À en juger par sa dénomination celtique et par le rapport de Ptolémée, Ruessium existait longtemps avant la conquête de la Gaule par Jules César. Ce devait être, alors, un bourg habité par les Velauniens ou Vellaviens, près de la frontière qui séparait ce peuple de celui de l’Auvergne. Il paraît que la présence des armées romaines donna à ce bourg une certaine importance, et qu’il prit bientôt de l’accroissement en étendue et en population. Il est avéré, du moins, qu’en l’an 727 de Rome, vingt-cinq ans avant notre ère, lorsque Octavius Cœsar, empereur sous le nom d’Auguste, vint présider, à Narbonne, l’assemblée générale des Gaules, Ruessium reçut le titre de ville ; que cette ville fut classée parmi celles de la province Aquitanique, et qu’elle devint le siégé de plusieurs établissements administratifs et politiques. Sa position, en effet, convenait à un peuple vainqueur qui voulait affermir sa domination. Elle se trouvait sur la voie militaire qu’Agrippa venait d’ouvrir, et qui se dirigeait de Lyon vers l’Espagne où les Romains avaient envoyé des colonies; elle était protégée, ainsi que la route elle-même, par un camp que tout annonce avoir existé, à deux petites lieues de là, sur le plateau de la montagne d’Allègre; et cette distance était bien celle que les Romains avaient soin de calculer pour que leurs camps, dans lesquels ils fixaient leurs établissements‘ militaires, pussent , au besoin , servir à la défense; pour‘ qu’habituellement les citadins ne soient pas incommodés par les soldats, et qu’aussi les délices des villes n’amollissent pas le courage de ces derniers.
Il est de fait, au surplus que Ruessium ne tarda point à être distingué par « Prince », et à, se ressentir de ses faveurs.
En l’an 737 de Rome, lorsque, pendant son second voyage dans les Gaules, Auguste déclara libres plusieurs Cités, et leur conféra les droits municipaux, soit à cause des secours qu’il en avait reçus, soit pour la fidélité qu’elles lui gardèrent, la Vellavie fut comprise dans le nombre de ces Cités privilégiées
Quelques mémoires particuliers avaient bien fait mention de l’avantage qu’elle obtint alors, mais aucune preuve ne venait à l’appui d’un fait important dans l’histoire du pays. Nous venons de la retrouver cette preuve, sur une Inscription dont l’authenticité est irrécusable. Quoique d’une date postérieure, et quoique relative à un événement étranger à l’affranchissement de la Cité, cette inscription n’atteste pas moins la vérité historique qu’il importe de consacrer. La pierre qui la retrace est maçonnée, presqu’au niveau du sol, dans la face méridionale, à l’angle sud-est du bâtiment construit sur les fondations de l’ancienne église de Notre-Dame du Haut-Solier, Elle est gravée en creux dans un grès blanc très-dur (6), de trois pieds six pouces de long, sur deux pieds de large. Sa conservation est parfaite, est on y lit très-distinctement ces mots: _ . .
Combien peu de villes pourraient produire un titre semblable pour constater leur antiquité, en même temps que leur ancienne illustration ! et cependant ce titre précieux reste exposé à des mutilations journalières et peut-être à une destruction prochaine. Aussi j’exprimerai le vœu de le voir figurer, un jour, parmi ceux que conserve à la postérité, le musée du département de la Haute-Loire et avec d’autant plus de raison, que ce monument n’est point relatif à la seule ville de St-Paulien, mais qu’il appartient à toute l’antique Vellavie.
Jusqu’à présent, on n’avait pu lire et je n’avais moi-même aperçu que les trois dernières lignes d’Inscription, parce qu’en effet les deux premières ne sont bien visibles que par un temps pur, au moment où le soleil frappe dessus verticalement. Aussi, je rétracte toute interprétation que j’en aurais donnée dans des mémoires particuliers.
On remarquera que j’ai devancé l’instant de rapporter cette inscription, puisqu’elle eût trouvé sa place dans la description des antiquités du Haut-Solier; mais comme j’y ai découvert un titre fondamental des droits primitifs de la Vellavie , j’ai cru devoir en faire mention dans mes recherches sur l’origine et le lustre de la Cité , et puisque j’ai été conduit à en donner une explication, j’en tire cette conséquence que si, comme il y a lieu de le croire, cette inscription faisait partie d’un monument funéraire élevé sur la tombe d’Etruscilla, femme de l’empereur Trajan-Dèce, elle donne une nouvelle preuve de l’importance de Ruessium. En effet, pour que la veuve d’un Empereur romain soit venue terminer ses jours dans la capitale de la Vellavie, il fallait qu’il y existât un palais digne de l’ancien chef de l’Empire, et cette particularité a infiniment de rapport avec les débris précieux qui s’y rencontrent à chaque pas.
Au surplus, les réflexions qui précèdent me rappellent une découverte faite, en juillet 1821, dans le voisinage du Haut -Solier, lors d’une excavation pratiquée, en y creusant un puits découverte qui se rattache à mon sujet.
Monument sépulcral
Arrivé, dans l’excavation, à la profondeur de quatre à cinq pieds, on a trouvé cinq assises de très beaux blocs de grès blanc, parfaitement taillés sur les quatre faces, et présentant, à peu près, la base d’une pyramide isolée. Cette base, établie dans le roc, était encore appuyée, de trois côtés, par des murs solides qui venaient y aboutir, mais qui n’étaient construits qu’en pierres brutes. Ceci ne nous indiquerait-il point le monument élevé à la mémoire d’Etruscilla, surtout lorsqu’à quelques pas de là, se retrouve son inscription tumulaire ? Le monument, d’ailleurs, devait-être digne du personnage auguste auquel il était érigé, à en juger par la qualité, le volume et la coupe soignée des pierres qui lui servaient de fondement. Celles qui ont été tirées de l’excavation, avaient plus de cinq pieds cubes, et chacune d’elles a été vendue vingt et quelques francs, pour être cassées et employées dans de nouvelles constructions.
Quoique parmi les décombres, il se soit trouvé plusieurs médailles, je n’ai pu en obtenir qu’une seule qui m’a été ‘offerte par le propriétaire. Je me suis empressé d’en faire hommage au Musée du département. Elle est en grand bronze, du règne d’Antonin, et doit être ainsi déterminée :
D’après l’ouvrage intitulé : De la Religion des anciens Romains, dans lequel cette médaille est gravée, elle représente « la cérémonie des vœux « formés pour la santé du prince, par un prêtre « sacrifiant au-dessus d’un autel. » Le caractère particulier de cette médaille a pu la faire choisir avec d’autres, d’une expression à peu près semblable, pour être renfermées dans la tombe impériale.
C’est là, sans doute, une supposition, mais je m’y attache avec complaisance, comme à tout ce qui ajoute à l’idée que je me fais de l’antique splendeur de Ruessium, idée qui va se fortifier encore en cherchant à déterminer quelle a dû être son enceinte et son étendue. Le sol en est actuellement cultivé , mais, avec un peu d’attention, on ne peut le méconnaître. Il se trouve rempli de débris de carreaux, de briques et de tuiles antiques. On rencontre partout des fragments de vases, de poteries grossières et fines, des médailles et une foule d’objets qui ne laissent aucun doute sur l’existence ancienne de nombreuses habitations. Plusieurs fois, j’ai parcouru un vaste espace, tel qu’occuperait une de nos villes de quinze à vingt mille âmes ; constamment j’ai reconnu les mêmes vestiges. Des propriétaires, des cultivateurs, de simples ouvriers, en m’indiquant les terrains qu’il avait fallu déblayer pour les rendre à la culture, m’ont mis à portée de juger que la ville actuelle devait former la limite méridionale de l’ancienne ; que celle-ci se prolongeait, dans sa partie septentrionale, jusque près des monts qui l’abritaient des vents du nord, et qu’elle devait s’étendre, de l’est à l’ouest, depuis le communal de Chaumel, jusqu’au-delà de Marcha-Dial.
Si l‘on veut des preuves évidentes de la beauté, de la richesse de Ruessium, il faut examiner, en observateur, les débris épars, et ceux employés dans les murs, les édifices et les habitations de la ville de SH-Paulien; on y reconnaîtra des fragments de sculptures et de colonnes; de grandes et belles pierres travaillées, et on demeurera étonné que tant de restes d’architecture se soient ainsi conservés au milieu d’une ville si souvent incendiée et renversée, de fond en comble , lors des invasions successives des Vandales, des Goths , des Germains , des Sarrazins et « des Francs; et quand on sait qu’à une époque rapprochée de nous, lors des guerres de la ligue, cette même ville fut , de nouveau , entièrement saccagée par les armées ennemies de la cause d’Henri IV. On lit ‘même encore, sur l’un des piliers de la porte méridionale de la ville faisant face à la route du Puy, la date de sa dernière reconstruction, en 1415, date qui s’y trouve ainsi, en caractères mal formés :
Il y a plus : tous les jours, en travaillant à la terre, en la fouillant de quelques pieds, ce sont encore d’autres ruines précieuses que l’on découvre : des pans de murs revêtus en marbre , des plates-formes ou des bassins enduits d’un ciment indestructible ; des tuyaux souterrains artistement construits; des masses considérables de maçonnerie; enfin d’énormes blocs de grès équarris , taillés et liés encore par le ciment , formant de vieilles fondations.
Aussi ne doit-on pas s’étonner que, sur plusieurs des hauts lieux qui avoisinaient la capitale et qui faisaient partie de la Cité, il s’éleva des temples aux divinités qui allaient devenir les protectrices du pays, et c’est ce qui nous conduira, à travers l’incertitude des temps, vers les ruines et les monts de Polignac et d’Anis.
En cherchant où pouvaient avoir été construits quelques-uns des édifices principaux dans l’intérieur de Ruessium, il me semble qu’on peut s’arrêter sur l’emplacement de l’église actuelle et sur ceux appelés le Haut-Solier et Marcha-Dial, dont les noms conservent quelque chose de leur antique destination.
Église.
Je ne dirai qu’un mot, en passant, sur l’église de St-Paulien, parce que son architecture n’est que gothique : elle est ornée, à l’intérieur et à l’extérieur, de ces colonnes longues et grêles qui indiquent assez l’époque de sa construction. En général, sa forme est ‘pittoresque, et ses murs, au dehors, sont revêtus de mosaïques dont on retrouve les analogues et les dessins variés dans plusieurs édifices du moyen âge.
C’est au milieu de sa maçonnerie et de son architecture ; c’est dans ses alentours, que j’ai rencontré les premiers objets de mes recherches.
Fondement d’un édifice.
Il y a peu d’années que pour rendre l’église moins humide, on fit déblayer les terres qui s’élevaient un peu trop au-dessus des fondations. À peine eût-on creusé de quelques pieds, qu’on découvrit beaucoup de cercueils, en pierres de Blavozy, bien évidées, et, sous ces cercueils, les fondements d’un édifice qui devait être d’une étendue considérable, à en juger par la longueur d’une muraille très -bien construite en beau grès blanc, et d’un alignement parfait ; d’où l’on peut conclure que, là, un monument païen a été renversé; que plus tard , sur ses ruines s’est élevée l’une des plus anciennes églises , et qu’au milieu des décombres, dans ce qui en formait l’enceinte, ont été inhumés les premiers prêtres du christianisme, peut-être les premiers chanoines épiscopaux de St-Paulien. Au surplus, une grande quantité des pierres qui furent ainsi découvertes, ont été extraites, vendues à un prix assez haut et employées dans de nouveaux bâtiments ; ce qui annonce que, dans cet endroit, comme dans vingt autres de l’antique Ruessuim, des fouilles faites avec méthode et avec soin, conduiraient non-seulement à des découvertes utiles dans l’intérêt des vérités historiques, mais peut-être même fructueuses par le produit qu’on retirerait des plus beaux matériaux.
Statue priapique.
Parmi les objets qu’on m’a fait remarquer dans la façade septentrionale de cette église, il en est un, à vingt pieds de haut environ, qui représente un homme ou un enfant nu, accroupi et tenant, d’une ‘main, ses parties sexuelles. Le dessin en paraît bon, autant que l’élévation où il est et ses mutilations permettent d’en juger. On lui a donné, vulgairement, le nom de Statue priapique. Il serait à désirer qu’on pût l’enlever et qu’on la déposât dans un musée, où elle serait placée plus convenablement que sur un temple catholique.
Il est cependant une conséquence chronologique à tirer de l’existence de ce monument. On sait que le culte d’1sis, d’abord introduit à Rome, y fut défendu sous le consulat de Pison et de Gabinius ; mais que, plus tard, Auguste le fit revivre; qu’il en releva les temples, et que les mystères de cette divinité de l’Égypte , redevinrent bientôt, parmi les Romains, ceux de la galanterie et de la débauche; ce qui ,’ en général, fait reporter au siècle d’Auguste les monuments de la nature de ceux dont il est ici question, Ainsi, un simple fragment de sculpture vient appuyer les réflexions déjà émises sur l’époque des premiers établissements dans Ruessium.
Fragments d’inscriptions.
Non loin de ce monument, un peu plus bas sur la droite, est un reste d’inscription qui paraît n’avoir que deux mots indéchiffrables, les lettres en étant à peine tracées ou presqu’usées, et d’une mauvaise forme.
Pierre tumulaire.
Dans l’un des piliers du milieu, se trouve placée une belle pierre tumulaire. Les lettres qui en composent l’inscription sont bien gravées et encore assez faciles à lire, quoique les lignes se présentent verticalement. Il en a été parlé dans quelques ouvrages, mais on ne l’a rapportée qu’incomplètement. Je la donne en entier, et j’y joins une interprétation autant exacte que possible. A cet égard, il est bon d’observer que, jusqu’à présent, aucune des inscriptions que j’aurai à citer, n’a été ni expliquée, ni positivement déterminée. Celle-ci, comme on le voit, ne laisse aucun doute qu’elle a été un monument de piété conjugale :
Toujours dans la même façade de l’église, au milieu d’un autre pilier, à huit pieds du sol et vers la gauche de celui qui contient la précédente inscription, est un bas-relief qui paraît représenter, en buste, quelque grand personnage romain. Il est sculpté dans un grès blanc. Le dessin et le travail n’en sont pas très-bons ; cependant, il présente de l’intérêt comme monument‘ La cassure inférieure de la pierre laisse croire qu’il y. existait une inscription, et tout annonce qu’elle devait être funéraire.
Lorsqu’on rencontre de tels monuments sépulcraux, on éprouve le regret que le lieu où se faisaient les sépultures publiques n’ait pas encore été découvert. On pourrait y trouver des inscriptions qui donneraient quelques certitudes sur des individus et sur les dates.
Pierre des Triumvirs.
Il existe près de là, et implantée contre le même mur, une pierre quadrangulaire en grès de Blavozy. Les uns l’appellent, en patois, la Peyre clous treis virs ; d’autres la nomment le Carcan. Elle sort de trois pieds et demi de terre ; sa largeur est de dix-huit pouces ; son extrémité supérieure est terminée par une pyramide tronquée, dont la face antérieure est aplatie. Sur le devant du pilastre, sont sculptées trois têtes, en relief, sur une même ligne horizontale. Les figures sont mutilées et méconnaissables. Elle a été trouvée, il y a très-long-temps, vers la limite de l’ancienne banlieue de St-Paulien. Il n’y a, malheureusement, aucune trace d’inscription ; mais sa dénomination vulgaire et traditionnelle, sous les deux acceptions ; sa forme ; le sujet qu’elle retrace ; sa position à l’extrémité de l’ancienne ville ; tout semble dire qu’elle a dû être la pierre monumentale du champ des supplices, et que les trois têtes qu’on y voit, représentaient les triumvirs capitaux (triumviri capitales), magistrats qui étaient chargés de veiller à la garde des prisonniers et de présider aux exécutions.
Autel des sacrifices.
A quelques pas de ce dernier monument, et au milieu de la place, on a amené et posé avec beaucoup de peine une très-belle pierre d’un seul bloc de grès blanc. Elle est carrée et, à très-peu de choses près, égale sur ses quatre faces qui ont cinq pieds de large. Sa hauteur est de trois pieds. Elle est taillée avec soin et évidée, dans l’intérieur, par quatre arceaux qui lui donnent de la grâce et de la légèreté. Son dessus forme une table plate et unie.
Quelques personnes ont pensé que cette belle pierre avait pu être une tribune aux harangues ou un tombeau. On pouvait douter même si elle n’était pas un de ces piédestaux que Pline a nommé Arcs, et qui servaient chez les Grecs à porter les statues ; usage que les Romains ont imité, mais assez rarement. Cependant, comme ici la tradition doit être de quelque poids, et que, dans le vulgaire, cette pierre a conservé le nom de Pierre à tuer les bœufs, il est plus naturel de croire qu’elle était destinée aux sacrifices. Plusieurs trous qui se voient sur l’une des faces et qui, par des restes d’agrafes en fer qu’on y remarque, annoncent avoir contenu des anneaux, viennent en quelque sorte à l’appui de cette vieille opinion. Au surplus, elle a servi d’autel, pour le culte catholique, pendant plusieurs siècles, dans l’église dédiée à Saint Paulien, l’un des premiers évêques du Velay, le même qui donna son nom à la ville alors en possession du siège épiscopal. Cette église a été détruite ; son enceinte sert actuellement de cimetière.
Borne terminale.
Dans l’une des maisons de cette même place, chez M. de Solilhac, à, l’est et à l’angle d’un des bâtiments de sa cour, il, existe une très-petite inscription ; elle a cela de particulier, qu’un savant archéologue, M. l’abbé Leheuf, qui l’a vue et publiée, a déclaré qu’elle était la seule inscription antique bien conservée qui se trouvât dans St-Paulien. On a déjà pu juger que M. l’abbé Lebeuf n’avait pas tout vu. D’ailleurs, il a cru sans doute que l’inscription, quoique bien conservée, n’était pas complète, puisqu’il n’a pas essayé de lui trouver un sens quelconque, et qu’il s’est contenté de dire qu’elle ne contenait que ces lettres :
Je pense, moi, que la destination est suffisamment indiquée. Tous les auteurs qui ont écrit sur les pierres limitantes, semblent avoir donné l’explication de celle-ci, en faisant dériver le mot Herma du mot Hermès, dont les latins ont fait leur dieu Terme. Aussi, suis-je porté à croire qu’elle a servi de Borne terminale ou limitante du champ, de l’enclos, ou du domaine d’un propriétaire nommé Dion.
L’inscription qui est figurée ci-devant, est gravée dans un grès blanc de quatorze pouces de long sur neuf de haut, et peut se rendre ainsi : Herma sous-entendu campi Dionis ; Borne du champ de Dion. On aime à rencontrer ces preuves historiques du respect des peuples pour les signes consacrés par les religions. Les pierres terminales étaient des divinités champêtres, sur lesquelles le crime lui-même n’eût osé qu’en tremblant porter une main sacrilège.
Tumulus.
Quittons, maintenant, l’intérieur des murs, et transportons-nous vers l’extrémité orientale de l’ancienne ville ; là, sur le bord de la prairie communale de Chaumel, près du ruisseau de Chalan, en face d’un ancien chemin venant d’Yssingeaux, chemin qui pourrait bien être celui tracé dans la carte de Peutinger, se trouve un tertre en gazon, élevé « de huit pieds environ au-dessus du sol. Sa forme est ronde, et il est composé de terre végétale prise sur le lieu même, ce qu’on reconnaît encore au mouvement du terrain qui forme une espèce de fossé circulaire au pied du tertre.
Sur la cime de ce petit monticule, était placé un fût de colonne en grès taillé, uni, sans base et sans inscription. Il a quinze pouces de diamètre et trois pieds de hauteur. Ce fût de colonne a été renversé en 1819, lorsqu’on essaya d’y fouiller. Arrivé, perpendiculairement, à trois ou quatre pieds de profondeur dans le centre, on s’arrêta, et la colonne est restée gisante sur l’excavation que l’on avait commencée et qui fut interrompue sans résultat.
Le tertre dont il est question a toute la forme d’un tumulus, sous lequel peuvent bien avoir été déposés les restes, ou les cendres de quelque personnage distingué. Une chose même à observer, c’est que, placé sur cette petite éminence et examinant, avec attention , l’espace carré dont elle forme l’angle sud-est, on voit, et dans cette seule partie de la prairie , plusieurs tertres de formes diverses; et, quand tout annonce que la ville se terminait vers ce point, dans son quartier oriental, on forme la conjecture naturelle que cette portion de terrain a pu être consacrée à des sépultures générales ou particulières , selon la population et les usages de cette époque. Une fouille plus complète pourra peut-être, un jour, lever les doutes et conduire à quelques découvertes.
En remontant, sur la même ligne, de l’est à 1’ouest, on arrive au lieu nommé le Haut-Solier, dénomination que l’on croit dérivée d’Alto Soli, et provenant peut-être de l’existence, en cet endroit, d’un petit temple, Ædicula ou Sacellum, consacré au Soleil.
Là se trouve une butte presque entièrement formée de démolitions et de débris, à. travers lesquels, en creusant un puits, on rencontra, dit-on, un beau pavé mosaïque, à la profondeur de huit à dix pieds. ’
C’est à l’angle sud-est du bâtiment construit sur ce monticule, que l’on a renfermé, dans la maçonnerie, l’inscription d’Etruscilla, que j’ai rapportée ci-devant ; inscription qui constate les franchises de l’antique Vellavie. Dans le reste du bâtiment, et çà et là dans ses environs , il existe une quantité de grosses pierres en grès blanc , bien taillées, de différentes dimensions et portant, en elles-mêmes, la preuve quelles ont été employées dans les constructions romaines; ce qui se reconnaît à la forme des entailles qu’y faisaient pratiquer les architectes , pour les lier entre elles par des coins en bois , ‘en bronze , et quelquefois en fer, afin d’assurer la solidité et la durée de leurs édifices.
Fragment d’inscription.
Parmi les pierres employées, il.eu est une petite formant le linteau d’une lucarne, dans le pignon qui fait face au levant ; cette pierre présente le fragment d’une inscription dont les lettres sont grandes et bien gravées. Je ne les rapporte et les figure ici, dans la position où elles se trouvent, que dans l’espoir qu’un jour, la suite ou la contrepartie de l’inscription pourra se retrouver.
Aqueducs.
Une chose qui. a toujours étonné , c’est que la ville de St-Paulien, bâtie sur les ruines d’une ville romaine, n’ait jamais eu que des eaux de puits et de citernes. Certes, les Romains n’étaient pas gens à s’établir dans un pays où l’eau potable et saine leur manquât, eux qui en faisaient la plus grande consommation, particulièrement pour les bains dont l’usage était commun à toutes les classes du peuple.
Aussi, lorsque dans les excavations que le hasard a fait faire, j’ai reconnu, presque partout des restes de cuves et de thermes, construits avec recherche et même avec luxe, je n’ai pas douté, un instant, qu’ils avaient établi les moyens d’y amener des eaux propices et abondantes. C’est donc vers la découverte des tuyaux conducteurs, ou des aqueducs, que mes soins se sont dirigés et vers les sources qui devaient les alimenter. J’espère être parvenu, au moins en partie, au but que je m’étais proposé dans l’intérêt de la ville elle-même.
Dans la maison Besqueut, attenant à la butte du Haut-Solier, on a construit une écurie sur une portion de terrain communal, et, de tous temps, réservé : circonstance essentielle à noter. Ce terrain a été usurpé sans autorisation, de sorte qu’on pourrait y fouiller et même en reprendre possession à volonté. Lorsqu’on creusa les fondations de l’écurie, on rencontra à l’aspect de l’ouest, un aqueduc solidement voûté, entièrement revêtu en ciment, ayant quatre pieds de large, sur cinq de haut, et conduisant un jet de quatre à cinq pouces d’eau de source. Le sieur Besqueut en profita pour fournir des eaux abondantes à un puits ou citerne qu’il fit pratiquer ; et il ferma aussitôt, en maçonnerie, la large ouverture de l’aqueduc, pour n’en conserver qu’une suffisante au passage du filet d’eau dont il avait besoin. Depuis cet événement, on a remarqué qd’ une fontaine s’est tarie au bas de la côte de Choubert, à une demi-lieue de Saint-Paulien ; ce qui donne à penser que l’aqueduc doit aboutir dans ces environs. Des témoins oculaires m’ont assuré que cet aqueduc est de toute beauté, et qu’il ne faudrait qu’enlever quelques pierres à l’ouest du puits pour entendre bouillonner l’eau.
Un autre aqueduc existe encore au faubourg de Langlade, dans la cave du sieur François Cortial. On n’en a point vu l’intérieur, mais on y entend l’eau couler.
Toujours est-il qu’avec très-peu de frais, le premier de ces aqueducs pourrait être rendu à son antique destination et je ne fais qu’un vœu, c’est que mes recherches archéologiques m’ayant conduit vers une découverte d’un intérêt majeur, la ville de St-Paulien puisse bientôt en profiter et y trouver une source inaltérable de santé et d’utilité générale.
Reprenons maintenant nos courses, remontons encore vers l’ouest, et en suivant la même direction, à peu de distance du Haut-Solier, nous nous trouverons dans le quartier nommé Marcha-Dial. A en juger par les étymologies, on peut croire que là était l’habitation des Flamines, ou au moins du grand-prêtre de Jupiter, le FlamenDialis. Les environs sont remplis de nombreux débris de vases, de poteries, de briques et de marbre. Dans toutes les maisons et les murs qui environnent la place, on remarque de grosses et belles pierres antiques bien taillées. Sous une grange démolie, appartenant au sieur Roux, à trois pieds de profondeur, on a rencontré les restes d’un vaste bassin bien cimenté, et, tout auprès, les vestiges d’une étuve dont les tuyaux de chaleur étaient en marbre blanc, poli sur les deux faces. J’en ai vu plusieurs pièces ayant deux à trois pieds de longueur, sur neuf à dix pouces de largeur. Tout annonce que là existait quel qu’établissement riche et somptueux.
Inscription.
C’est dans la façade méridionale de la maison du même propriétaire que se trouve une inscription incomplète, citée, depuis longtemps, dans un ouvrage du frère Théodore, ayant pour titre : Histoire de N.-D. du Puy. On y lit, page 34, que la pierre qui contient l’inscription, est une pièce de marbre. On s’est trompé ; c’est un grès blanc semblable à celui généralement employé par les Romains, dans ce pays. Cette pierre, dans sa cassure actuelle, est à peu près carrée sur deux pieds, huit pouces.
Comme il est possible qu’elle se soit trouvée moins mutilée il a trois ou quatre siècles, je vais rapporter l’inscription telle qu’elle a été donnée alors et, en même temps, telle que j’ai pu la déchiffrer après l’avoir plusieurs fois vérifiée à des heures différentes et lors que le soleil l’éclairait de divers points. Il est bon de remarquer les lettres en sont eu creusées et mal formées, qu’on les découvre avec d’autant plus de peine que la pierre est usée, et qu’ayant été placée au hasard, les lignes se présentent verticalement.
À la vue de cette inscription, on jugera qu’il serait difficile même d’en hasarder une interprétation; aussi n’ai-je pas cherché à en pénétrer le sens. Je ne la rapporte que pour exciter la curiosité des amateurs Peut-être un jour s’en trouvera-t-il de plus hardis ou de plus heureux que moi. Il est bon d’ajouter encore que c’est dans ce quartier de Marcha-Dial, que venait aboutir la grande voie romaine qui traversait la Vellavie, ou que’ c’est de ce point qu’elle partait en se dirigeant au nord et au midi. Ce quartier est aussi celui où, sans en chercher, il se rencontre encore aujourd’hui, une foule de débris de tuiles, de poteries et de marbres amoncelés à la superficie du sol ; d’où l’on peut conclure qu’il formait, à peu près, le centre de l’ancienne ville , ce qui s’accorde aussi avec l’emplacement que je lui ai‘ supposé.
Fouilles.
J’allais quitter l’article de St-Paulien, au moment où je reçois la lettre suivante. La haute idée que vous m’avez donnée des vestiges de Ruessium, ancienne capitale du Velay, aujourd’hui St-Paulien, m’a engagé à les visiter moi-même et à satisfaire m’a curiosité. Je m’y suis rendu le 26 juillet 1822, et j’ai été en effet convaincu qu’il y a eu dans ces lieux, une ville importante et riche. Voici les observations que j’ai faites d’après un léger essai de fouilles qui ont eu lieu sous mes yeux.
Champ de Blancheton, à droite en sortant de SH-Paulien pour aller à Craponne, vis-à-vis l’auberge de Chazal, j’ai reconnu :
1°. Des murs en pierres communes et assises droites, revêtues de ciment uni et coloré, formant diverses distributions.
2°. Beaucoup de plâtras de plusieurs couleurs ; le bleu ciel parfaitement beau et bien conservé, peintures à fresque représentant des feuillages et un arbre avec mouches noires et blanches, d’assez mauvais goût; divers encadrements.
3°. Une médaille de Domitien, en grand bronze, vernis antique et bien conservée.
4°. Plusieurs morceaux de marbre blanc qui ont dû servir à des revêtements.
5°. Des pavés en ciment très-uni, d’une grande épaisseur, ou plutôt trois l’un sur l’autre.
6°. Des briques, dont une de cinq pouces environ d’épaisseur.
7°. Diverses poteries, rouge fin et moyen, avec bas-reliefs ; noires, et blanches extérieures, fines, etc.
Champ plus loin de la ville, à gauche du même chemin :
1°. Des débris de poteries semblables.
2°. Des murs et pavés en ciment.
3°. Des plâtras colorés.
4°. Des briques.
5°. Des vestiges de rues anciennes.
6°. Une médaille, en petit bronze, de Claudius gothicus.
7°. Enfin, une autre de Caracalla, en grand bronze, d’une belle conservation.
Je ne pouvais espérer un plus grand résultat d’une fouille faite par deux hommes, et qui n’a duré qu’un jour et demi. Il y a tout lieu de croire que, faites-en grand, suivies avec constance, les recherches, à St-Paulien, auraient les plus heureux résultats.
La lettre que je viens de transcrire ici, fortifie toutes mes espérances et ajoute à la conviction générale qu’une fouille, bien combinée, exécutée avec soin et d’après un système raisonné, dans le sol de la ville antique qui a possédé les premiers et les principaux établissements romains, dans ce pays, procureraient des fruits et des documents précieux pour la science archéologique et pour l’histoire.
Recherches diverses.
Comme, en fait d’antiquités, rien ne doit être omis ; que la plus petite pierre monumentale, la moindre inscription, telle incomplète qu’elle soit, peuvent mettre sur la voie d’une découverte, lever un doute ou confirmer une vérité, je me suis fait un devoir de rapporter tout ce que j’ai découvert par moi-même, comme ce que j’ai recueilli par tradition, ou dans quelques mémoires particuliers. Il est possible qu’un jour, on retrouve tout ou partie des objets enlevés, cachés ou égarés. N’en point parler, dans ce mémoire, serait en laisser perdre la trace et, en quelque sorte, consacrer un vandalisme.
Source de l’extrait :
Essais historiques sur les antiquités du département de la Haute-Loire
Charles Florent-Jacques Mangon de la Lande