
Perché sur un étroit plateau basaltique aux flancs escarpés, Saint-Marcellin de Chanteuges appartenait à un prieuré élevé par les moines de La Chaise-Dieu, prieuré dont divers éléments : le cloître partiellement détruit, une chapelle dédiée à Sainte-Anne, quelques-uns des bâtiments monastiques transformés en école ou en habitation et enfin l’enceinte sont conservés de dimensions moyennes , environ 35 m de long , l’église, qui seule nous intéressera dans le cadre de cet article offre un parti architectural simple : son chevet à abside encadrée de deux absidioles est directement greffé sur une nef de type basilical à trois vaisseaux de quatre travées . Devant la façade occidentale s’élevait primitivement un avant-corps. La modestie d’un tel parti s’oppose à celui, plus ambitieux, des églises majeures de Basse Auvergne associant un chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, un transept aux volumes échelonnés, une nef à tribunes et un massif de façade couronné par deux tours, parti adopté à Notre-Dame du Port de Clermont Ferrand (45 m de long), Notre-Dame d’Orcival (41 m), Saint-Austremoine d’Issoire (55 m) et dans des constructions moins vastes (Saint-Nectaire : 37 m, Saint-Saturnin : 32 m). L’architecture est accompagnée d’une centaine de chapiteaux, végétaux pour la plupart, mais aussi figurés, dont quelques-uns comptent parmi les plus belles réalisations de la sculpture auvergnate.

L’histoire de Saint-Marcellin est bien connue3. En 936, Cunebert, prévôt du chapitre de Saint-Julien de Brioude, fonda une abbaye à Chanteuges, selon le vœu exprimé par son aïeul Claude, propriétaire dudit lieu. Celle-ci fut dotée de nombreux biens, tant par le chapitre de Brioude que par Cunebert lui-même, parmi lesquels la localité de Chanteuges, sise entre l’Allier et la Desges, les deux églises qui existaient précédemment : l’une sous le patronage de saint Saturnin, l’autre sous ceux de saint Julien de Brioude et saint Julien d’Antioche, et leurs dépendances (bois, prés, eaux, moulins, forêt), ainsi que des terres ou exploitations essentiellement situées dans les environs immédiats ,la villa de Vaunat, une double manse à Benac, deux manses à Bonnavat, dans la villa de Rilhac et dans celle de Calonicas, trois manses dans la villa de Paredon et dans celle de Vailhac. Diverses reliques y furent transférées dont le corps de saint Marcellin, archevêque d’Embrun, qui devint par la suite le principal vocable de l’église monastique. Elevé sur une terre dépendant de la seigneurie du chapitre de Brioude, l’abbaye bénéficia du privilège d’immunité dont jouissait alors celui-ci6. Elle fut confiée à l’abbé Arnulfe qui dirigeait le monastère d’Aurillac et libérée de toute redevance temporelle à l’égard de son fondateur et du chapitre de Brioude. L’abbaye de Chanteuges semble avoir été prospère jusqu’au début du XIIe siècle. Dans les années 1130, usurpée et fortifiée par un seigneur de la région Mandulphe ou Randulphe de Digons, semble-t-il, elle n’était plus qu’un repaire de brigands comme on l’a vu plus haut. Impuissant, l’abbé Raymond se retira à La Chaise-Dieu et, en 1137, céda son monastère à l’abbaye casadéenne qui y établit un prieuré. Cette union fut approuvée par Albéric, archevêque de Bourges et primat d’Aquitaine, Aymeric, évêque de Clermont, et les chanoines de Brioude qui figurent parmi les signataires de l’acte12. Ces derniers exigèrent toutefois de l’abbé de La Chaise-Dieu deux repas annuels en compensation. Ce tribut, qui fut l’objet de nombreuses négociations dans lesquelles intervinrent plusieurs papes, Innocent II, Lucius II, Eugène III, Adrien V, Alexandre III et un légat du Saint-Siège, ne fut aboli qu’en 1275, lorsque le chapitre de Brioude y renonça contre la cession du village et de la chapelle de Glizeneuve, près de Lubilhac. Jusqu’à la Révolution qui dispersa ses moines, le prieuré de Chanteuges entretint des rapports privilégiés avec La Chaise-Dieu. En 1318, il fut uni à la messe conventuelle de l’abbaye casadéenne. Par ailleurs, certains abbés de La Chaise-Dieu furent originaires de Chanteuges, tels Guillaume de Bosozel (1235-1243) et Eble de Montclard (1285-1294) qui y avaient été respectivement prieur et moine. D’autres abbés, tels André Ayraud (1420) et Hugues de Chauvigny (1478), y moururent. Pour sa part, l’abbé Jacques de Saint-Nectaire (1491-1518) manifesta un grand attachement à Chanteuges. Outre les travaux qu’il entreprit à l’église, il fit construire la chapelle Sainte-Anne, fonda des messes en faveur du prieuré, acquit une maison dans le quartier de la Vialle ainsi que quelques terres (pré, vigne).
LES TRANSFORMATIONSET LES RESTAURATIONS
L’église romane a subi certaines transformations souvent mal documentées. La plus évidente concerne la modification du voûtement du haut vaisseau de la nef à l’extrême fin du XVe siècle ou au début du siècle suivant, par Jacques de Saint-Nectaire ; des voûtes d’ogives quadripartites remplacèrent alors le couvrement original, vraisemblablement un berceau sur doubleaux. Le même abbé de La Chaise-Dieu semblerait également être à l’origine de l’enduit gris décoré d’un faux appareil, rehaussé çà et là de fioritures gothiques, qui unifie l’intérieur. On lui doit probablement aussi les remplages flamboyants de la fenêtre de l’abside (qui pourrait avoir été agrandie à cette occasion), des baies du collatéral sud et de la façade occidentale. En revanche, les archives ne conservent aucun document qui nous permette de dater avec exactitude la destruction de l’avant-corps occidental dont il subsistait quelques restes à la fin du XIXe siècle, ou la réfection du cul de four de l’abside. Il en est de même pour l’établissement. Selon les auteurs de la Gallia Christiana, il ne s’agissait pas alors de simples travaux d’embellissement mais de réparations rendues nécessaires à la suite d’un accident quelconque ou d’une détérioration, cf. Gallia Christiana, t. II, col. 348
« Nulli antecessorum magnificentia cessit imo superavitomnes tum in pauperibus sublevandis, tum in reparandi monasterium Casa-Dei, et cantologensis aedificii »

Source et extrait : ASSOCIATION DES CAHIERS DE LA HAUTE-LOIRE année 1997, Laurence Cabrero-ravel,https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9769841n
Le 28 août 936, sous le règne du roi Louis IV d’Outremer, en la basilique Saint-Julien, est signée la charte de fondation de l’abbaye Saint-Marcellin avec comme principal signataire Cunebert.
Afin de concrétiser son projet, après avoir sollicité Odon, abbé de Cluny, qui déclina l’offre, déjà fort occupé par son œuvre réformatrice, Cunebert s’adresse à Arnulphe, coadjuteur d’Odon et abbé de Saint-Géraud d’Aurillac, qui répondit favorablement. C’est l’abbé Arnulphe qui supervisa l’ensemble des travaux : édification de l’église dédiée à saint Marcellin, premier évêque d’Embrun, des bâtiments claustraux, l’ensemble fortifié d’une enceinte, et ce sont des moines venus d’Aurillac qui prendront possession des lieux et élurent un des leurs, Oblérius, premier abbé de Chanteuges.
Le roi Louis IV d’Outremer à la demande de Godescalc, évêque du Puy-en-Velay, et Héric, évêque de Langres confirma la donation aux religieux à perpétuité, avec la pleine et entière propriété des donations faites, ainsi que celle qu’ils pourraient recevoir à l’avenir[5], et en décembre 941, depuis Vienne (Isère) il délivre à l’abbaye un diplôme d’immunité : « …Nous prescrivons qu’à partir de maintenant, nulle personne, même puissante, ne devra causer de tort aux moines ni chercher à leur imposer un cens injuste, mais que ceux-ci et tous leurs biens soient libres et exempts de la domination de toute personne et que leur abbé soit toujours institué, non sur l’ordre de quelqu’un, mais selon la règle de saint Benoît. Que ceci en considération de notre autorité soit inviolable et soit observé par tous dans les temps à venir…[5] », puis Robert succéda à Oblérius.
Une bulle du pape Calixte II datant de 1119 confirme les droits de l’abbaye.
Vers 1130, les moines vivent sans problème jusqu’à ce que le seigneur voisin, Ithier de Mandulphe, sire de Digons, s’en empare, pervertisse une partie des moines qui vinrent renforcer sa troupe et transforme l’abbaye en forteresse et en « repaire de voleurs et criminels ».
Impuissant à rétablir l’ordre, l’abbé régulier Raymond se réfugie, avec une poignée de frères, à l’hiver 1137 à l’abbaye de La Chaise-Dieu situé à une cinquantaine de kilomètres de Chanteuges où il est accueilli par l’abbé du lieu, Étienne de Mercœur (1111-1146), et place alors son établissement sous la tutelle de La Chaise-Dieu. Démarche qu’il justifie ainsi : « J’ai vu l’abbaye Saint-Marcelin de Chanteuges dans un état déplorable : son monastère en ruine, son sanctuaire dépouillé, son église convertie en forteresse, personne ne servant Dieu, et la sainte maison devenu un lieu de refuge pour les voleurs et les homicides. Cette dernière doit rétablir ses droits. Cette transition obtient l’approbation de l’archevêque de Bourges et primat d’Aquitaine, Albéric de Reims, et l’évêque de Clermont ancien abbé de La Chaise-Dieu, Aymeric Loubet. Quant au chapitre de Brioude, qui avait conservé certains droits, après d’âpres discussion, le 11 mars 1137 finit par donner son accord, avec comme contrepartie que l’abbé de La Chaise-Dieu servent aux chanoines deux repas par an, l’un à Brioude, l’autre sur le site de Chanteuges. L’acte de donation fut lu solennellement le 14 avril 1137 dans l’église abbatiale de La Chaise-Dieu. L’ancien abbé de Saint-Marcellin, Raymond, s’explique ainsi : …j’ai remis mon bâton, ainsi que la direction et l’administration de l’abbaye, entre les mains d’Aymeric, évêque de Clermont et, de l’avis et consentement de mes frères de Chanteuges, de mon bon gré et ma bonne volonté, j’ai livré Chanteuges à La Chaise-Dieu, pour que celle-ci le possède comme prieuré à perpétuité et pour que, par les soins des pères de La Chaise-Dieu, ce lieu soit restauré et que le service divin y soit rétabli… , alors que le lieu est encore occupé par Ithier de Digons. L’abbé de La Chaise-Dieu, appuyé de seigneurs locaux, reprit après un siège le monastère âprement défendu ; le village fut ravagé et son église dédiée à saint Julien d’Antioche détruite. Les moines défroqués survivants furent dispersés dans des maisons disciplinaires.
Après la reconquête de ses terres, l’abbé de La Chaise-Dieu entreprend la reconstruction des bâtiments claustraux et de l’église, en reprenant une partie du plan d’un édifice de la fin du XIe siècle, qui s’achèvent aux environs de 1145. Dès 1143, le pape Lucius II à la demande d’Étienne de Mercœur, confirma par bulle tout ce qui avait été décidé.

En 1275, les chanoines de Brioude abandonnent leur demande de se faire servir deux repas par an par le prieuré. En septembre 1317, la pape Jean XXII par une autre bulle joignit les revenus du prieuré de Chanteuges à la mense de La Chaise-Dieu.
Le prieuré devient au XVe siècle la résidence des abbés de La-Chaise-Dieu.
À partir de 1491 et jusqu’en 1518, le dernier abbé régulier de La Chaise-Dieu, Jacques de Saint-Nectaire, entreprend la construction de la voûte d’ogives de la nef centrale de l’église Saint-Marcellin. Le fenestrage des façades occidentale et méridionale de l’église est repris. La fenêtre occidentale est agrandie. Il fait construire à ses frais la chapelle Sainte-Anne, chapelle de l’abbé au nord du cloître en mémoire de sa sœur Anne décédée en 1496.
Le prieuré ne subit pas de dégâts pendant les guerres de Religion. Il abrite les moines de l’abbaye de La-Chaise-Dieu à la suite de l’incendie de leur abbaye par les Protestants en 1572.
En 1640, Chanteuges passe sous la responsabilité des bénédictins de Saint-Maur.
Le prieuré est vendu comme bien national en 1792. Puis en 1793, la chapelle Sainte-Anne est transformée en magasin de fourrage, et est sauvée, en 1837, de la destruction par le Conseil général de la Haute-Loire. Elle sera restaurée en 1837 et en 1867.
La tour seigneuriale située au nord-ouest de l’abbaye s’effondre en 1896.
En 1970, la galerie nord du cloître est reconstruite.