu’ils firent placer sur les murs du temple.

Ici, l’époque est précisée : elle constate que les oracles de Polignac étaient alors célèbres sous le 4e consulat de Claude, l’an Rome 798 et, de notre ère, le 47e

Cette espèce de pèlerinage du prince qui, au titre d’empereur, réunissait celui de grand pontife, comme le rappelle l’inscription même, devait avoir pour but de mettre en honneur sa religion, dans les Gaules, et d’accréditer la sagesse et la puissance des prêtres ; d’autant plus que déjà le christianisme commençait à prendre de l’influence. Peut-être aussi voulait-il avoir la gloire d’achever l’œuvre de Tibère, son prédécesseur, et de se faire ordonner, par la divinité de porter le dernier coup au druidisme. C’est en ‘effet sous son règne que ce culte antique, trop peu connu peut-être encore, et astucieusement calomnié par la politique des Césars fut totalement aboli.

Quelques citations vont maintenant nous conduire à une conclusion simple et historique. Si nous ouvrons l’Histoire du Languedoc ; si nous consultons une Dissertation savante sur les Volces, si nous compulsons plusieurs vieilles chroniques, nous y trouvons la preuve qu’il existait un temple d’apollon, fameux par ses oracles, près des frontières de l’Auvergne, sur les confins du Velay, et, c’est bien la position de Polignac. Si nous recourons encore à l’ouvrage déjà cité du R. P. Odon de Gissey, nous y rencontrons une nouvelle preuve dans ce passage remarquable, où, en parlant du rocher de St-Michel au Puy, il rapporte ces vers beaucoup plus anciens encore que ceux qu’il écrit lui-même :

D’un château imprenable il est avoisiné, Où du Latonien le peuple embéguiné, Sur le trépied fatal consultait les oracles ; C’est d’où les Poloniacs illustres sont sortis. »

Enfin, d’autres passages que j’ai fait connaître ; plusieurs mémoires particuliers et beaucoup d’ouvrages qu’il serait trop long d’énumérer, confirment ce qui, jusqu’à’ présent, n’avait passé que pour des ’ conjectures, ou tout au plus, pour de simples souvenirs traditionnels.

Maintenant, en rapprochant tout ce qui précède, et liant entre elles les diverses parties, crois pouvoir établir ainsi l’ensemble de mon système.

Vers la frontière de l’Auvergne et du Velay, sur le haut rocher de Polignac, il a existé un temple d’Apollon, fameux par ses oracles. L’époque de sa fondation remonte aux premières années de notre ère, puisque déjà en l’an 47, l’empereur Claude y vint en pompe, comme pour accréditer la puissance du dieu, et qu’il y laissa des preuves de sa piété et de sa munificence.

Les débris et les issues mystérieuses que l’on retrouve encore sur le rocher, dans son sein et dans ses environs, révèlent les moyens secrets employés par les prêtres pour faire parler leur divinité et en imposer aux peuples.

Au bas du rocher, était une œdicula ; c’est là que les pèlerins, ou consultants, faisaient leur première station ; qu’ils déposaient, leurs offrandes et exprimaient leurs vœux.

Un conduit souterrain communiquait de cette œdicula au fond d’une grande excavation percée, en forme d’entonnoir, depuis la base jusqu’à la cime du roc. C’est par cette énorme ouverture que, prononcés, même à voix basse, les vœux, les prières et les questions des consultants parvenaient, à l’instant même, au haut du rocher, et que, là, recueillis par le collège des prêtres, les réponses se préparaient, pendant que les croyants, par une pente sinueuse et longue, arrivaient lentement au but de leur pèlerinage.

Les réponses disposées, les prêtres chargés de les transmettre, se rendaient dans des salles profondes, contiguës à un puits dont l’orifice venait aboutir au sein du temple.

Ce puits, couronné par un autel, était fermé par une petite voûte hémisphérique présentant, dans sa partie antérieure, la ‘figure colossale d’Apollon , dont la bouche entr’ouverte, au milieu d’une barbe large et majestueuse, semblait toujours prête à prononcer ses suprêmes décrets.

C’est aussi par cette ouverture, qu’au moyen d’un long porte-voix, les prêtres, du fond des antres du mystère et de la superstition, faisaient sortir ces oracles fameux qui, en portant dans les esprits le trouble, le respect et la persuasion, retardèrent de quelques siècles le triomphe complet et le règne du christianisme.

Telles sont les conclusions qui me paraissent les plus simples et les plus probables. Elles donnent une idée des pieuses fraudes dont les ruines de Polignac nous ont conservé la tradition et‘ les preuves.

Quant aux autres débris antiques qui auraient pu faciliter la description ou les explications des monuments de Polignac, on sait qu’ils ont été disséminés ; que beaucoup ont été employés dans le moyen âge, à la construction du château et de ses nombreux accessoires. Peut-être les plus marquants de ces débris, et qui ont encore conservé des formes, sont-ils ceux qui, lors de la destruction du temple par les ardents propagateurs du christianisme, furent, précipités au bas du rocher. C’est ainsi, suivant la tradition, qu’une quantité considérable de pierres devenues faciles à enlever, ont été bientôt, par un zèle tout religieux, transportées jusqu’au pied du Rocher-Corneille, où elles, ont servi à ajouter de nouvelles constructions aux constructions premières de 1’église déjà célèbre de Notre-Dame du Puy. Aussi est-ce dans les murs de cet édifice, ou de ses dépendances, que nous avons retrouvé plusieurs fragments curieux, plusieurs bas-reliefs qui se rattachent au culte d’Apollon, et qui rappellent les bienfaits du prince auquel le temple de Polignac dut de nouvelles richesses et sa magnificence. Ces fragments, enlevés avec soin, font maintenant partie des antiques du musée du Puy, et, par un rapprochement assez singulier, ils décorent le soubassement de la belle statue allégorique de l’Apollon du Belvéder.

Ce n’est pas anticiper sur mes propres relations, que de fixer l’attention, dès à présent, sur des objets déplacés ; je pense au contraire qu’il était convenable de les rapprocher, idéalement, le plus possible, du monument auquel ils ont appartenu. Examinons donc d’abord deux pierres, en beau grès blanc, taillées et sculptées sur deux faces opposées, et dont la primitive destination est d’avoir servi à la décoration du temple de Polignac.

Source de l’extrait :

Essais historiques sur les antiquités du département de la Haute-Loire

Charles Florent-Jacques Mangon de la Lande

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