
Jules Auguste Armand Marie, Prince de Polignac (1780–1847)
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Les fonctions militaires, judiciaires et financières exercées par les vicomtes de Polignac, au nom des comtes particuliers de la province du Velay, furent la source de nombreux conflits avec l’épiscopat anicien. Ces conflits, en qui semble se résumer toute l’histoire vellave, du IX au XIII siècle, ne furent apaisés, du moins en apparence, que par l’hommage du vicomte Pons IV à l’évêque Bertrand de Chalençon, en l’année 1213.
Les protestations de la vicomté, ses revendications contre l’omnipotence épiscopale persistèrent en effet jusqu’à la fin du XVII siècle, et elle ne voulut jamais accepter le rôle secondaire de puissance déchue. L’intérêt en jeu, entre les antagonistes, était la suprématie temporelle. Profitant de cet interrègne de l’autorité royale qui commence avec Charles le Chauve et se perpétue jusqu’aux premiers rois de la dynastie capétienne, les évêques refusèrent de se confiner dans les attributions purement spirituelles que Charlemagne leur avait vainement assignées. De leur côté, les vicomtes ne pouvant parvenir à briser la résistance de leurs adversaires, résolurent de s’emparer du pouvoir ecclésiastique, en faisant élire, par le chapitre du Puy, un prélat appartenant à leur famille. Dès l’année 890, nous trouvons en effet un Vital de Polignac obliger Norbert de Poitiers, son compétiteur à l’évêché, à céder au vicomte Armand I, son frère, tous ses droits sur la ville de Saint-Paulien, pour assurer la paisible jouissance de son bénéfice En 1073 , Étienne de Polignac , évêque de Clermont, réussit à se faire élire évêque du Puy et, bravant l’excommunication de Grégoire VII persista à occuper ce siège jusqu’en 1087 environ , époque à laquelle l’évêque Adhémar de Monteil obtint du vicomte Pons II et de son fils Héracle I le désistement de toutes leurs prétentions sur l’église du Puy, moyennant une somme de 25,000 sous podiens .
La réconciliation fut complète entre les adversaires, puisque Héracle I devint le porte-étendard d’Adhémar à la première croisade, où il fut mortellement blessé, le 28 juin 1098, à la glorieuse bataille d’Antioche. L’établissement de péages sur les terres de la vicomté, en 1134, provoqua de nouvelles contestations entre les rivaux et nécessita, en 1154, l’intervention amiable de Guillaume IX, comte d’Auvergne. Mais la trêve fut de courte durée et, dès 1163, les hostilités reprirent avec une nouvelle ardeur, entraînant le vicomte Pons III et son fils Héracle III aux pires excès contre la collégiale de Brioude et l’abbaye de La Chaise-Dieu, malgré les excommunications du pape Alexandre III. Le roi Louis VII dut intervenir en personne, faire le siège du château de Nonette, s’emparer des deux vicomtes et les emmener prisonniers à Paris. Grâce à la médiation du comte de Blois et de l’évêque de Paris et après une sentence arbitrale des évêques de Clermont et de Viviers, ratifiée successivement par Louis VII et Philippe -Auguste 9, le calme revint dans le pays et, en 1181 et 1201, Héracle III fit amende honorable à Saint-Julien de Brioude et se rendit vassal de cette célèbre abbaye. L’hommage de Pons IV à l’évêque du Puy, en 1213, consacra les intentions pacifiques des deux parties et, le 22 septembre 1229, un nouvel accord entre le même vicomte et l’évêque Étienne de Chalancon régla le différend qui s’était élevé au sujet des châteaux de Ceyssac et de Saint- Paulien. Enfin, au moment de son départ pour la Palestine, Pons V vendit au chapitre du Puy, pour le prix de 20,000 sous viennois, les 5 deniers par livre qu’il percevait sur la fabrication de la monnaie de cette ville.
La cession de ces droits régaliens eut pour heureuse conséquence d’amener une ère de paix et de tranquillité, qu’aucun incident notable ne vint troubler jusqu’en 1272. A cette date, s’il faut en croire les dires de l’évêque Guillaume de la Roue et des témoins appelés par lui à l’enquête, les gens du vicomte Armand V tentèrent d’assassiner le bailli de l’évêque, tuèrent un de ses sujets à Espaly, s’emparèrent de bœufs de labour, de vaches et de moutons dans le mandement du château de Saint-Privat, pillèrent plusieurs maisons sises près du château de Mézères et du village de Solilhac, occupèrent et fortifièrent la maison du Charrouil et dispersèrent par les armes les officiers épiscopaux qui emmenaient un prisonnier, en poussant le cri de guerre des Polignac :
« Pammac, Pammac ! »
Cité devant la cour temporelle du Puy pour ces diverses violences, Armand V fit itérativement défaut, mais le 11 janvier 1274, son fils Armand VI se réconcilia avec l’évêque, en lui rendant hommage pour ses divers châteaux, à l’exception de La Voûte, du péage du Collet et de la motte de Saint-Paulien qui relevaient en franc- fief du Roi. L’échange conclu, le 21 juin 1306, entre l’évêque Jean de Comines et Armand VII, de la temporalité de l’évêché contre la part du vicomte sur le château de Mercœur, les hommages du même aux évêques, en 1307 et 1320, cimentèrent la concorde.
A ces époques violentes et passionnées, où la raison du plus fort était irréfutable, trop d’intérêts rivaux se trouvaient en présence, pour que les vicomtes puissent jouir longtemps de leur souveraineté, sans soulever des jalousies ou des colères. Dès l’année 1311, Armand VII eut à déférer devant le parlement de Paris Bertrand de Saint-Nectaire et plusieurs seigneurs d’Auvergne, qui avaient envahi l’un de ses moulins avec une troupe armée, brisé les portes, les roues, les meules et les mesures et dispersé les blés et farines. Quoique le parlement eut sévèrement réprimé les excès dont il avait été la victime, Armand VII, partisan sans doute d’une justice plus expéditive, se chargea lui-même de venger les attentats à ses droits, commis par la collégiale de Brioude. Ayant eu à se plaindre du prévôt de cette église, il ordonna successivement deux véritables expéditions contre le village d’Alvier, sous prétexte de se saisir d’un homme et d’une femme adultères. Quoique sobre de détails, le document qui nous révèle cet incident témoigne qu’aux heures sombres de ces luttes intestines, le cœur de l’homme se fermait à toute commisération. L’arrestation des habitants et leur transfert au château de La Mothe, le sac et le pillage des maisons, la capture du bétail, la destruction des fourches patibulaires du prévôt, jusqu’à l’acte d’attacher un malheureux au sommet d’une échelle, en criant de venir voir la justice du vicomte, tout dénote une dure cruauté et explique les sévérités de l’arrêt judiciaire, du 26 mai 1312, qui condamna les coupables à de fortes amendes.
Pendant ce temps, l’évêque du Puy et le vicomte de Polignac semblaient vivre en bonne intelligence, car on ne saurait conclure des débats qui surgirent entre eux, en 1324, au sujet des droits de justice sur la maladrerie de Brives, que leurs rapports fussent tendus, puisque le 25 septembre 1357, Armand IX et sa femme, Marguerite de Solignac, rendirent un solennel hommage à l’évêque. A partir de ce moment et jusqu’aux premières années du XVI° siècle, seul un mandement de Charles V, du 17 juillet 1374, prescrivant la poursuite d’excès commis par Armand IX contre l’évêque Bertrand II de Latour, mentionne les dissentiments de l’épiscopat et de la vicomté 8. Ces dissentiments se noyèrent dans les graves débats qui mirent aux prises les évêques du Puy avec la monarchie et la commune, ou dans les crises nationales et religieuses qui remuèrent si profondément la province du Velay. L’œuvre d’absorption monarchique consommée, les libertés municipales définitivement assises, la paix au dedans et au dehors assurée, les vieilles haines se réveillèrent et la querelle renaquit sous Louis XIII, à l’occasion des lettres de provision de gouverneur de la ville du Puy obtenues, en 1632, par le vicomte Armand XVIII. Cette nomination, qui consacrait les longs services de la maison de Polignac à la cause de la royauté, suscita pourtant la sourde colère de l’évêque Just de Serres qui réussit, après deux années d’incessantes démarches à la cour de Rome, à faire évincer le neveu du vicomte, l’abbé Melchior de Polignac, du doyenné de l’église du Puy, malgré la résignation faite en sa faveur, en juin 1633, par le doyen Jean Laurens.

Melchior de Polignac
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En 1634, de nouveaux incidents surgirent au sujet de la révocation de certains officiers de la province du Velay par Armand XVIII et, en 1640, lorsque le vicomte se rendit acquéreur du domaine royal sur la ville du Puy, l’évêque lui contesta avec acrimonie la préséance en faveur de ses officiers siégeant à la cour commune. Je n’insisterai pas sur ces événements, qui ont fourni à M. Charles Rocher la matière d’un excellent travail, et qui, limités à de simples contestations juridiques, ne produisirent dans l’opinion publique qu’une émotion passagère. La rupture du successeur de Just de Serres avec la vicomté mérite au contraire une mention spéciale car, jusqu’ici, nos chroniqueurs ont glissé rapidement sur cette période agitée de notre histoire, quand ils n’ont pas, comme M. l’abbé Sauzet, dans son étude sur les Guelfes et les Gibelins au Puy, accumulé des faits sans indication de sources et, le plus souvent, avec une partialité d’où la vérité a peine à se dégager. On trouvera dans ce recueil nombre de documents inédits relatifs à ces discordes intestines, véritable Fronde tout à la fois ridicule, tapageuse et sanglante, où les appétits malsains et les rivalités mesquines purent librement se donner cours, sans qu’aucun souffle de liberté vînt anoblir cette lutte fratricide. D’un côté, l’évêque Henri de Maupas du Tour, personnage d’une foi profonde, mais qui n’avait su acquérir, dans ses fonctions d’aumônier de la reine mère Anne d’Autriche, cette souplesse de cour, si nécessaire cependant pour effacer dans les masses le souvenir encore vivant des démêlés de son prédécesseur, Just de Serres, avec les vicomtes de Polignac. De l’autre, Armand XVIII qui, par sa situation de gouverneur de la ville, personnifiait le pouvoir royal et ne pouvait, du reste, sans démentir ses origines, abdiquer devant l’autorité épiscopale. L’évêque fut d’ailleurs le premier à provoquer la colère de son antagoniste, en faisant rompre, le 29 mai 1652, les portes du monastère de Sainte-Claire, sous prétexte qu’on lui en refusait l’entrée. Les Polignac n’avaient pas oublié que ce couvent avait été fondé par la vicomtesse Clauda de Roussillon. Ils virent dans cet acte de violence comme une sorte de provocation et, dès lors, concentrant avec soin leurs rancunes, ils attendirent patiemment le moment favorable de tirer vengeance de l’insulte faite à leur maison. Les élections consulaires du Puy de 1655 vinrent favoriser leurs projets. M. de Maupas voulant prévenir l’orage qui le menaçait avait obtenu, en novembre 1655, des lettres de cachet nommant, sans vote préliminaire, des consuls à sa dévotion. Pour tous ceux qui connaissent l’attachement de cette ville à ses libertés municipales, il est évident que cette substitution de la royauté aux corps de métiers devait fatalement mettre le feu aux poudres. Armand XVIII sut adroitement profiter de cette situation et, soutenu par les États du Languedoc et le parlement de Toulouse, il obtint de faire procéder, le 6 janvier 1656, à des élections régulières, dans lesquelles ses protégés furent vainqueurs.
Bien que M. de Bezons, intendant du Languedoc et << homme d’une prudence reconnue, ait confirmé le choix de la population, l’évêque ne se tint pas pour battu, réclamant toujours l’exécution des susdites lettres de cachet, nonobstant la révocation qui en avait été faite par le Conseil d’État, le 13 janvier 1656. Encouragé dans ses résistances par Maurice Le Blanc, avocat du Roi à la sénéchaussée, soutenu par la plus grande partie de son clergé, il n’eut ni l’habileté ni l’énergie nécessaires, pour empêcher que les rivalités de salon ne se transforment en émeutes populaires, dont les chefs se prévalaient de l’autorité et crédict du seigneur évêque du Puy, Limité d’abord à quelques rares personnes, l’esprit de révolte gagna peu à peu toutes les classes de la société et, pendant de longs mois, l’on vit , sous la conduite d’un simple boucher, une tourbe remuante et criminelle s’emparer de la cité, en chasser les consuls après avoir tenté de les assassiner et menacer de mort ou de pillage tous ceux que l’on soupçonnait d’avoir embrassé la cause du vicomte . Ce fut surtout dans les premiers jours de mai 1656 que la foule se porta aux plus odieuses extrémités. En vain l’intendant de la province d’Auvergne, le sénéchal du Velay et le lieutenant général du Languedoc prirent- ils successivement les mesures les plus rigoureuses pour enrayer la marche de cette révolution, l’élan était donné et la cocarde verte, signe de ralliement des révoltés, ornait impunément les chaperons des habitants du Puy. Je n’entreprendrai pas de narrer en détail les épisodes de cette période mouvementée de nos guerres civiles, ni l’impuissance du pouvoir à réprimer cette sédition où périrent de nombreuses victimes. La lecture des divers actes contenus dans cet ouvrage permettra de combler cette lacune.
On y verra l’ardeur réciproque des adversaires et leur mutuel désir de voir triompher leurs revendications. Mais, si le vicomte mit le blocus devant la ville, si ses partisans se livrèrent à des excès, on peut dire que les amis de M. de Maupas justifièrent les représailles de leurs ennemis, puisque le jugement souverain, du 2 août 1659, qui mit fin à cette lugubre épopée, frappa seulement la cabale de l’évêque. Nommé en 1661, au siège d’Évreux, M. de Maupas tenta vainement, après son départ, de faire attribuer la présidence des états du Velay à son vicaire général, Amable de Pradier d’Agrain, à l’exclusion du vicomte Armand XIX. Son successeur, Armand de Béthune, ne fit son entrée solennelle au Puy que le 20 mai 1665 et trouva la ville encore chaude des esclandres et des tumultes qui venaient de la diviser si profondément. Il s’employa d’abord à calmer les esprits, et put même écrire, à son collègue de Saint- Brieuc, « qu’il estoit parvenu à amener la paix la plus parfaite » dans son diocèse. Pour un motif futile, l’évêque se chargea bientôt lui- même de donner un démenti à ses optimistes appréciations. Moins de onze mois après son installation, il n’hésita pas, en effet, à faire incarcérer un prédicateur, sous prétexte que dans un sermon du carême prononcé à la cathédrale, il avait traité de « monseigneur » le vicomte de Polignac. Il faut croire que cette qualification n’était pas du goût des évêques du Puy, car aux états du Velay, de 1649, elle avait déjà provoqué les vives protestations de M. de Maupas³. Quoi qu’il en soit, le prédicateur en question ne recouvra la liberté que sur l’injonction formelle du Roi.
La guerre était donc déclarée et trois ans après, elle reprit de plus belle, à l’occasion d’un incident qui rappelle à s’y méprendre le Lutrin de Boileau. Dans le courant du mois d’août 1669, le père Jean-André Faure, commissaire apostolique, provincial des frères Prêcheurs de Toulouse, ordonna de changer de place le chœur et les autels de l’église Saint- Laurent du Puy, pour plus de commodité et de décence dans le service divin. M. de Béthune avait offert de supporter les frais de ces réparations et, de plus, avait donné aux Jacobins pour leur église, un tableau de prix représentant leur saint patron. Les Polignac et à leur tête, le frère du vicomte Armand XIX, l’abbé Melchior, dont on connaît les vicissitudes au sujet du doyenné de l’église du Puy, prétendirent que ces changements ne pouvaient avoir lieu sans l’assentiment de leur maison, véritable fondatrice du couvent. Alors intervint l’évêque de Béthune et la lutte commença : ordonnances épiscopales, plaintes des Polignac, transport de justice, riposte de l’abbé Melchior et, enfin, transfert du chœur et des autels, en dépit des opposants qui en appelèrent au Conseil privé du Roi. L’intendant de la province du Languedoc, Claude Bazin, commis pour informer sur cette affaire, vint au Puy, instrumenta, vérifia, verbalisa et renvoya le tout au susdit Conseil. On ignore la solution judiciaire de ce procès qui nous est révélé par un factum fort rare dont les preuves ont été utilisées par nous, au cours de cette publication. Ce document ne porte aucun nom d’auteur, mais à sa grâce malicieuse, à son air de bonne compagnie, à son ton de respect ironique, on peut assurément l’attribuer à la plume de M. de Béthune qui, à défaut d’arguments juridiques, chercha à accabler son adversaire de ses railleries fines et aristocratiques.
A une époque où la mesure et la réserve étaient inscrites en tête du code du savoir vivre, le persiflage, même délicat et spirituel, devait produire des piqûres d’amour propre peut- être plus sensibles que l’expression crue et brutale de nos polémiques modernes. On est donc en droit de supposer que la verve caustique de M. de Béthune causa, avec la vicomté, une mésintelligence qui se perpétua pendant les trente- huit années de son épiscopat. Plusieurs faits en attestent en effet la périodicité et, par conséquent, la ténacité et la durée. Elle se manifeste d’abord à l’occasion des fêtes du carnaval de 1681 où, dans une « mascarade, » Armand XIX chercha à tourner l’évêque en « dérision » Elle éclate ensuite, dans la séance des états du Velay, du 9 janvier 1692, sous la forme des vives protestations de M. de Béthune contre la nomination d’Armand XX aux fonctions de gouverneur de la ville du Puy, tout en déclarant « qu’il honore parfaitement le nom et toute la famille de Polignac. » Enfin, elle apparaît encore, le 24 octobre 1698, dans la délibération du Conseil général du Puy qui, à la suite de vives compétitions, décida que dorénavant les « officiers et domestiques » de l’évêque et du vicomte ne pourraient plus occuper les fonctions de premier Consul. Au cours du XVIII° siècle, l’épiscopat entretint de courtoises relations avec la vicomté et même, pour témoigner de ses sentiments bienveillants, l’évêque de Béringhem alla jusqu’à allumer le feu de joie que l’on fit brûler en signe de réjouissance, le 8 juin 1739, lors de la venue au Puy d’Armand XXI de Polignac 5. Ainsi se terminèrent ces longs litiges qui, pendant plusieurs siècles, troublèrent si profondément la province du Velay.