Ce qui a, dès le moyen âge, fourni un thème fréquent d’accusation contre les abbayes Cisterciennes, c’est le développement trop grand de la fortune territoriale possédée par quelques-unes ; mais si cet excès était un danger, il y avait un autre danger à craindre, c’était l’insuffisance des ressources. A côté de quelques établissements monastiques riches, on en voyait, au moyen-âge, dépérir faute de revenus suffisants. Les exemples ne manquent pas, de monastères que cette pénurie conduisit à une ruine complète. Nous en avons un à Clavas. Une des causes principales de sa disparition et de sa réunion à celui de la Séauve fut l’insuffisance de sa fortune. On doit rendre au chapitre général de Cîteaux la justice de reconnaitre qu’entre ces deux écueils il fit tous ses efforts pour diriger le plus sagement possible l’Ordre dont il tenait le gouvernail.
Ce sont ces donations inspirées par le sentiment religieux qui ont formé partout la première dotation des établissements monastiques. Serait-on téméraire en présumant que les religieux et religieuses auront travaillé à augmenter le nombre des donations en imprimant aux sentiments pieux des fidèles cette direction charitable ! C’était là une tendance fâcheuse. Il était aussi à craindre que les religieux ne cherchassent à élever autant que possible le chiffre de leurs économies pour les employer en acquisitions au profit de leurs maisons et au détriment des pauvres qui avaient droit à leur superflu. Le chapitre général de Cîteaux sut, plus d’une fois, s’élever au-dessus de ces préoccupations égoïstes et mesquines. Au lieu d’encourager les monastères à multiplier leurs acquisitions, il chercha souvent à retenir ceux qui s’engageaient dans cette voie si funeste. Sans doute, on peut lui faire le reproche d’avoir fréquemment faibli, d’avoir peu à peu laissé violer toutes ses prescriptions ; mais n’est-ce pas une grande et belle chose que ces protestations, quel qu’impuissantes qu’elles aient été à modérer l’en traînement de cette passion de l’intérêt dont il est si difficile de se dépouiller d’une manière parfaite ?
On peut voir toutes les mesures prises par le chapitre général de Citeaux pour combattre cette tendance des monastères de l’ordre, soit dans la Charte de charité qui est le premier règlement cistercien que nous ayons, soit dans les statuts du chapitre général de Cîteaux, recueillis par Martène.
Il est impossible de préciser quelles furent les propriétés que le couvent de la Séauve posséda aux diverses époques de son existence. Elles durent varier selon les temps. Il faut en dire de même des censives et des rentes qui lui appartinrent. Trois pièces seraient d’un grand secours ici, si elles pouvaient être découvertes :
1° le terrier du couvent dressé vers la fin du XVIe siècle par M. Pichon, notaire ;
2° la déclaration faite par Mme de Fumel, des revenus et charges de l’abbaye en vertu des lettres patentes du roi Louis XVI ;
3° l’état des biens du monastère qui furent vendus comme propriété nationale lors de la Révolution française.
Quoi qu’il en soit il parait certain que les revenus du monastère atteignaient un chiffre fort respectable lorsqu’éclata la tourmente révolutionnaire, Un auteur porte ce chiffre à dix mille francs. C’était quelque chose en soi et c’était peu relativement au nombre des personnes qu’il fallait nourrir et habiller. Dans ce moment il n’y avait pas moins de quinze religieuses et de vingt à vingt-cinq chambrières et domestiques.
L’abbaye de la Séauve possédait de nombreux domaines en Velay, à Bourg-Argental et à Sury-le-Comtal.
Dans le Velay :
1er, les propriétés attenantes au couvent et, entre autres, le beau domaine dont la maison d’exploitation existe encore et les riches prairies qui sont au Levant ;
2em, une ferme, à la Mûre, paroisse de Saint-Victor ;
3em, un bois au Maz de Bayon ;
4em, un autre de même valeur près de Pantin et qu’on appelle encore le bois des Dames ;
5em, de nombreuses prairies et terres à la Peyrouse et à la Peyrousette, tenues en amphithéose perpétuelle par divers fermiers.
Quant à ce qui se trouvait en Forez, voici ce qu’en dit Sonyer Dulac, dans son ouvrage Les Fiefs du Forey, au mot Séauve.
Cette abbaye possède en Forey, deux corps de domaine, un moulin et une rente noble appelée la Sauveté, assises sur les paroisses de Sury-le-Comtal et Précieux, une redevance de quatre ânées de vin (ânée valait quatre-vingt-seize pintes), annuellement sur la terre de Saint-Marcellin, à prendre, au mois d’août, dont la donation fut confirmée par Guy IV, comte de Forey, le 6 avril 1276. Elle est comprise dans l’état des charges de cette seigneurie et portée au procès-verbal d’échange, rappelé au mot Sury-le-Comtal ; une rente noble et dîme au lieu et sur le terroir de Meyrieu, paroisse de Périgneux, en une redevance de 120 bichets de seigle (le bichet pesait 33 litres, 7 onces, 5e de l’hectolitre actuel), mesure de Saint-Bonnet ; sur la grande dîmerie de Saint-Maurice, réglée par la transaction qui fut passée entre frère Jean d’Antosum, commandeur de la commanderie de Montbrison et châteaux, le bois en dépendant, et dame Alix de Tournon, abbesse, le lundi après la fête de Saint-Luc, 13 octobre 1488 , reçu Gravit , notaire ; en une rente noble au quartier de la Rivière, en CornilIon.
Un procès-verbal que je citerai en son entier fait connaître l’état financier de l’abbaye vers la fin du XVIe siècle. Je donne ici, par anticipation, le passage qui est relatif à cette question :
Remontre aussi le dit monsieur Gontaud, au nom que dessus, comme la dicte dame a été contrainte par son élection et réception « d’abbesse dudit monastère intempter plusieurs et divers procès en divers ressorts et juridictions tant de parlement de Paris que de Toulouse pour la conservation des droits dudit monastère… à la poursuite desquels procès la dite dame a toujours dépend du partie du revenu dudit monastère que ne vaut communément, année par année, cinq à six cents écus au plus, ainsi qu’est notoire à tous les voisins, sur quoi faut entretenir douze religieuses , un père confesseur de l’ordre et un prêtre pour dire la messe, outre les serviteurs et chambrières domestiques pour le service dudit monastère, etc., etc.
Il est évident qu’à cette époque la fortune de l’abbaye n’était pas brillante. Aussi le procès-verbal ajoute-t-il avec raison :
Lequel entretènement elle a toujours continué, sans en rien retrancher, jacquois que plusieurs fois elle aye eu juste occasion de se faire à cause des susdits misères, calamités qui lui sont survenus pendant les susdites guerres.
(D’Arbois de Jubainville : Etude sur l’état intérieur des abbayes Cisterciennes. — Sonyer Dulac : Fiefs du Forey. Manuscrit.)
NOTES HISTORIQUES
SUR
LES MONASTÈRES
DE LA SÉAUVE, BELLECOMBE, CLAVAS ET MONTFAUCON
THIEILLIERE, curé de Retournaguet