Chantait d’amour, en 1234. — Béatrix de Montferrat, comtesse de Viennois, dame de ses pensées. — Les manuscrits de ce troubadour sont très rares. — Le chant sur les malheurs de la croisade et ses chants d’amour.
Nous avons vu que le baron Guillaume de Saint-Didier vivait encore en 1194. A cette époque, il était à l’apogée de sa gloire.
Après sa rupture avec la vicomtesse Belissende Marchesa de Polignac, il abandonna Saint-Didier et le Velay et se réfugia dans le Viennois, puis, à la Cour du comte de Provence.
n fut, sans doute, marié ; mais on ignore le nom de sa femme.
Combien eut-il d’enfants ? Deux au moins, semble-t-il ? Un fils et une fille !
Le fils — bien avant la mort de Guillaume qui dut survenir, selon toute vraisemblance, bien après 1194 — prit, dès 1185, la succession de son père, à la tête de l’importante baronnie de Saint-Didier, sous le nom de Jausserand Ier.
La fille fut certainement mariée ?
A qui ?
On l’ignore.
Elle eut au moins un fils à qui on donna le nom de son oncle, baron régnant de Saint-Didier, Gausserand.
On ne sait pas, même approximativement, en quelle année est né ce fils qui devint, comme son grand-père, un troubadour connu, estimé et apprécié.
En 1234, le troubadour Gauceran chantait « d’amour ».Supposons qu’il ait eu 25 ans. Il pourrait donc être né en 1209. Nous le retrouverons beaucoup plus tard siégeant à, une Cour d’Amour, en possession de tous ses moyens et en pleine gloire.
Gausserand ou Jausserand de Saint-Didier fut, comme son grand-père Guillaume, un troubadour distingué. Il trouva, d’ailleurs, auprès de son oncle Jausserand Pr, baron de Saint-Didier, ami et protecteur des lettres, de précieux encouragements et une aide efficace.
Gausserand prit pour dame de ses pensées Beatrix de Montferrat, comtesse de Viennois, fille de Guillaume IV. Elle avait épousé Guigues André d’Albon, dauphin de Vienne, en 1219.
Ce dernier mourut en 1237. La comtesse de Montferrat a gouverné le Dauphiné pendant la minorité de son fils, Guigues VI.
Les poésies de ce troubadour sont très rares et les manuscrits de la Bibliothèque Nationale en conservent une, consacrée à chanter les malheurs d’une croisade.
L’historien provençal a laissé sur le poète vellave une trop courte notice.
Gausserand de St-Deidier si fo de l’evescat de, Velaic, gentil
castellans, fils de la filla d’en Guilhem de St-Deidier ; et
enamoret se de la comtessa de Vianes, filla d’el marques
Guilhem de Montferrat. »
Crescimbini, Millot et les autres qui ont parlé de ce troubadour n’en disent pas davantage.
Il est possible que dans les poésies de son aïeul, on en trouve plusieurs qui devraient lui être attribuées !
Quoi qu’il en soit, les biographes ne reconnaissent à Gausserand qu’une seule pièce, celle dans laquelle il chante ses amours pour la fille du marquis de Montferrat.
La pièce Puvis fin ‘amors me tom en alegrier lui appartient sûrement et se trouve postérieure à 1219. La voici, d’ailleurs.
I
Puois fin ‘amors me torn en alegrier Bon dei pensar de far gara chanso, Qu’en tal domna ai mes mon cossirier Qu’anc hom non vi tan bella ni tan pro Per qu’en am mais lo soa sospeiso De mill autra que ne dones joi desirier
E 111 envelos non sabran de cui so.
II
Sobre totas a de beutat l’empier Reina es de joi ses contenso
E duquessa de valen pretz entier
E Marqueza de ben dir sa razo
E comtessa de cors e de faisso
E princessa que ja nuilh mal pallier Non puoscan dir ni feigner lausenguier Qu’en leiss aiai nuilla res si ben no…
III
Auzist o mais oncas de nuill asquier Cui armadura non tengues n.uill pro ? Qu’ieu l’ai trobat que tan duramen fin Contra l’ausbere e ‘1 perpoing e ‘1 bleso M’a si nafratz inz el cor d’un pilo
E ‘ill flecha es d’un bel dig plasentier
E l’arcs don moc d’un franc cor presentier
Has d’aquest colp trobarai guariso.
Les manuscrits d’Apres lesquels ont été transcrites ces poésies sont presque contemporains des troubadours. Ils proviennent, pour la plupart, de la Bibliothèque du Vatican.
La ponctuation se réduit à des points placés à la fin de chaque vers, sans égara aux repos nécessités par le sens. On trouve seulement un point de temps en temps, quand le sens se trouve terminé au milieu d’un vers.
Quant aux virgules, il n’en apparaît jamais. Les abréviations sont en petit nombre ; p, pour la préposition per, et le signe — au-dessus des voyelles, pour les syllabes nasales. L’accentuation se borne généralement à un délié très fin placé sur la voyelle I. mais d’une manière tout à fait arbitraire, quoique, le plus souvent, il ne se marque que sur l’I placé devant les consonnes n ou m et sur l’i final des pronoms cui et ui. Ces accents, à cause de leur extrême ténuité, sont plus pâles que le reste de l’écriture, et il faut beaucoup d’attention pour les distinguer.
On voit que les copistes du moyen âge se sont appliqués à les faire aussi déliés que possible.
L’orthographe est très variable et capricieuse.
Le même mot est, fort souvent, écrit de plusieurs façons différentes dans une même strophe. La lettre u après la consonne q ne semble pas de rigueur, et l’on n’aperçoit pas de règle fixe pour en déterminer l’emploi ; ainsi, l’on trouve indifféremment quant et gant ; que et qe ; qem et quem.
Mais il faut enlever à Gausserand et rendre à Guilhem, son grand-père, le chant 234-10.
Le troubadour Jausserand de Saint-Didier mourut avant 1258.
Extrait de l’ouvrage, « D’Azur au Lion d’Argent » Tome I.
Paul Ronin