Religion en Velay

Les historiens des Gaules et leurs commentateurs déterminent dans l’ère celtique trois époques pendant lesquelles les formes du gouvernement sont entièrement différentes. C’est d’abord une théocratie redoutable qui tient asservies sous le joug sacerdotal toutes les facultés de l’homme. La nation, jeune encore, tremble sous la tutelle de ses mystérieux druides et marche où la conduit leur voix impérieuse.

C’est ensuite une altière aristocratie qui s’empare de la puissance. Les hommes énergiques, ceux qui, par leur force, par leur courage, par les services rendus, croient mériter mieux que ce qu’on leur accorde, ne tardent pas à lever l’étendard de la révolte. Le glaive du commandement militaire devient un sceptre entre les mains robustes de ces hardis parvenus. Cependant une large et belle part reste aux anciens chefs ; on n’a pu arracher de leur front la plus durable des deux couronnes : ils demeurent les ministres suprêmes de la divinité. L’irrésistible ascendant de leurs doctrines religieuses, les ressources de leur savoir imposent à la nation, et pour longtemps savent leur maintenir une influence presque souveraine. À son tour, la démocratie l’emporte. Ce que quelques-uns avaient pu seuls comprendre, seuls exécuter, finit par frapper l’intelligence de tous. Les luttes des deux pouvoirs, leurs excès, font promptement l’éducation des classes inférieures. L’œuvre d’affranchissement que nous verrons se reproduire contre les seigneurs féodaux du moyen-âge est tentée, et même, dans un grand nombre de tribus celtiques, victorieusement accomplie contre les chefs militaires, oppresseurs des provinces. Cette forme de gouvernement plus ou moins démocratisé fut celle que trouva César, et sous l’inspiration de laquelle il écrivit ses Commentaires. Voilà pourquoi il ne faudrait pas prendre cet écrivain exclusivement pour guide dans les recherches historiques que l’on voudrait faire remonter à des temps trop antérieurs à la conquête.

Sous le gouvernement théocratique toutes les doctrines se confondent dans l’unité. C’est un seul dieu, maître du ciel et de la terre, qui punit et qui récompense dans un autre monde ; c’est une classe privilégiée qui lui sert d’interprète ici-bas, à laquelle chacun doit obéissance, parce qu’elle seule a la double clef de la vie présente et de la vie future.

Sous le gouvernement aristocratique le principe unitaire est scindé. Le corps social, d’abord organisé à l’exemple du corps humain, ne conserve plus cette harmonie générale ; le bras veut se mouvoir sans attendre les conseils de la pensée, comme si l’un n’avait pas été fait pour subir l’influence de l’autre. Dès lors, le dogme rigoureux de la foi primitive n’est plus accepté par les hommes disposés à la tyrannie, que modifié en proportion de leurs intérêts. Le pouvoir nouveau, ne trouvant plus dans les anciennes lois druidiques la sanction de ses actes, dut favoriser de tous ses efforts les tendances religieuses les plus hostiles aux idées qu’il voulait combattre. – Enfin, sous le gouvernement démocratique, les membres se séparent et veulent vivre d’une existence indépendante ; chacun se fait, suivant sa force et ses besoins, des lois et des croyances. C’est l’époque des invasions, aussi bien sur le territoire que dans les esprits. Les druides et les grands chefs perdent leur empire, tous les dieux ont des autels, parce que toutes les passions, tous les intérêts sont devenus les seuls maîtres souverains des hommes.

Au temps où le gouvernement théocratique était dans toute sa puissance, les druides  étaient à la fois juges, rémunérateurs et vengeurs des actions humaines. Non-seulement ils commandaient en ce monde, mais ils étendaient leur empire par-delà le seuil de la vie. Ces prêtres austères, disent nos historiens, vivaient dans une retraite profonde. Seuls ils se livraient aux études de théologie, de morale et de législation. Ils cultivaient les sciences abstraites, faisaient de sérieuses recherches sur la médecine, la physique, l’astronomie, et proclamaient dans leurs enseignements la grandeur infinie de Dieu, l’immortalité de l’âme, la vie future.

Aristote avait écrit qu’ils apprenaient aux peuples, d’une manière mystérieuse, à ne point faire de mal et à déployer un grand courage ; Pline les appela les mages des Gaulois ; « mages, dit-il, qui pouvaient bien « passer pour les maîtres de ceux de l’Orient. » Les eubages, interprètes des druides auprès du peuple, étaient chargés de la partie extérieure et matérielle du culte, ainsi que de la célébration des sacrifices. Ils étudiaient particulièrement ce qui, dans les sciences naturelles, médicales et astronomiques, était utile à leurs fonctions. Ils devaient savoir immoler une victime avec habileté, lire, dans ses convulsions, dans ses entrailles palpitantes, dans son sang répandu, les bons ou sinistres présages. Ils interrogeaient aussi le vol, le chant des oiseaux, et, sous les inspirations de leurs chefs, pratiquaient l’art de la divination. – Dépositaires des vieilles chroniques de la Gaule, les bardes apprenaient par cœur et récitaient ensuite à la foule, sous forme de poèmes, ce qu’il fallait qu’elle sût de son histoire. Comme les lois druidiques proscrivaient de la façon la plus rigoureuse les moindres documents écrits, tout devait se transmettre par la mémoire. Dans cette faculté, pourtant si trompeuse, si fragile, étaient les uniques archives de la patrie. Quelques historiens n’ont vu dans cette législation qu’une œuvre du caprice et de l’ignorance ; pour nous, au contraire, elle nous semble bien plutôt un puissant moyen de direction suprême. Les prêtres, qui voulaient garder toutes les clefs entre leurs mains, avaient trop le pouvoir de l’écriture, pour donner à la pensée éternellement jalouse de son indépendance un si périlleux auxiliaire ; aussi les bardes avaient ils seuls le pouvoir de recueillir et de répandre les traditions nationales. Ils suivaient le guerrier sur le champ de bataille, venaient s’asseoir au foyer domestique, dans les assemblées populaires, et chantaient, en s’accompagnant de la rotte, les actions glorieuses dont ils avaient été témoins et qu’ils proposaient à l’admiration du monde entier.

 L’effet de leurs vers était si puissant, disent Diodore et Strabon, qu’on les vit plus d’une fois, dans les guerres intestines, désarmer les combattants furieux par la magie de leur parole et par la douce harmonie de leur voix.

Le chef des druides exerçait durant sa vie entière une autorité sans limite. À sa mort l’élection pour voyait à son remplacement. Quoique le choix ne pût être fait que dans l’ordre sacerdotal, il était néanmoins disputé avec une telle fureur que le bandeau suprême, trempé dans le sang des guerres civiles, ceignait presque toujours le front du plus audacieux. À certaines époques de l’année, un collège général se formait en cour de justice et en assemblée politique, afin de décider des grands intérêts nationaux. Les convocations, qui d’ordinaire avaient lieu dans le pays des Carnutes, se poursuivirent presque jusqu’à la conquête, bien que la puissance druidique fût très-amoindrie.

Les druidesses exerçaient aussi une influence religieuse sur tout ce qui les environnait, non par un pouvoir légalement admis, mais par l’irrésistible ascendant du don prophétique qu’on leur reconnaissait et qui les rendait au loin célèbres. Témoin l’hôtesse de Dioclétien qui lui prédit, alors qu’il n’était rien encore, qu’un jour il deviendrait empereur.

Ces sacrificateurs, ces poètes, que Possidonius, Césaret Strabon trouvèrent dans les Gaules, n’étaient pas cependant les fidèles et austères disciples des anciens druides ; il ne fallait plus les aller chercher dans de sombres forêts de chêne, au pied des dolmen Sacrés. Les eubages traînaient la hache des sacrifices à la suite des armées et, dociles aux volontés du chef, ne lisaient dans les entrailles des victimes que de mensongers présages. Les bardes, ces vieux chantres de la gloire et de la religion, avaient fait de leur lyre un instrument de honteux servage. Pour quelques nobles intelligences, encore inspirées par l’amour du pays et par le respect des choses saintes, partout on voyait de méchants poètes attachés à la domesticité des princes et chargés du soin de dis traire leurs ennuis. Le roi Luernius, jetant de l’or, comme une aumône, au barde couvert de sueur et de poussière qui chante ses grossières louanges en courant après son char, n’est-il pas le témoin de la décadence, l’image de la dégradation ? Les druides eux-mêmes, surtout ceux du midi des Gaules, ne sont plus ces pontifes graves et savants ces pères de la patrie dont le nom seul avait été jadis la bannière des combats et le gage des plus pacifiques alliances ; ce sont de simples prêtres oubliant tous les jours les traditions et les doctrines, cherchant à ressaisir par l’intrigue l’influence qu’il avait fallu plusieurs siècles pour conquérir, et délaissant dans la solitude les dolmens du dieu de leurs ancêtres, pour courir aux mystérieuses initiations de Taran, de Bélen et de Mercure. On ne trouve aujourd’hui aucun vestige de cromlech dans le Velay ; car il ne faut pas confondre quelques pierres plantées, quelques prismes basaltiques dont le pays abonde, avec les enceintes gauloises qui servaient de sanctuaires aux premiers prêtres. Toutefois, si nous devons en croire les solutions étymologiques de M. l’abbé Sauzet, cette petite province fut jadis un centre druidique important. Voici de quelle manière cet ingénieux écrivain prétend le démontrer :  Nous citerons textuellement, comme nous le ferons toujours en pareille matière, afin qu’on puisse prendre une idée plus exacte de la nature des documents qui servent de base à l’histoire des antiquités locales.

Source de l’extrait :

HISTOIRE DU VELAY ANTIQUITÉS CELTIQUES ET GALL0-R0MAINES

PAR FRANCISQUE MANDET

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